Le site de Didier Delinotte se charge

ON SE LIGUE POUR POLITIS !

Couverture du hors-série Politis / LDH, en vente en kiosques. Avec leur aimable autorisation.

Il est souvent question de presse et de médias ici, et il conviendrait d’ouvrir un nouvel onglet spécifique pour des chroniques qui prennent place pour l’instant dans le vaste domaine du social. Après tout, c’est aussi une catégorie sociale et politique. On parle cette fois d’un excellent journal – Politis – qui va mal, d’un partenariat du même journal avec la LDH pour un numéro spécial et, pour conclure sur cette rencontre naturelle entre un canard engagé et indépendant et une association humaniste, d’un forum citoyen qui se tiendra à Lille, début décembre. Avec une table Politis bien sûr. La boucle est bouclée !

Politis d’abord, un hebdomadaire né en février 1988 et dont on a pu fêter les 30 ans il n’y a pas si longtemps. Un journal à la fois politique, social et écologique (rouge et vert), avec des pages culturelles de qualité et une attention particulière à tout ce qui bouge dans la société.

En 1988, Bernard Langlois, ex journaliste de Témoignage chrétien, de La vie catholique, d’Europe 1 puis d’Antenne 2, a l’ambition de faire paraître un hebdomadaire authentiquement de gauche, quand Le nouvel observateur n’en finit par de se recentrer sur une ligne social-libérale et que les autres hebdos de gauche, à part bien sûr la presse satirique, sont des tribunes de partis politiques.

Dès le départ, celui qui est toujours le spécialiste ès politique intérieure, Michel Soudais, est de l’aventure, car c’en est une. Il y aura aussi des journalistes expérimentés comme Michel Naudy, des activistes comme Maurice Najman (qui suivra la chute du mur de Berlin) ou des gens dont ce sera le tremplin comme Jean-Michel Apathie (eh oui) ou Paul Moreira. Mais il serait vain de citer des noms que tout le monde a oubliés.

L’hebdomadaire veut à l’époque concilier social et écologie, se colleter aux questions de société et avoir un regard original sur l’international. Très vite, la rédaction s’étoffe avec le renfort de Denis Sieffert (toujours éditorialiste), de Françoise Galland, de Françoise Escarpit et de Arezki Metref (pour l’étranger) ou de Jacques Bertin, chanteur engagé et poète qui prendra la rubrique culturelle. Politis se veut aussi l’expression œcuménique de tous les courants de la gauche radicale, sur le modèle de ce que pouvait être Politique Hebdo, journal lui aussi engagé paru de 1969 à 1974. La LCR a voix au chapitre avec Robert Beauvais, le PSU avec Jacques Kergoat, de même que le PCF avec Naudy ou Jean-Paul Besset pour les Verts et… Jean-Luc Mélanchon lui-même pour le P.S.

Déjà, outre Denis Sieffert, on peut lire les grandes plumes qui font encore le journal actuellement : Patrick Piro, spécialiste environnement et écologie avec Fabrice Nicolino (parti à Charlie Hebdo), Christophe Kantcheff, qui sera rédacteur en chef de pages culturelles, Thierry Brun pour l’économie et le social ou encore Jean-Claude Renard pour l’analyse des médias, le sport, la gastronomie ou la photo. Éclectique.

Les pages culturelles sont tenues par Jacques Vassal (ex fondateur de Rock & Folk) pour le rock, Pierre Jeancolas pour le cinéma, Gilles Costaz pour le théâtre ou Kantcheff pour la littérature. Le lien avec les secteurs militants est assuré par l’agenda, toujours présent et Politis devient membre fondateur d’Attac après une période de vache maigre au milieu des années 1990 où il est réduit à un 16 pages qui fait un peu tract.

Mais la fin de cette décennie et les combats altermondialistes donnent une nouvelle impulsion au journal. Bertin claque la porte, Sieffert prend la direction (et l’éditorial) et Langlois se distingue par une chronique d’humeur toujours bien venue. Des chroniques régulières d’économistes qu’on appelait pas encore atterrés et proches d’Attac (notre Jean Gadrey, Dominique Plihon, Thomas Coutrot, Liem Ngoc, Geneviève Hazam, Jérôme Gleize, Jean-Marie Harribey…) sont à lire chaque semaine. Les pages culturelles s’étoffent sous la houlette de Christophe Kantcheff (avec l’ami Jacques Vincent pour le rock, Denis-Constant Martin pour le jazz ou Marion Dumand pour la B.D). Claude-Marie Vadrot, un ancien de Politique Hebdo, revient au bercail après avoir tenu la rubrique Écologie au Canard ou au JDD. Mais le reflux viendra vite. Malgré l’arrivée de journalistes comme Pauline Graule (qui partira plus tard à Mediapart) ou de Ingrid Merckx pour les pages société, les ventes de Politis déclinent et le journal est dans le rouge pour un premier appel à ses lecteurs en 2006. Un appel auquel il sera massivement répondu et qui jettera les bases de l’association Pour Politis, détentrice de la moitié des sièges au Conseil d’administration comme de la moitié du capital du journal. Les A.G, depuis 2007, réunissent journalistes et lecteurs et les membres du collège lecteurs ont pour tâche principale d’animer des tables de vente de journaux pour donner un coup de main. Une expérience originale dans la presse où le lecteur a une place centrale, sans toutefois influer sur la ligne éditoriale. C’est ainsi qu’on a souvent vu votre serviteur tenir une table à l’occasion de débats publics dans la métropole lilloise, en plus d’encombrer le Courrier des lecteurs.

Les années 2010 voient d’autres journalistes débarquer comme Vanina Delmas, qui suit l’écologie à la place de Patrick Piro reconverti en grand reporter pour les pages Étranger, Olivier Doubre pour les pages Idées ou Sébastien Fontenelle pour une chronique décapante. Suivront des journalistes prometteurs comme Erwan Manac’h qui reprend l’économie, Agathe Mercante (ex Les Échos) pour la politique, Nadia Sweeny et quelques autres, des jeunes. Les A.G se succèdent, qui font le point sur la santé économique du journal et permettent le débat sur les choix éditoriaux et les contenus. Les chroniques de Langlois sont à suivre sur son blog (abandonné depuis) et Sieffert assume en fait les fonctions de directeur depuis 1998. Politis fait parler de lui en lançant des appels pour l’unité de la gauche, pour le climat, pour les migrants, mais son lectorat stagne et, malgré de nombreux changements de formule, les abonnements sont à la baisse et les ventes en kiosque faibles.

Sieffert cède la place à Agnès Rousseaux, directrice de Bastamag, et des synergies entre les deux titres se font jour. Un nouveau rédac’ chef, Gilles Wullus, et une équipe rajeunie ne parviennent pas à enrayer le déclin et Politis, dans son dernier numéro, lance un appel au don avec encore plus de gravité. 500.000 € d’ici la fin de l’année ou le journal cesse de paraître. L’enjeu est de taille.

C’est dans ce contexte chahuté que sort le nouveau hors-série concocté avec la Ligue des Droits de l’Homme intitulé Libertés fondamentales : un combat vital. Les attentats terroristes et la pandémie ont donné lieu à des mesures d’état d’urgence qui s’invitent plus tard dans les lois puis dans la constitution. Naomi Klein appelait cela la stratégie du choc et, sans être complotiste, on voit bien que les gouvernements successifs profitent de la sidération née des circonstances pour renforcer leur pouvoir, criminaliser les mouvements sociaux et réprimer les manifestants, qu’ils soient Gilets jaunes, jeunes de banlieue ou syndicalistes.

Un numéro de qualité, comme toujours, qui commence avec une interview croisée de Maître Henri Leclerc et du philosophe Etienne Balibar. La question des libertés et de leur restriction est envisagée sous tous les angles : police, justice, institutions, information, Internet, religion, associations, recherche, migrations… Des articles passionnants signés de personnalités comme, entre autres, Evelyne Sire-Martin, Julia Cagé, Alain Damasio ou Charlotte Girard pour un fort numéro coordonné par Christophe Kantcheff. Il ne s’agit pas seulement d’un état des lieux sur la régression de nos libertés assorti de mises en garde, car le numéro contient aussi des propositions visant à sortir de cette spirale antidémocratique en repensant nos rapports à l’autorité – politique ou économique -, la tension entre sécurité et liberté et, plus généralement, il traite de deux questions fondamentales : quelle vie possible dans nos sociétés oppressives et quel avenir pour nos libertés ?

Ces thèmes seront aussi débattus lors du Forum des libertés organisé par la LDH à Lille du 6 au 12 décembre. L’affiche est alléchante, avec des tables rondes, des conférences, un village associatif et un concert avec la Compagnie du Tire-laine le 10 décembre. L’action se passe dans différents endroits de la ville et, parmi les intervenants, on peut citer, entre beaucoup d’autres, Michaël Zemmour (un nom dur à porter mais il n’y est pour rien), Jean-Louis Bianco, Vanessa Codaccioni, Nicolas Lebourg, Julien Talpin ou encore Danielle Tartakowsky. On se reportera utilement au lien ci-dessous pour le programme détaillé puisque, sur les quelques 75 personnes à qui j’envoie ce blog, la plupart sont de la métropole lilloise. Liberté de manifester, discriminations, droit d’asile, obsessions sécuritaires, protection sociale, laïcité, libertés académiques, extrême-droite… Tous les thèmes abordés dans le hors-série de Politis seront repris ici avec souvent des contributeurs du numéro spécial.

J’allais oublier, il y aura des tables Politis jeudi 9 décembre Espace Marx à Hellemmes – Lille à partir de 18h, et le lendemain vendredi 10 décembre salle Courmont à partir de 17h. Je serai fier d’être là à la fois pour le journal avec lequel j’entretiens une vieille relation d’amitié, et pour la LDH, institution pour les droits et les libertés dont les militants infatigables ont fait le choix de la fraternité, de l’humanisme et de la justice.

Des soirées à ne pas manquer où on pourra concilier le savoir, l’information, le militantisme, le débat et la fête. On joindra l’utile à l’agréable et on tendra la sébile pour renflouer les caisses de Politis, un journal qui nous est devenu, au fil du temps, indispensable.

Une précision, le hors-série est dédié à la mémoire de Serge Tubiana, le Forum aussi, on ose croire.

HTTPS://SITE.LDH-FRANCE.ORG/LILLE/ FORUM-DES-LIBERTES/

20 novembre 2021

Comments:

Oui, Politis a déjà une longue histoire et il n’était pas inutile de la rappeler à l’heure où le journal peut disparaître.
Mais ce serait compté sans l’attachement de ses plus fidèles lecteurs dont tu fais partie.
Amitiés
Didier

Le résumé de l’histoire de Politis, dont je suis lecteur depuis le numéro 1 [j’ai pratiquement toute la collection chez moi (en Gironde)] est excellent. A un petit détail près (l’exception qui confirme la règle…) concernant le blog de Bernard Langlois.
Selon moi, ce blog n’existe plus. Il a cessé il y a quelques années et c’est bien regrettable.
De même qu’est encore plus REGRETTABLE, le fait que Politis n’ait (à ma connaissance) jamais donné la parole dans ses pages au courant de pensée « Pièces et mains d’oeuvre » dans lequel je me retrouve complètement.
Des animateurs de ce courant ont écrit (collectivement) un livre remarquable: « Manifeste des chimpanzés du futur – Contre le transhumanisme » Editions Service compris.
La gauche et l’extrême gauche seraient-elles des inconditionnelles de la techno-science ? C’est à se le demander tant ce sujet est quasiment toujours absent dans leurs débats et prises de position. A croire qu’elles aussi partagent cette antienne: « on n’arrête pas le progrès »… Heureusement qu’il y a le site Reporterre pour donner la parole à ce courant de pensée sur lequel Jacques Ellul et Paul Virilio furent parmi les premiers à France à réfléchir et à écrire.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Catégories

Tags

Share it on your social network:

Or you can just copy and share this url
Posts en lien