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SINGES MOROSES : LES MONKEES ET LES MOODY BLUES

Le batteur Greame Edge, fondateur des Moody Blues et le guitariste Michael Nesmith, âme des Monkees, sont tous deux disparus en décembre. L’occasion de leur rendre hommage. Deux groupes, l’un anglais, l’autre américain aussi décriés l’un que l’autre. Les Moody Blues pour avoir délaissé leur rhythm’n’blues pour une pop progressive réputée emphatique, voire amphigourique ; les Monkees pour n’avoir été qu’un groupe fabriqué par le show-business pour la télévision. Pourtant, on aurait tort de s’arrêter à ces jugements sévères et péremptoires. Leurs disques recèlent de pépites et de petits bonheurs mélodiques. À groupe controversés, semi-hommages, une page pour les uns, une page pour les autres.

Commençons par les Moody Blues, combo rhytm’n’blues de Birmingham. Moody comme morose, et blues comme… leur musique, du moins au départ. Birmingham qui aura vu naître aussi le Spencer Davis Group et les Move. La ville de l’acier se place avec Londres, Liverpool et Manchester sur la carte du rock anglais.

Passons vite sur la préhistoire et El Riot and the Rebels, groupe de skiffle qui compte déjà Ray Thomas (chant, harmonica), John Lodge (basse) et Mike Pinder, d’abord roadie, aux claviers. Puis viennent les Crew Cats, reconvertis au rhythm’n’blues, avec l’appoint du batteur Greame Edge, ex Levene and the Avengers (où il côtoyait Roy Wood, chanteur des Move) ; du chanteur et guitariste Denny Lane, ex The Diplomats, avec cette fois Bev Bevan, lui aussi futur Move et du bassiste Clint Warwick, ex Rainbows. Autant de groupes de la scène de Birmingham dont les noms ne sont pas entrés dans l’histoire (du rock s’entend). Lodge a cédé la place à Clint Warwick mais il reviendra. Les Crew Cats auront eu l’honneur de jouer à Hambourg dans le même club que les Beatles naguère, le Top Ten, sans laisser de traces discographiques.

En 1964, les Crew Cats deviennent les M & B 5 (sponsorisés par la brasserie Mitchell & Butler) avant Moody Blues ; le nom venant du « Mood Indigo » de Duke Ellington.

Le groupe reprend des standards du rhythm’n’blues dans des clubs londoniens et il est remarqué par Tony Seconda, un impresario qui leur obtient un contrat chez Decca, le label qui a laissé passer les Beatles et qui signe tout ce qui bouge en Angleterre. À l’automne 1964, le groupe passe à Ready Steady Go, l’émission pour jeunes à la mode, mais il faut attendre la sortie de « Go Now », en décembre, pour les voir accéder au sommet des hit-parades (n°1 quelques jours). « Go Now » est une belle ballade popularisée par Bessie Banks aux États-Unis (Dick Rivers la reprendra en France sous le titre « Va-t-en »).

Le groupe aura du mal à refaire le coup, et les singles qu’il sort tout au long de l’année 1965 se ramassent, que ce soit « I Don’t Want To Go On Without You » (reprise des Drifters), « From The Bottom Of My Heart » ou « And My Baby’s Gone ». Des compositions trop faibles qui font des Moodies essentiellement un groupe de reprises. Leur album, The Magnificent Moodies, sort en décembre, produit par Denny Cordell, et, malgré d’excellentes reprises telles le « Bye Bye Bird » de Sonny Boy Williamson ou le « I’ll Go Crazy » de James Brown, le disque fait un bide. Lot de consolation : comme ils font partie de l’écurie NEMS, maison d’édition musicale dirigée par Brian Epstein, ils ont droit à passer en première partie des Beatles à l’occasion de leur dernière tournée anglaise, en alternance avec les Paramounts (futurs Procol Harum).

Confronté à des difficultés financières à la suite de l’insuccès chronique de leurs disques et notamment de leur dernier single (« Boulevard Of La Madeleine » avec photo du groupe sur les quais de la Seine), le groupe végète. Warwick s’en va et quitte le rock-business, remplacé par Rod Clarke, puis c’est Lane qui s’en va fonder Balls (avec l’ex Move Trevor Burton et Steve Gibbons), et on le reverra dans le Ginger Baker Air Force avant les Wings de Paul Mc Cartney. On ne donne pas cher à ce stade de la survie des Moodies, mais le miracle opère. La chenille devient papillon.

La transition est difficile. Lodge, le vieil ami de Thomas, revient et un chanteur du nom de Justin Hayward, jeune dandy d’une beauté sidérante, remplace Lane. D’un rhythm’n’blues assez fruste, les Moodies vont évoluer vers un rock progressif imprégné de références à la musique classique. La légende veut que c’est après un concert à Stockton que les Moodies première époque sont morts. Un spectateur énervé s’est introduit dans leur loge pour leur dire qu’ils étaient le pire groupe qu’il ait jamais vu et qu’ils feraient mieux de faire autre chose que du blues. Ils sortent « Fly Me High », qui se veut une transition vers ce qu’ils veulent faire, mais nouveau bide.

Fort bien, Decca se lance dans la stéréophonie et a besoin d’un groupe qui puisse enregistrer La symphonie du nouveau monde de Dvorak, avec effets électro-acoustiques inclus. Pinder se paie le premier mellotron de l’histoire, à l’époque encombrant comme une armoire normande. Le London Festival Orchestra, sous la direction de Peter Knight, est de la partie et le producteur Ron Clarke, déjà employé par les Hollies notamment, entre en scène. Le groupe obtient de pouvoir enregistrer un album de leur cru, avec cette fois des compositions inspirées de Justin Hayward et de ses partenaires. Days of future passed sort en novembre 1967 : une symphonie magique, un album concept ayant pour thème les différents moments d’une journée. Pour la nuit, c’est bien sûr « Nights In White Satin », qui fera un hit planétaire. Pinder est au mellotron, Thomas à la flûte et la batterie de Edge se fait caressante, avec des chœurs féminins qui ajoutent au climat éthéré de rêverie, d’onirisme. Il faut avoir vu le groupe jouer « Nights In White Satin » à Wight, en 1969, pour témoigner de l’intensité dramatique dont ils peuvent faire preuve.

Suivront une demi-douzaine d’albums dont les indispensables In search of the lost choir (1968) et surtout On the treshold of a dream, la même année avec un hommage à Timothy Leary, pape du LSD sur « Legend Of A Mind ». Citons pour mémoire To our children’s children’s children’s (1969), Question of balance (1970), Every good boy deserves favour (1971) et Seventh Sojourn (1972). Plus quelques hits mineurs comme « Voices In The Sky » ou « Melancholy Man ». Dans Rock & Folk (1973), le critique Yves Adrien a beau jeu d’écrire que les Moody Blues se sont englués dans la pompe et le mellotron, et c’est vrai que, si leur musique a pu surprendre en bien, elle est maintenant devenue académique et ennuyeuse. En même temps, ils ont versé dans le mysticisme et la spiritualité. Les jeunes prolos de Birmingham sont devenus des adeptes des philosophies orientales et accessoirement du LSD. Musicalement, les Moodies – en pionniers de ce qu’on appellera le rock symphonique – louchent vers les symbolistes, Ravel, Debussy ou les Russes, mais d’autres font ça beaucoup mieux qu’eux dans la période (Yes, King Crimson ou Genesis), et, malgré le culte entretenu autour d’eux chez les hippies aux U.S.A depuis 1967, les Moodies se séparent dans l’indifférence générale en 1973.

Pour la petite histoire, et puisqu’il s’agit de lui, Edge formera un groupe éponyme (le Greame Edge Band) avec Adrian Gurvitz avant moult reformations des Moodies et décès à 80 ans. Il était né en 1941 à Rochester, la ville qui a vu naître Dickens. Très anglais tout ça.

Nesmith, sa frange et son éternel bonnet. Photo wikipedia.

L’histoire est différente pour les Monkees (jeu de mot approximatif sur monkey – singe – et kiss – baiser). Trois américains venus des quatre coins du pays (Micky Dolenz le batteur, de Californie, Peter Tork, bassiste, de Washington D.C et Michael Nesmith, guitariste, du Texas), plus un Anglais de Manchester, Davy Jones, chanteur – leader du groupe et ex enfant acteur, notamment pour des feuilletons tirés de Dickens pour la BBC.

C’est à Los Angeles, fin 1965, qu’ils sont engagés à la suite d’auditions pour participer à une série sur CBS qui aurait pour thème les tribulations d’un groupe pop, sur le modèle du Hard day’s night de Richard Lester avec les Beatles. À la manœuvre, le cinéaste Bob Rafelson (Five easy pieces entre autres) et le producteur Bert Schneider (directeur de la société Screen gems). Un casting où, dit-on, un dénommé Charles Manson se serait présenté comme Steve Stills, recalé pour sa dentition.

Le duo de compositeur Tommy Boyce et Bobby Hart est sollicité pour traduire en succès de hit-parade la Monkeemania naissante provoquée par le succès de la série et de son indicatif, « Monkee’s Theme ». Ce sera « Last Train To Clarksville », au printemps 1966 et un premier album, The Monkees, sorti en octobre et vite n°1 du Cashbox. Entre temps, les Monkees ont repris un morceau de Neil Diamond, « I’m A Believer », qui les consacre comme machines à hits. Une machine à hits rentable, puisque le marchandising autour du groupe s’élève à 20 millions de dollars. Passez muscade ! Pour l’anecdote, la face B, « Steppin’ Stone », sera reprise par les Sex Pistols.

La Monkeemania est à son zénith, alors que les Beatles ont arrêté de tourner. La critique les présente comme un groupe artificiel fabriqué par les Frankenstein de Hollywood, sans aucun talent. Des singes manipulés par le show-biz et des clones des Beatles. C’est faux.

Ils le prouvent avec les albums qui suivent, tels More of the Monkees ou Headquarters, en 1967, avec le superbe « Alternate Title ». Même si le groupe compose de plus en plus (Nesmith en particulier), ce sont les chansons des autres (Goffin -King, Mann – Weil, Boyce – Hart ou Neil Diamond) qui font encore leurs hits. On les accuse de ne pas jouer sur leurs disques et ils admettent qu’ils ne sont pas habilités à le faire, laissant cela à des musiciens de studio. Mais la révolte gronde, et ils n’ont pas apprécié de se voir imposer un deuxième titre de Diamond (« A Little Bit Me, A Little Bit You »). Ils virent leur manager, Don Kirshner et prennent enfin leur destin en main. Les caves se rebiffent, certes un peu tard, mais bon.

S’ouvre une riche période avec le producteur Chip Douglas et quelques albums fameux : Headquarters on l’a dit (leur meilleur), mais aussi Pisces, aquarius, capricorn & Jones louchant vers le Country-rock avec Doug Dillard et des membres des Byrds (fin 1967) ou encore The birds, the bees and the monkees en 1968 et deux derniers hits : « Pleasant Valley Sunday » et surtout « Daydream Believer », hymne désenchanté de la génération hippie. C’est l’époque où ils entament une tournée avec Hendrix en première partie et leur public ne suit pas. Le guitariste prodige les quitte de lui-même. On a voulu marier la carpe et le lapin.

L’étoile des Monkees pâlit sur le sol d’Hollywood, la pop est devenue adulte et le groupe est ringardisé. Tork rend son tablier et doit s’acquitter de 160000 $ de dédit. Bob Rafelson vient à leur secours pour la musique de son film Head (décembre 1968), mais ce sera leur chant du cygne, même s’ils sortiront encore 3 albums en trio (Instant Replay et The Monkees present en1969 suivis de Changes en 1970, enregistré par le seul duo Jones – Dolenz) qui se ramasseront dans les charts.

En 1969, c’était Nesmith, en fin de contrat lui, qui est parti fondé le First National Band, formation country signée par RCA. Quelques reformations plus tard, le groupe se retrouve en 1996 de façon plus régulière et leur dernier disque dédié à Jones décédé (Good Times en 2016) s’écoute avec grand plaisir.

Michael Nesmith, l’intello de la bande et le musicien le plus doué, sortira une dizaine d’albums en solo après les quatre du First National Band, mais il aura aussi une riche carrière cinématographique, aussi bien comme scénariste, comme producteur, comme acteur et même comme réalisateur. Il est décédé à 78 ans, à Monterey (Californie), là où avait eu lieu en juin 1967 le premier grand festival pop de l’histoire. Les Monkees n’étaient pas à l’affiche, pas sollicités par les organisateurs ou trop chers pour eux, allez savoir…

15 décembre 2021

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