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NOTES DE LECTURE (21)

FRANÇOISE SAGAN – BONJOUR TRISTESSE / UN CERTAIN SOURIRE – JULLIARD

Portrait de l’artiste en jeune fille rangée. Images France Inter (avec aimable autorisation).

Ce qu’il y a de bien avec les bibliothèques ou les boîtes à livre, c’est qu’on peut voir sans payer. Lire ou relire des auteurs contre lesquels les jugements sévères des critiques nous avaient prévenus. Ainsi de Françoise Sagan, autrice de son premier roman à 17 ans, ce qui valait performance, mais Vialatte a beaucoup parlé d’une certaine Minou Drouet, qui fit publier ses premiers poèmes à 9 ans, chez Julliard aussi. Record battu.

La première ligne de Bonjour tristesse est presque aussi connue que le « Longtemps je me suis levé de bonne heure » de La recherche : « sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à poser le nom, le beau nom grave de tristesse ». On serait tenté d’écrire « de mélancolie » depuis certaine émission de radio dominicale.

De Sagan, on n’avait pas lu grand-chose, trop rebuté par cette image publique de demi-mondaine alcoolique et cocaïnomane au débit de mitraillette, avec en tête la réplique qui tue des Tontons flingueurs : « Un génie ça se ballade pas pieds nus », « ben si, Sagan ! ».

Sagan et son style maniéré, un peu scolaire, où on entend quand même une petite musique. Ce n’est pas pour rien qu’elle a été l’amie d’Antoine Blondin ou de Bernard Frank, deux stylistes impeccables.

Bonjour tristesse, c’est l’histoire d’une pauvre petite fille riche dont la mère est morte et qui vient de sortir du pensionnat. Elle passe l’été sur la Côte d’Azur avec son père, un homme volage et léger qu’elle adore. D’abord épris d’une jeune demi-mondaine, Raymond (c’est le nom du père) tombe amoureux d’une ex amie de son épouse et cette fois c’est du sérieux. Tout le récit se concentre sur les stratégies mises au point par sa fille pour briser dans l’œuf cette union programmée pour le mariage, jusqu’au drame qui lui fera garder son père (œdipe roi) mais découvrir la tristesse.

Une intrigue qui aurait sa place dans les Nous deux ou Confidences qui plaisaient aux midinettes d’autrefois, avec des personnages sans grand intérêt qui ne pensent qu’à leurs petits plaisirs, bien à l’abri du besoin. C’est sentimental au possible, cucul la praline et plein de psychologie de bazar, sous des dehors qui se veulent cyniques et désabusés, à la manière des romans des hussards (Blondin, Déon, Nimier ou Laurent), mais on ne s’y trompe pas. On n’est loin de leur style, comme du poids de l’histoire qui pèse sur cette génération perdue. Ici, tout est futile et léger (un mot qu’elle adore).

N’empêche, on l’aimait plutôt bien Sagan, et ses livres ont le charme discret de la mélancolie en plus de raconter une époque en filigrane.

C’est aussi le cas de Un certain sourire, son deuxième roman paru en 1956, deux ans après Bonjour tristesse. Cette fois, c’est Dominique, une étudiante parisienne, qui délaisse Bertrand (un amant de son âge) pour Luc, un homme mur qu’on imagine bien sous les traits d’un Alain Delon ou d’un Maurice Ronet. C’est encore la valse des amants, la ronde. Cette fois, Dominique a une mère dépressive qui pleure son fils, suicidé on suppose.

Il va sans dire que Luc est beau, intelligent et riche. Tout cela fait un peu penser au sketch de Guy Bedos : « qu’est-ce qu’il a de plus que moi ?, il est beau, riche et intelligent. Point final ». Les personnages sont toujours aussi évanescents, on sait juste qu’ils ont les moyens, vaguement dans l’édition ou le journalisme.

Il faut dire que le monde de Sagan est à l’abri des rapports sociaux, du travail et de la politique. C’est une sorte d’éden germanopratin où les couples se forment dans la fumée et l’alcool, au son d’un chorus de jazz. Elle cite beaucoup Sartre et Vailland, mais elle ne retient que de l’un que l’existentialisme, qui n’est qu’une sorte de blues de Saint-Germain des Près, et l’autre qu’un libertinage qui a plus à voir avec les films de Vadim qu’avec un Choderlos de Laclos.

Beaucoup de formules sont convenues, de personnages factices, de phrases ronflantes et de situations attendues. La pauvre petite fille riche est prise au piège de l’amour, entre Saint-Germain et la Côte d’Azur. On retiendra encore une fois l’écriture élégante de Sagan, sa musique (pas du Mozart qu’elle cite à tout bout de champ, plutôt jazz west coast, cool). Léger et élégant. Un style ?

WILL SELF – MON IDÉE DU PLAISIR – Éditions de l’Olivier.

« My Idea Of Fun » est une chanson d’Iggy Pop. L’univers de Will Self a d’ailleurs beaucoup à voir avec celui d’Iggy. Au physique, un long visage à la Pete Townshend avec un grand nez et des yeux bleus translucides. William Woodward Self est un rejeton de la grande bourgeoisie anglaise dont les racines plongent dans l’église anglicane et l’aristocratie tory, avec études à Oxford et tout le toutim. Le genre de lignées qui donnent les plus grands génies littéraires à la Burgess ou les pires crétins à la Bojo. Self est loin d’être un crétin.

On peut lire dans sa fiche Wikipedia qu’il a débuté dans le journalisme, à la B.B.C et à l’Observer, viré pour avoir pris de l’héroïne dans l’avion qui transportait John Major et son staff ; Major dont il suivait la campagne. Erreur de jeunesse ? Pas vraiment si on en juge par ce roman totalement dingue de 400 pages où il faut s’accrocher pour ne pas céder au vertige, ou à l’ennui.

Le narrateur, un certain Ian Wharton, est un personnage en apparence plutôt banal à Londres, un consultant en marketing qui travaille dans la City et a grandi dans une caravane sur la plage de Brighton où sa mère louait des emplacements de camping. Le père a disparu et il est défini comme un édenien – sans qu’on sache bien ce que c’est – comme lui souffre d’éidétisme, soit une mémoire photographique prodigieuse, mais aussi la tendance – et c’est le thème du roman – qu’ont les psychopathes à prendre leurs phantasmes pour des réalités. On a en fait à faire à un tueur en série.

La première partie du livre est consacrée à la biographie de Wharton, là où on découvre effaré ses phantasmes morbides et son imagination délirante. On découvre aussi le personnage principal du livre, L’Obèse Contrôleur, alias l’homme d’affaire Radcliffe qui, au départ, est arrivé à Brighton dans une caravane de gitans. On aura compris que l’Obèse est le surmoi de Wharton, son directeur de conscience et son mauvais génie à la fois qui lui inspire ses pires phantasmes et va même jusqu’à lui faire commettre ses premiers crimes ; des crimes qu’il lui impute sans vergogne. L’Obèse Contrôleur, c’est le diable, partout à la fois et ayant vécu mille vies ; un diable à l’aise dans le monde de l’argent, de la publicité et du marketing, puisque c’est pour lui le sang des hommes dont il s’abreuve.

La seconde partie est moins réussie, avec une étrange clinique où sont soignés des junkies schizophrènes et où on expérimente la thérapie de la sédation profonde. Un sommeil comateux qui vous envoie au pays des devinettes enfantines, un monde à la Lewis Carroll mais peuplé de créatures toutes plus monstrueuses les unes que les autres. C’est là que Wharton, qui finit par retrouver L’Obèse, rencontre son épouse et déjoue les plans de son tuteur qui l’avait rendu impuissant, atteint du complexe de la castration.

Wharton est immergé, dans cette seconde partie, dans le domaine de la publicité et du marketing avec le lancement d’un produit financier rendu comestible par la réclame. C’est maintenant l’homme d’affaire Radcliffe qui est sur le coup, un avatar de l’Obèse. Là, l’auteur se livre à une réjouissante satire des mythologies modernes, de la société marchande et du capitalisme. C’est plutôt réussi, même si on a quand même peiné à finir un livre qui part trop dans tous les sens.

L’éditeur parle d’auteurs comme Ballard ou Burroughs pour donner un équivalent du talent (« du génie » est-il dit) de Self. « Du Lewis Carroll mis en scène par Cronenberg », est-il dit. Le genre de publicité justement qui vous ferait fuir. N’exagérons rien, Self est certainement l’un des romanciers anglais les plus doués de sa génération, et c’est déjà beaucoup. Il a le mérite d’ouvrir grand le champ de l’imaginaire et de ne pas se regarder le nombril, comme on le fait trop souvent par ici.

C’est brouillon, foutraque et bordélique. Mais quelle imagination et, finalement, quel plaisir !

MICHEL DÉON – UN TAXI MAUVE – Gallimard

On terminera avec ce vieux Déon, hussard, réac’ (pléonasme), exilé fiscal et académicien. J’ai toujours eu du mal avec Déon, qui n’a pas la légèreté hédoniste d’un Jacques Laurent, le style élégant d’un Blondin ou le romantisme bravache d’un Nimier. Son style est sec, roide, serré, rigoureux ; plutôt chiant pour tout dire. D’ailleurs, Déon a tout du type détestable, ancien secrétaire de rédaction de l’Action française et membre éminent de l’association des amis de Brasillach. Tout pour plaire !

Un taxi mauve est un peu au-dessus du lot, peut-être grâce au film de Yves Boisset, mais pas seulement. L’auteur – narrateur se décrit comme un chasseur paisible massacrant la bécasse dans les marais de la verte Irlande. Il est venu là à la suite d’un chagrin d’amour ; une certaine Marthe et, à son sujet, la pudeur ne l’incite guère à la confidence. On imagine tout de suite Déon en veste de chasse et culotte de peau, plume de faisan au chapeau.

Puis c’est l’Irlande et tous ses clichés, buveurs, bagarreurs, chevaux, whisky, IRA, Joyce, Swift, belles filles mystérieuses aux yeux verts et aux allures de gitanes, et que sais-je encore. Un mélange entre le John Ford de L’homme tranquille et le John Huston de Gens de Dublin.

L’histoire est prétexte à la description successive de personnages hauts en couleur et le narrateur participe à l’action en voyeur, parfois sollicité pour figurer aux côtés de ces Irlandais (et Irlandaises) fantasques ou foldingues. On sent parfois qu’il tire un peu à la ligne et chaque chapitre amène un nouveau personnage qui s’empresse d’entrer dans la danse, comme on ajouterait de l’huile pour faire monter une mayonnaise. Avouons qu’on a eu du mal à finir, mais il y a quand même de bons moments où la plume élégante de Déon nous ravit, dans ses digressions philosophiques notamment.

Sinon, c’est toujours le credo un peu lassant du hussard : « à quoi bon ? », « ça ou autre chose » ou « au point où on en est …». Ces types qui ont vécu la guerre, soit l’enfer à 20 ans et qui en sont ressortis déboussolés et en pleine errance politique. Mais là où un Blondin nous enchante d’une simple phrase, Déon distille parfois l’ennui comme un vieil enfoiré mondain volubile qui raconterait des souvenirs dont on n’aurait pas grand-chose à faire. Il faut dire que cet homme a tout bu, tout lu et tout vu. C’est parfois agaçant.

La lecture d’un roman est un échange de sensualité, et il est des auteurs qu’on n’aime pas, même s’ils sont à considérer comme de grands écrivains. On en parle à ce titre mais non, décidément non, on n’aime pas Michel Déon.

22 janvier 2022

Comments:

Merci Didier pour ces introductions et pour le rappel sur Sagan qui, elle et ses romans, n’ont vraiment jamais fait partie de mon univers personnel, social, ou littéraire … mais qu’il ma toujours été impossible d’ignorer.

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