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L’EXTRÊME GAUCHE! ET ALORS…

petit traité de sociologie à l’usage de toutes les générations

La Macronie a oublié qu’elle avait eu besoin des voix de la gauche pour battre largement le Rassemblement National. Après le premier tour des Législatives, Mélenchon et ses alliés sont devenus des anti-républicains, des alliés de Corbyn – soi-disant antisémite notoire – des islamo-gauchistes et des spoliateurs. Ne manque que les accusations de bolchévisme et de terrorisme, mais ça viendra si la NUPES est majoritaire. Le couteau entre les dents et les chars soviétiques sur les Champs-Élysées. Air connu. L’occasion pour parler d’un livre qui entre en résonance avec ce climat politique nauséabond, Démobiliser les quartiers (1), le bouquin intéressant d’un collectif de sociologues qui éclaire les rapports entre les pouvoirs publics et les minorités racisées. Le rapport est plus évident qu’on ne le croirait au premier abord.

On en avait un peu parlé la fois d’avant (Roubaix, une lumière?) et on en parle d’autant plus facilement maintenant qu’on l’a enfin lu. Un livre pas toujours facile, avec des notes en bas de page comme s’il en pleuvait et un jargon sociologique pas toujours accessible au non-initié. N’empêche, ce livre est édifiant et éclaire la problématique (pour parler comme les sociologues) de la politisation des quartiers, de leurs modes d’expression et de leur pouvoir d’agir.

Le polémiste flamboyant Léon Bloy vomissait la sociologie et insultait Emile Durkheim – le fondateur de la discipline – à la fin du XIX° siècle. On en est plus là et, de Max Weber à Pierre Bourdieu en passant par Marcel Mauss, la discipline a largement fait la preuve de son utilité en tant qu’outil entre les mains des opprimés et des dominés qui peuvent ainsi comprendre la nature de leur domination.

La sociologie est un sport de combat, disait Bourdieu, et ce livre s’inscrit dans cette définition à travers une diz aine de cas – dont plusieurs dans le Nord et plus précisément dans la métropole lilloise – qui décrivent bien les résistances populaires contre les schémas démobilisateurs des pouvoirs publics, ces fameux « agendas ou textes invisibles » qu’ils mentionnent à plusieurs reprises.

Dans une longue introduction, les trois coordinateurs du livre (Antonio Delfini, Julien Talpin et Janoé Vulbeau) nous exposent les stratégies des institutions et des pouvoirs publics pour empêcher, ou réduire au maximum, les mobilisations dans les quartiers. Disqualifier, priver de ressources (subventions notamment) et ce qu’ils appellent « cooptation, canalisation et clientélisme », telles sont les principales stratégies à l’œuvre. Disqualifier souvent en faisant le procès d’individus et en les désignant à la vindicte publique, endetter en refusant des subventions qui sont souvent des primes à la docilité et coopter des leaders prêts à composer en canalisant l’activité de l’association et, au besoin, en se les conciliant par des avantages matériels en vue des échéances électorales.

Au-delà de ce constat général qu’Antonio Delfini a très bien résumé lors du débat public sur «Le réveil des quartiers » à Roubaix, les études de cas vont plus loin et décortiquent les mécanismes élaborés depuis des décennies.

D’abord le bidonvilles de Nanterre devenue cité pour immigrés, avec les transformations puis le déclin du communisme municipal et la mise à l’écart de collectifs et de syndicats (le Mouvement des travailleurs arabes) trop remuants. Si les élus puisent des énergies militantes dans les quartiers, ils s’efforcent de les disqualifier s’ils vont trop loin ou de les canaliser s’ils sont trop autonomes ; le tout est de s’en faire des relais politiques dans les cités et c’est ce qu’on désigne sous le nom de clientélisme.

Cap à Lyon ensuite à travers les marches des Beurs, celle de 1983 notamment, et le travail associatif des JALB (Jeunes Arabes de Lyon et de sa Banlieue). Un politique comme Michel Noir s’accommodera de ces mobilisations jusqu’à tenter de les récupérer en faisant parfois monter une ou un militant-e un peu trop virulent, jusqu’à la démobilisation des groupes les plus actifs à travers la notabilisation de certains de leurs leaders.

Il y a tout un chapitre sur les bons et les mauvais Arabes comme les voient les archives du Ministère de l’Intérieur. Des premiers immigrés d’après la guerre d’Algérie jusqu’aux politiques des Pasqua, Chevènement et Valls pour qui un bon Arabe est un ouvrier qui la ferme et qui voue un culte discret à l’Islam. Ça se complique évidemment avec les soupçons d’islamogauchisme jetés sur toutes les contestations sociales, transformant les caïds des cités en terroristes potentiels. On notera que l’extrême-gauche et les chrétiens de gauche investis dans les mouvements sociaux ont toujours été les alliés des individus les plus réprimés, les plus invisibilisés.

On passe à un barbu, un leader des cités ostracisé par les pouvoirs publics du côté de la banlieue rouge de Grenoble. Comment on passe du statut de délinquant à celui de militant, avant la disqualification et le remplacement du chef par des individus plus accommodants.

À Barcelone, c’est la crise du logement (avec les subprimes) et les vieilles associations de voisins souvent anti-franquistes contre des initiatives concurrentes avec des immigrés venus d’Afrique qui décident de s’auto-organiser. Signe des temps, les vieux associatifs seront marginalisés au profit de populations valorisées car plus dépendantes et moins combatives.

Un chapitre important nous parle de la démobilisation des habitants dans le cadre de projets de rénovation urbaine. Comment on réussit finalement à détourner les colères avec des conseils citoyens à la main des autorités municipales et, encore, en marginalisant les plus radicaux à travers des procès en sorcellerie ou tout simplement en leur reprochant de ne pas respecter les codes (malpolis, menaçants, forts en gueule… Pas très corporate).

On parle aussi du développement urbain dans les HLM et des stratégies de contournement des associations de locataires, qui cèdent la place aux acteurs du Développement Social Urbain et des bailleurs. Une autre façon, plus technocratique, de calmer les ardeurs citoyennes en leur faisant cette fois des procès en incompétence.

On parle beaucoup de Lille, de Roubaix et de Tourcoing. L’exemple de la mobilisation de l’Alma Gare (Roubaix) où des Ateliers d’urbanisme populaire avaient réussi à contrer les projets des pouvoirs publics, est souvent cité dans ce livre.

On prend l’exemple d’une association lilloise qui s’étiole et finit par perdre ses valeurs d’origine, bouffée par des partenariats avec la municipalité et le centre social qui leur ôtent toute possibilité d’agir en autonomie. L’association deviendra un simple prestataire de la mairie.

La gentrification des quartiers est au cœur de l’ouvrage, même quand elle repose sur le devoir de mémoire et les commémorations. C’est le cas à Saint-Étienne, ville ouvrière, où on installe un salon du design complètement hors-sol avec une population qu’on souhaite différente n’ayant aucun rapport avec les luttes ouvrières.

Enfin, le Collectif Rosa Bonheur se penche sur le travail « illégal » fait par les mères immigrées (entraide, lien social) et les chômeurs immigrés avec des garages à ciel ouvert ou des travaux de bâtiment et de rénovation non reconnus et parfois interdits.

On termine avec une longue interview de Fatima Ouassak, vieille militante des quartiers populaires et on lui laisse le dernier mot : « une vie sans lutte, c’est une vie qui ne sert à rien ! ». Est-ce assez pour en faire une gauchiste ? Certainement pour Macron et Borne.

Voilà, un livre passionnant où de jeunes sociologues nous font découvrir une réalité qu’on ne soupçonnait pas toujours, en mettant bas les masques et en analysant les situations réelles de façon objective, même si le milieu universitaire qui est le leur les empêchent d’adopter un discours plus militant Même s’ils sont parfois en appoint et en alliés des militants, leur rôle n’en reste pas moins académique.

Sinon, ceci à destination des analphabètes politiques d’Ensemble (appellation usurpée), l’extrême-gauche, en France – le PSU étant considéré comme un parti centriste – c’était les maoïstes (spontex ou stals), les troskistes (fidèles à la IV° Internationales, Pablistes ou Luttouvriéristes ) et les marxistes-léninistes (plus ou moins maos ou stals). Vous en connaissez beaucoup qui s’en revendiquent encore ? Si le fait de parler d’autogestion, d’égalité sociale, de démocratie, de féminisme et d’écologie vous classe à l’extrême-gauche, pourquoi pas ?

L’ultra-gauche, elle, était composée en trois clans : les anarchistes (libertaires ou révolutionnaires), les conseillistes (tout le pouvoir aux conseils des travailleurs) ou les situationnistes, mouvement à la fois politique et artistique.

Allez, encore un effort pour les dégager, dimanche. Eux, l’extrême-centre, le pire des extrémismes qui conjugue ultra-libéralisme, sécuritaire et technocratie. Tout ce qu’on déteste.

15 juin 2022

(1) : Démobiliser les quartiers – Enquête sur les pratiques de gouvernement en milieu populaire. Septentrion Presses Universitaires.

Comments:

Une petite référence à Saïd Bouamama autre sociologue de combat – même si je ne partage pas certaines de ses approches – peut trouver place dans ce compte rendu de lecture qui traite de Roubaix
..

Et la verticalité du pouvoir qui ne s’est jamais mieux illustrée en France et ces dernières décennies, et surtout chez ceux qui se voulaient démocrates, qu’ils soient chrétiens ou sociaux. Le nucléaire, l’Europe, la protection sociale, l’environnement… tous ces sujets ne peuvent et ne doivent pas descendre sous un certain niveau car ils ne relèvent que des experts et des dépositaires du pouvoir. Et des conférences citoyennes organisées par Macron pour mieux piétiner leurs propositions.

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