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LE ROCK DU WATERGATE

Miss Patti Smith au CBGB

C’était une formule journalistique plus ou moins bien inspirée qui, dans les colonnes d’Actuel, dressait une revue d’effectifs du rock américain des années 1973 – 1974 que l’on peut, près de 50 ans plus tard, se remémorer avec nostalgie. Sous l’impulsion d’une coterie de critiques rock américains – les Richard Meltzer, Sandy Pearlman et autres Murray Krugman – naissait le Blue Öyster Cult (ex Ultimate Spinach et Soft White Underbelly). Dès 1972, le Cult va voir naître autour de lui toute une scène nouvelle dans la grosse pomme, avec les New York Dolls, les Dictators ou le Patti Smith Group. Puis viendront les Sparks (ex Half-Nelson) et Alice Cooper à Los Angeles ou les Modern Lovers et Aerosmith à Boston, avant l’explosion Punk au Max’s Kansas City ou au CBGB. A real cool time !

On a déjà parlé de la plupart de ces combos dans l’article sur le rock décadent (Printemps rose) et dans celui sur le Punk (45 ans et des poussières). C’est pourquoi nous passerons rapidement sur les Dolls, les Dictators et les Sparks pour nous attarder un peu sur les autres.

Tout commence à Boston en 1967 qui voit les débuts du Ultimate Spinach (l’épinard ultime), nom pris en référence et pour s’en moquer de la scène flower-power et Acide rock de San Francisco. Pourtant, l’Ultimate Spinach propose une pop psychédélique qu’on entend sur la côte ouest mais, c’est toute la différence, avec des mélodies et un sens aigu de la dérision. Ce sera le cas d’autres groupes semblables comme Pearl Before Swine, Beacon Street Union ou Orpheus.

Aucun musicien du Cult ne figure dans le groupe, mais déjà rodent dans leur entourage les duettistes Sandy Pearlman et Murray Krugman, journalistes du Crawdaddy Magazine de Paul Williams, revenus de Monterrey avec la ferme intention de faire de la côte est quelque chose d’aussi excitant musicalement que la côte ouest. Ce sera presque fait.

Soft White Underbelly (le ventre blanc et mou, pour reprendre une phrase historique de Churchill à propos de l’Italie de Mussolini qui était le « ventre mou » de l’Europe face au nazisme) possède en ses rangs quelques éléments du Cult dont le guitariste Donald « Buck Dharma » Roeser, le claviériste Alan Lanier et le batteur canadien Albert Bouchart. Le groupe est à nouveau lancé par Pearlman et Krugman, sans plus de succès. Sauf que l’immortel auteur de The Aesthetics of rock (traité de philosophie pop qui mêle avec bonheur Hegel et Ricky Nelson), Richard Meltzer – lui aussi rock critique free-lance – s’intéresse à eux et décide de les transformer au gré de sa vision du rock. Un seul album, un live à la Stony Brook University (le campus de Stony Brook étant leur quartier général) qui sortira bien plus tard, chez Discogs. Un album en public dont la qualité sonore est discutable.

Le premier album éponyme du Blue Öyster Cult pourra sortir en janvier 1972, avec le renfort du frère Bouchart, Joe, à la basse et celui du guitariste Eric Bloom tout en cuir et Ray bans. Le Cult produit un Hard-rock bas et lourd sur des textes de Science-fiction à connotations nietzschéennes. Meltzer se fait leur parolier et réalise son projet de rock gothique et futuriste. Après deux excellents albums (Tyranny and mutation en 1973 et Secret Treaties en 1974), le Cult s’enfoncera dans l’ésotérisme et l’épouvante après un live ennuyeux. Ce sera Agents of fortune (1976) et le fameux « The Reaper » qui leur vaudra un hit. Some enchanted evening creusera le filon, avec sa galerie de monstres, de Frankenstein à Godzilla, mais ce que le groupe avait de fascinant et de sulfureux s’est envolé, en enfer probablement.

Les New York Dolls ont aussi été évoqués. Le groupe du trio David Johansen, Johnny Thunders et Syl Sylvain (plus Art « Killer » Kane à la basse et Jerry Nolan à la batterie) est passé au Bataclan en 1972 et certains ne s’en sont jamais remis. Un mélange tonnant de College rock sucré et de Hard-rock déjanté. Les Dolls, c’est un peu le croisement entre Del Shannon et les Stooges (tous deux de Detroit). Eux sont de New York, comme l’indique leur raison sociale, habitués du CBGB et du Max’s Kansas City où ils peuvent gratifier les premiers punks ricains de leur vision du monde entre Hubert Selby et Mae West. Après deux albums superbes, surtout le premier produit par Todd Rundgren même si Too much too soon n’a pas grand-chose à lui envier, les Dolls se retrouveront sans maison de disque, condamnés pour outrages. Johansen continuera avant carrière solo, un chemin déjà emprunté par les autres, avec des fortunes diverses.

Des Dictators, on a déjà parlé aussi. Se souvenir de Dick Handsome Manitoba, de Ross « The Boss » Funicello, de Scott « Top ten » Kempner et de Stu Boy King. Leur premier album, Go girl crazy, est considéré comme le premier album punk de l’histoire, en 1974, et Manifest Destiny, qui lui fait suite en 1976, est presque aussi bon. Les Dictators voulaient reprendre les choses où les Stooges les avaient laissées et ce fut en partie réussi. Précisons qu’on retrouve Pearlman et Krugman aux commandes, les vrais initiateurs du punk rock U.S et du rock du Watergate.

Est-il besoin de retracer les grandes heures de la vie de Mme Patti Smith, de Chicago, elle. De ses débuts encourageants au CBGB et de son premier single (« Hey Joe » / « Piss Factory ») jusqu’à ses lauriers de poétesse confirmée. Bientôt le Nobel ? Entre temps, il y a eu Horses, album de haute tenue avec l’ex critique Lenny Kaye à la guitare, le beaucoup moins intéressant Radio Ethiopia avant lesexcellents Easter et Waves. La poétesse du rock s’était payée le voyage à Charleville, sur les traces de Rimbaud. Un petit séjour dans la France périphérique. Elle n’a pas dû être déçue.

Boston encore avec Jonathan Richman et ses Modern Lovers, dont le premier album fut produit par John Cale. Richman, une sorte de Duduche américain et son groupe qui comprend le futur Talking Heads Jerry Harrison et le futur Cars David Robinson. Après des débuts vinyliques confidentiels sous la houlette de Kim Fowley, Richman monte son combo, influencé par le Velvet Underground. Des morceaux comme « She Cracked », « Hospital » ou son « Roadrunner » sur deux accords sont des petits chefs-d’œuvre d’émotion et de finesse, sans parler du magistral « Pablo Picasso ». Les deux premiers albums sont étonnants, du proto-punk The Modern Lovers (1976) à l’hilarant Rock’n’roll with the Modern Lovers (avec « Egyptian Reggae » entre autres facéties). Puis ce sera l’exil californien chez Beserkley records et une carrière solo plus obscure qui lui vaudra l’admiration d’un noyau dur de fans.

Aerosmith est plus connu, avec Steven Tyler le chanteur, qu’on a eu tôt fait d’appeler le « Jagger du pauvre » et le guitariste Joe Perry, tout de cuir vêtu. Un duo aussi emblématique que Jagger / Richards. Les autres font un peu pâle figure devant ces deux-là, mais le groupe sortira quelques albums phares de la décennie : Aerosmith, Toys in the attic, Get your wings et Rocks, pour ne citer qu’eux. Aerosmith n’a pas oublié les leçons (et les sons) des Yardbirds de Jeff Beck, du Zeppelin des débuts et du MC5. On leur sera éternellement reconnaissant.

Passons vite sur les Sparks dont on a déjà parlé. Les frères Mael (Ron et Russell) qui, associés aux frères Mankey nous avaient gratifié d’un superbe album avec Half-Nelson. Ils sauront prendre le tournant décadent avec les indispensables A woofer in tweeter’s clothing et surtout Kimono my house, avant conversion mercantile au disco et à la variété. Le sosie de Chaplin / Hitler et son grand dépendeur d’andouille frisé de frère n’auront plus qu’à ouvrir grand le tiroir caisse, sans jamais rééditer des perles comme « Angus Desire » ou « Girl From Germany ». Dommage.

De Los Angeles également, Alice Cooper, encore que la biographie du lascar est plus complexe. Natif de Detroit, l’adolescent suit ses parents dans l’Arizona avant de se transporter à Los Angeles en pleine période hippie. Il trouve asile sous l’aile de Frank Zappa qui le fait signer sur son label et Vincent Furnier (pas encore Cooper) y enregistre des albums qui resteront confidentiels. Il faut attendre son passage chez des majors (RCA puis Warner Bros) pour voir sa carrière décoller avec Love it to death et Killer en 1971. Plus des singles à succès comme « I’m Eighteen », ou « Under My Wheels ». Le tout sous la houlette de Bob Ezrin, le producteur à la mode qui sera aussi l’homme de Lou Reed pour le glaçant et magistral Berlin.

Maquillage à la Orange mécanique avec rimmel qui dégouline, collants troués et boa (un vrai) autour du cou, Alice Cooper deviendra l’icône du rock décadent américain avec des albums de moins en moins bons (School’s out en 1972, Billion dollar baby en 1973 et Muscle of love en 1974) mais un show racoleur de plus en plus prisé aux quatre coins du monde. Tout cela finira dans l’alcool, la poudre et une pseudo-pornographie d’un goût douteux, mais la mère Alice nous aura bien fait rire. Pas seulement, et chapeau bas pour ces hymnes que sont « No More Mister Nice Guy », « School’s out » ou « Elected ». Tout cela avant l’explosion punk, les Ramones, Television, Talking Heads et les autres.

Voilà, on aurait pu aussi parler d’individus brillants et originaux comme Bruce Springsteen, Todd Rundgren ou Ellioth Murphy qui avaient leur place dans ce cadre. On ne se retiendra pas d’y revenir une prochaine fois (pas sur Springsteen dont on a que trop parlé, mais les deux autres).

En attendant, keep on rockin’, let the good times roll et tout ce genre de choses.

6 juin 2022

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