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TOUS ENSEMBLE! LA PROCHAINE FOIS?

Manifestation du mouvement des gilets jaunes, à Belfort, le 19 janvier 2019. Avec drapeaux tricolores. Photo Wikipedia

Depuis au moins Les Indignés (2014), Nuits debout (2016) et le Front social (2017), on parle beaucoup de convergence des luttes et de tous ensemble (tous en même temps). Un impératif pour en arriver à un mouvement social capable de déboucher sur une grève générale. Un impératif encore renforcé plus récemment par les Gilets jaunes, les marches climat ou le collectif Plus jamais ça. Pourtant, on constate à chaque mobilisation la division syndicale et le manque de cohésion des associations écologistes et populaires, même si la gauche a pu s’unir dans la dernière séquence électorale (pour combien de temps?). On ne va pas gloser sur ce qu’il conviendrait de faire (qui le pourrait?) et on se contentera ici d’un simple constat.

On avait déjà eu les Podemos, Syriza et autres Occupy… Puis Les Indignés d’après le best-seller de Stéphane Hessel. On se souvient des Nuits debout et de tous ces attardés en queue de manifestations qui venaient s’attrouper Place de la République pour écouter Ruffin ou Lordon, tout en prenant la parole à leur tour en toute simplicité. Une agora moderne où on refaisait le monde à la fraîcheur des soirs de printemps. 32, 33, 34 mars… Ça n’en finissait pas, en marge (comme on dit maintenant) des manifestations contre les lois El Khomri dites aussi lois travail. Des Nuits debout ont aussi eu lieu en province, avec moins d’audience et des prises de parole d’un intérêt discutable. Mais bon, le principe était lancé et l’idée était reprise.

On se souvient certainement moins du Front social, à l’initiative de syndicats comme Solidaires ou la CNT et d’associations populaires. Il s’agissait, au printemps 2017 soit un an après, de faire échec à Macron, à ses « ni droite ni gauche », à ses « en même temps » à son hypocrisie et à son mépris pour les classes populaires. Il était question de mener la vie dure au candidat des riches mais l’affaire a vite fait pschitt, comme disait Chirac, au-delà de quelques rassemblements où des guignols prenaient le micro pour vous dire qu’eux n’avaient pas voté et qu’ils ne voteront jamais. « Tous dans la rue ! » et « révolution ! ». Mais surtout ne pas voter. C’est comme ceux qui se plaignent de ne jamais gagner au Loto mais qui n’ont jamais acheté un billet.

Novembre 2018. Les Gilets jaunes qui se soulèvent contre la taxe carbone. Un premier samedi qui démarre bien et, au fil du temps, des masses qui déferlent de cette France périphérique méprisée et qui investissent les beaux quartiers et les lieux de pouvoir. La grande frousse pour les importants et une répression sans limite : gazages, mutilations, blessures graves. Voir le film-documentaire de David Dufresne, Un pays qui se tient sage, dont on a parlé en son temps. Pour rappel, les Gilets jaunes réclamaient le rétablissement de l’ISF, le RIC (Référendum d’initiative citoyenne) et quelques autres mesures sociales. C’était déjà trop.

Pendant tout ce temps, les marches climat déferlaient avec à leur tête les associations environnementales et les Verts pour sensibiliser sur les mises en garde du GIEC. On avait pu croire à une convergence entre verts et jaunes (plus le rouge des syndicats et le violet des LGBTQ+), mais on sentait trop de défiance dans les cortèges entre les écolos classes moyennes et les Gilets jaunes prolos et déclassés. Les uns jugeaient les autres petits bourgeois élitistes, quand les autres jugeaient les uns nationalistes et fascisants. Bref, l’unité et le grand soir attendraient encore un peu.

Après la pandémie et les manifestions antivax ou contre les lois sécuritaires, on avait eu Plus jamais ça avec, en tête de cortège, la CGT, Attac et Greenpeace. Une trentaine d’associations citoyennes, populaires et écologistes dont l’objectif était de fédérer les mouvements sociaux pour une société plus solidaire, plus juste et plus égalitaire et pour sortir du productivisme et de la consommation sans limites. Pour « le monde d’après », un autre monde possible déjà réclamé par les altermondialistes.

Trois réussites : la raffinerie de Grandpuits, la coopérative des masques à Saint-Brieuc et la papeterie de La Chapelle d’Arblay plus, si on veut compter large, la ligne ferroviaire Pau – Rungis pour les trains de marchandise. Des photos de famille avec Martinez, Duflot, Trouvé et Julliard mais des collectifs en province ayant toutes les peines à mobiliser et à agir, au-delà de quelques rassemblements, manifs et forums sociaux dans le meilleur des cas. Il semble que l’affaire soit enterrée, même si, pour les plus optimistes, Plus jamais ça aura réussi à décloisonner les chapelles et à faire travailler ensemble des militants de culture et de traditions différentes. Un peu maigre comme bilan. Mais, comme chantait l’autre, « c’est déjà ça ».

Côté politiques, il y a eu la Nupes, rassemblement électoraliste pour les uns, porteur d’espérances pour l’avenir pour les autres. 5 partis rassemblés pour faire échec à la droite et à l’extrême-droite aux dernière législatives. Socialistes, écologistes, communistes, LFI, Génération(s), plus les trotskistes du POI et Ensemble !. Ça n’a pas suffi mais, quel que soit le contexte, on s’était dit que l’unité était possible et réalisable. Mais ça branle dans le manche, les plus fidèles à la NUPES semblent être, outre LFI, Génération(s) et les socialistes, en attendant de se remplumer. EELV cherche par tous les moyens de reprendre ses billes et le PCF semble n’attendre que le moment opportun pour claquer la porte et rouler seul vers une énième déroute.

Les dernières manifestations pour le pouvoir d’achat, contre les budgets d’austérité et la PFLSS n’ont pas été à la hauteur des enjeux, comme on dit pudiquement, à part celle inaugurale du 29 septembre. Passe pour le 12 octobre, mais celles d’après sont minables (dont une date en pleine vacance de Toussaint, bravo pour la stratégie). Les nouvelles dispositions scélérates sur les conditions d’indemnisation des chômeurs n’ont pas renforcé les cortèges. La CFDT et les autres syndicats réformistes n’y vont pas (pas vraiment contre mais pas dans leur culture syndicale !), F.O fait le service minimum (une fois là, une fois absent) et la CGT impose son calendrier sans discussion avec ses partenaires (Solidaires et FSU). Ce qui fait que Solidaires n’appelait même pas à la manifestation du 10 novembre, laissant ses troupes décider. On ne parle même pas de la répression de moins en moins décomplexée exercée par les forces de l’ordre, comme on dit, et pas seulement contre les cow-boys du carré de tête. Ne parlons même pas de cette manif de rentrée à l’initiative de la NUPES vue par les syndicats comme une atteinte à la Charte d’Amiens.

Pas beaucoup mieux dans l’associatif, où chaque organisation a son propre agenda et son calendrier et où la convergence est quasi impossible. Attac essaie de fédérer d’autres associations dans des luttes contre les banques climaticides (BNP, Société Générale), les multinationales (Total, Amazon, Mc Do) et les grands projets inutiles et imposés (PARC pour La friche Saint-Sauveur, NADA pour l’extension de l’aéroport de Lesquin ou Ch’Moisnil pour Marquillies où un entrepôt Heineken est en construction, sans parler de Tropicalia et autres joyeusetés), mais chacun s’occupe de ses petites affaires, sans en référer aux autres. On a beau solliciter par les réseaux sociaux et envoyer des courriers, on se retrouve trop souvent à trois pelés et deux tondus sur le théâtre des opérations (comme disent les militaires). Amis de la terre, ANV COP21, Alternatiba, Attac, Oxfam, Greenpeace, XR… Rarement ensemble, et surtout pas tous en même temps.

Il n’est qu’à voir les soirées débats publics ou manifestations diverses avec une absence totale de concertation dans les dates, ce qui donne le plus souvent des initiatives qui vont dans le même sens mais qui se font concurrence (libre et non faussée?). N’y aurait-il pas possibilité de se coordonner au moyen d’une application informatique ou d’un calendrier comme le fait par exemple Démosphère et ses recensements d’événements, même si les choix ne concernent souvent qu’une petite partie du mouvement social, disons anars et dépendances.

Et pour les retraites ? « It’s now or never », comme chantait Elvis Presley sur l’air de O Solé Mio. On connaît déjà les grandes lignes qui vont être rappelées le 10 janvier. Le projet Macron est clair et reprend les choses où luttes et pandémies les avaient laissées, en pire. On abandonne la retraite à points qui plaisait tant à la CFDT et on recule à 65 ans (64 au mieux) l’âge du départ à la retraite et de sévères décotes pour ceux qui n’y arriveront pas, avec une étatisation progressive du système. Quant on sait l’espérance de vie d’un ouvrier, autant dire que ce sera la sortie du monde du travail les pieds devant, sans parler de l’emploi des seniors et des nombreux chômeurs dans cette catégorie d’âge. Mais il faut bien satisfaire aux critères de Maastricht et retrouver sa place parmi les bons élèves de l’Union Européenne. Hein Lemaire ? D’autant qu’on en a déjà tant fait pour les riches et les entreprises, faut bien trouver l’argent dans les services publics et les services sociaux.

Alors, tous ensemble cette fois-ci, puisque tout le monde est contre et que la CFE CGC parle même de « foutage de gueule » ? Tous ensemble dans la rue ? Tous ensemble pour chercher un débouché politique qui mettrait fin à ce gouvernement empêtré dans les affaires et les conflits d’intérêt ? On va encore nous expliquer que « tu comprends, c’est plus compliqué que ça ». Jusqu’à la prochaine fois, cette fois-ci c’est la bonne. On appelle ça une machine à perdre, mais il arrive que les machines s’enrayent. N’abandonnons jamais l’espoir (NAJE).

8 décembre 2022

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