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CHAGALL : L’ÉVANGILE SELON SAINT-MARC

Marc Chagall, aperçu des oeuvres. Les tableaux d’une exposition comme disait Moussorgski.

Le musée Chagall à Nice, un joli pavillon avec jardin arboré et les toiles et les fresques du maître dans toutes les salles. « Messages bibliques » dans la grande salle, « Cantique des cantiques » dans l’autre. C’est le Chagall mystique, religieux, spirituel qui revisite l’histoire sainte à travers des tableaux aux couleurs chaudes où les symboles et les signes se promènent en liberté. On peut trouver cela d’une munificence touchée par la grâce comme on peut y voir autant de bondieuseries colorées. Question d’humeur plus que de religion.

Nice is nice, comme diraient les Anglais, sans savoir forcément ce qu’est une tautologie. C’est à Nice que se situe le musée Chagall qui réunit toute l’œuvre dite religieuse de l’artiste. Soit le Message biblique avec la Genèse et l’Exode, et le Cantique des cantiques, autre livre de La Bible connu aussi sous le nom du Chant de Salomon.

J’ai le souvenir que les meilleurs moments de ma scolarité en primaire étaient ces cours d’instruction religieuse (j’étais chez les curés, eh oui!, comme quoi on change) où un prêtre en soutane et godillots déployait sur un grand tableau les images saintes de l’épopée biblique. On avait droit à ses explications enthousiastes sur tous les épisodes qui nous plongeaient dans le mystère : les 7 plaies d’Égypte, le buisson ardent, Job sur son tas de fumier, les noces de Cana, la pêche miraculeuse, la traversée de la mer morte… Je me régalais comme si un enchanteur, une sorte de Shéhérazade faite homme d’église, était venue nous raconter les mystères de l’Orient avec des histoires à dormir debout dont nous comprenions déjà le caractère douteux de l’authenticité historique, mais nous nous laissions néanmoins séduire par ces images d’autres temps qu’accompagnaient les commentaires exaltés du saint-homme.

C’est un peu la même chose ici, avec des tableaux et des fresques représentant tous les épisodes de la sainte bible, depuis la création de l’homme jusqu’à Moïse recevant les tables de la loi et en passant par le sacrifice d’Abraham, l’arche de Noé, l’échelle de Jacob, la tour de Babel et bien d’autres choses encore. Autant dire qu’on a grandi depuis et que la magie n’opère plus, même si on reconnaît les qualités plastiques de tableaux où dominent les bleus et les verts. Il ne s’agit pas de contester le talent de Chagall mais plutôt de déplorer la surabondance de signes, de symboles, de métaphores et de messages, justement.

Sans s’attendre si peu que ce soit à quelque chose d’iconoclaste, on pouvait au moins croire à une vision personnelle d’artiste qui a un univers singulier. Une sorte d’évangile vu par Chagall. On a hélas l’impression d’images sulpiciennes collant parfaitement avec les canons esthétiques du christianisme.

Guère vraiment mieux au niveau du Cantique des cantiques, le poème de la bible qui fait l’objet de cinq tableaux où là aussi abondent signes et symboles : colombes, chevaux ailés, anges, ânes, boucs, femmes nues volant comme dans l’éther. Le tout cette fois dans les tons roses et orangés. Même si, pour le coup, Chagall mêle à ses envolées mystiques à des témoignages subreptices de ses goûts pour le cirque ou la musique tzigane.

À la fin de l’exposition, on a droit à des photographies consacrées à l’inauguration du musée Chagall en 1973, avec le récipiendaire déjà octogénaire, Jacques Médecin, sinistre maire de Nice à l’époque, Maurice Druon ministre de la culture de Pompidou et l’inévitable André Malraux, intellectuel gaulliste de service pour tous les événements de ce genre. Pas de quoi attendre autre chose qu’un art académique consacré par la bourgeoisie cultivée (lectrice du Figaro) en quête d’émotions esthétiques. De quoi fuir tout au contraire.

Il y a aussi l’exposition Chagall et la musique et quelques fresques dans une autre salle, mais on n’est toujours pas convaincus et on se dit qu’on n’est peut-être passé à côté d’une œuvre qui mérite mieux que ces quelques aperçus sur la base des saintes écritures. Alors on a décidé de creuser un peu et de voir d’où vient le bonhomme et ce qu’il avait dans le ventre.

Moïche Zakharovitch Chagalov (dit Chagall) est né le 7 juillet 1887 en Biélorussie, près de Vitebsk, dans une famille de juifs hassidiques. La Biélorussie est alors rattachée à la grande et sainte Russie ; sa mère tenant une épicerie de village et son père étant employé à la synagogue. Liozna, son village de naissance, sera pour lui le paradis de l’enfance et il est l’aîné d’une famille de neuf enfants. Ses parents encouragent ses dons artistiques et il part pour l’école des beaux-arts à Saint-Pétersbourg après avoir été l’élève du peintre Iouri Pen à Vitebsk.

Il arrive à Paris en 1910, en pleine révolution cubiste et fauviste, mais il ne s’affilie à aucune école et admire plutôt les peintres classiques que sont Géricault ou Watteau. Il devient l’ami du poète Blaise Cendrars, le seul de la bohème parisienne à parler trois mots de russe, et le voyageur du Transsibérien le présente à Apollinaire et à Robert Delaunay qui va avoir une forte influence sur son œuvre. À Paris, il devient franc-maçon et, sous l’influence d’Apollinaire, s’intéresse à l’ésotérisme et à la kabbale. Il expose pour la première fois en 1914, au palais des indépendants, puis à Berlin dans la galerie Der Stürm avec Paul Klee dont on a déjà parlé ici.

Chagall repart ensuite en Biélorussie où il fait la chronique picturale de sa communauté juive, une communauté déjà persécutée par la police tsariste qui voit en elle autant d’espions au service de l’étranger. Il expose et se rapproche des milieux révolutionnaires qui en font, en 1917, un commissaire aux Beaux-arts à Vitebsk où il prend la direction de son école d’art. Mais ce compagnonnage est de courte durée puisqu’on profite d’un de ses voyages à Moscou pour le débarquer et le remplacer par Malevitch, l’homme au carré blanc sur fond blanc.

Il quitte ce qui est désormais l’URSS en 1922 pour retourner à Berlin d’abord, puis à Paris où il illustre des Fables de La Fontaine, Les âmes mortes de Gogol et, bien sûr, La bible. Naturalisé français pour fuir les persécutions antisémites au début des années 1930, il se rapproche du peintre hongrois Imre Amos. Arrêté en 1941 en tant que juif, il doit sa survie à un journaliste américain qui l’envoie à New York où il vit en exil. Après la mort de son épouse Bella en 1944, il rencontre Virginia Haggard, épouse Mc Neil et pas divorcée dont il aura un fils en 1946, le chanteur David Mc Neil. Puis ce sera Valentina Brodsky en 1952 avec laquelle il vit à Vence où il se rapproche du marchand d’art Maeght qui vend ses tableaux dans le monde entier. Il élargit sa palette avec des gravures, des vitraux et des mosaïques.

Ce sont ses vitraux qui vont lui donner sa célébrité : la cathédrale Saint-Étienne de Mayence notamment qui illustre le martyr juif, mais aussi des vitraux de la cathédrale de Reims. Mais il doit surtout sa gloire aux plafonds de l’Opéra Garnier ou du Théâtre juif de Moscou, sans parler d’une tapisserie à la Knesset, le parlement israélien, représentant l’histoire du peuple juif à travers les récits bibliques. On n ‘en sort pas et la boucle est bouclée.

Il meurt presque centenaire, à 98 ans, en 1985 à Saint-Paul de Vence, pieusement décédé on suppose.

Voilà, ce qu’on appelle une vie dans le siècle et d’autres œuvres de Chagall lui rendent mieux justice, en peintre du folklore juif et du shetl, à mi-chemin entre le Talmud et les traditions religieuses juives et tous les courants de l’art moderne, à commencer par le surréalisme où il peut rivaliser avec les Masson, Miro, Tanguy et autres De Chirico. On se doute bien que Chagall ne s’est pas contenté d’illustrer l’histoire sainte, tous ses tableaux exposés dans son musée niçois, il a aussi un univers plus personnel où il joue avec les formes et les couleurs pour aboutir à quelque chose d’aérien, de fugace, de volatil.

Bref, un immense artiste, un grand homme, un être exceptionnel. Tout ça tout ça. Mais, dans notre inculture crasse et notre stupidité congénitale, on se permettra de lui préférer son fils, l’auteur-compositeur David Mc Neil, dont j’avais acheté le premiers disque. L’album sans titre (David Mac Neil) en 1972 avec « Good Captain Crash », « Hollywood » et « La lamentable histoire de Simon Wiesenthal », ou encore L’attentat, en 1974, avec des chansons drôles et subversives comme « Marcellin Pain et Vin » ou « Chanson Pour Lenny Bruce ».

Il est encore bien vivant à 76 ans et souhaitons-lui la même longévité qu’à son grand artiste de père. « Good captain Crash, avait fumé du hash / en compagnie de Crosby, Still and Nash.

Où il se cache ? Captain Crash ». Ça vaut pas les vitraux et les plafonds de feu son père ? Affaire de goût, dira-t-on.

Musée Chagall / Avenue du Docteur Ménard / Nice.

10 février 2023

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