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L’ÉVANGILE ACCORDÉ AUX ADOLESCENTS BOUTONNEUX

What about cookin’ up something with me ? (Hank Williams). Photo Discogs.

C’est il y a pile 50 ans que ce film est sorti. American Graffiti, de George Lucas, qui braquait ses projecteurs sur le paradis adolescent des années 1950 aux États-Unis. Dans les années 1970, les « revivals » et les nostalgies des années 1950 étaient à la mode, et on redécouvrait les trésors vinyliques de ces temps bénis. Le double album éponyme contenait une quarantaine de perles sorties entre 1953 et 1964 (à part deux morceaux dus à Flash Cadillac & The Continental Kids). Il y aura ensuite une sortie en CD et des « more » American Graffiti, mais c’est de ce double album vinyle dont on va parler. Rien moins que les chants de l’innocence. L’évangile accordé aux adolescents boutonneux. Hail Hail rock’n’roll !

Les disc-jockeys de légende ont largement contribué, eux aussi, à la gloire du rock’n’roll. À commencer par Alan Freed, venu de Philadelphie via Cleveland pour animer un show 100 % rock’n’roll sur la station Wins, à New York et il présentera parallèlement un spectacle au Paramount Theatre avec les pionniers du rock et les vedettes du rhythm’n’blues. C’est lui à qui la légende prête l’invention du terme rock’n’roll pour désigner cette musique de sauvage décriée par l’Amérique Wasp.

On avait aussi dans le genre Tom « Big Daddy » Donahue, l’un des D.J californiens les plus fameux qui causait dans le poste depuis KYA à San Francisco avant de créer le label Autumn Records, lequel signera les Beau Brummels. La légende veut qu’il se soit suicidé dans son studio, « en live », mais il est en fait mort d’une crise cardiaque à un âge canonique.

De Los Angeles, lui, Rodney Bigenheimer sur KROQ FM, qui passera beaucoup les Beach Boys et tous les groupes californiens. Il dirigera ensuite une boîte de nuit, l’English Disco, avant de servir de caisse de résonance à tous les groupes punks américains.

On pourrait aussi parler de Murray T he K. (Murray Kaufman pour l’état-civil) qui remplaça Freed, condamné pour fraude fiscale, au micro de Wins à New York, tout en organisant des concerts comme au Radio City Hall, comme Freed. Murray the K a été surnommé aux États-Unis le cinquième beatle (un de plus) pour s’être fait le héraut de leur première tournée américaine et il agira de même pour les Rolling Stones et tous les groupes anglais, en auxiliaire docile de la British invasion. Un collabo?

On ne parlera pas ici de l’auto-proclamé Président Roskoe, certes Américain, mais qui a fait toute sa carrière en Angleterre (Caroline) et en France (RTL puis Europe) avant d’émettre depuis une embarcation cabotant au large de Los Angeles. Roskoe avait quitté la France en mai 68, horrifié par les événements et souhaitant échapper aux hordes gauchistes qui auraient pu en vouloir à sa fortune.

Mais c’est bien Wolfman Jack qui va le plus marquer les esprits, et faire saigner les oreilles. Une voix éraillée de rogomme, comme s’il s’était passé les cordes vocales au papier de verre avec six paquets de clopes par jour, sans parler du whisky. Robert Winston Smith de son vrai nom, a longtemps marché sur les brisées d’Alan Freed, apprenant le métier avec son mentor. Il sera l ‘ambassadeur américain de Radio Caroline après son interdiction en Angleterre et il y animera des émissions sous l’égide de son associé Don Kelley, qui finira par le virer. C ‘est donc quelque part dans une zone désertique du Nouveau-Mexique qu’il va monter son propre studio – juste une cabane ou un hangar – et devenir une légende, la voix dans la nuit de l’angelo myterioso qui rythme les émois adolescents et les virées nocturnes.

On le voit à la fin du film, comme un dieu vivant, une apparition devant une bande de gosses chahuteurs. Sur le disque, on peut entendre sa voix rauque (rock) présenter une dizaine de morceaux sur un disque enchanteur.

Pour résumer le film, disons qu’il s’agit de la déambulation nocturne, à Modesto (Californie) et à l’été 1962, d’une bande d’adolescents un peu avant leur passage à l’âge adulte avec force scènes de virées en voiture, de drive-in, de surprises-party et de juke-boxes. Un hymne à la nostalgie qui se referme justement sur la vision de l’homme-loup au fin fond du désert ; celui qui a rythmé toute cette dérive en faisant défiler sa programmation musicale commentée d’une voix de coyote. Un film qui vaut surtout par sa bande-son mais qui reste un classique de ce nouvel Hollywood avec ses cinéastes – Lucas, Coppola, Spielberg ou Scorcese – qui ont rajeuni l’usine à rêve, juste avant les Terence Malik et autres Michael Cimino.

Le film de George Lucas est servi par de jeunes acteurs qui allaient devenir les nouvelles étoiles d’Hollywood, comme Richard Dreyfus ou Harrison Ford, dans un petit rôle. Mais écoutons de plus près cette bande-son.

Rappelons qu’au début des années 1970, on a assisté à une avalanche de compilations de cet âge d’or où les roucouleurs crantés du College Rock tenaient la corde, témoin les deux volumes de ce Musée de Salut Les Copains, livre d’heure de l’émission culte d’Europe 1 lancée par Daniel Filipacchi en 1959 et qui disparaîtra enfouie sous les pavés de Mai 68.

On ne va pas détailler ici les 41 titres figurant sur ce double album. Disons qu’on a à la fois des classiques du rock’n’roll et du rhythm’n’blues, mais avec une nette prédominance de ce genre de rock sucré qu’on a appelé un moment College rock.

Un genre apparu à la fin des années 1950 alors que les pionniers du rock baissaient tous pavillon pour différentes raisons. L’armée pour Elvis, des ennuis judiciaires pour Jerry Lee Lewis ou Chuck Berry, l’appel de la religion pour Little Richard ou tout simplement la mort pour Buddy Holly et Eddie Cochran. Seuls un Gene Vincent malade et un Bo Diddley inoxydable ont pu sauver l’honneur, rendant vite les armes devant les roitelets du College rock : Del Shannon, Frankie Avalon, les Everly Brothers, Paul Anka, plus une pléthore de groupes comme les Diamonds ou les Fleetwoods à la durée de vie souvent éphémère. Le College rock sera à son tour balayé par la Surf music des Beach Boys en 1962 puis par le Merseybeat et le British Beat, soit la Pop music made in England.

Il est plaisant de réécouter ces petites perles, ces chansons aux mélodies ciselées qui vous entrent dans la tête et qui n’en sortent plus. Entendre Wolfman Jack annoncer « Da Great Buddy Holly !» avant les premières mesures de « That’ll Be The Day » ou le « Why Do Fools Fall In Love » de Frankie Lymon & The Teenagers. Les deux titres de Flash Cadillac, groupe de rock parodique à la Sha-Na-Na, font presque apocryphes avec leurs versions de « She’s So Fine » ou du « At The Hop » de Danny & The Juniors.

Sur l’autre face, on entend déjà les Beach Boys avec « Surfin’ Safari » et le « Almost Grown » de Chuck Berry, véritable manifeste du malaise adolescent, mais c’est encore les Monotones qui décrochent la timbale avec leur « Book Of Love » (« I wonder – quatre fois -who wrote the book of love »), sans parler des Platters qui placent leurs plus beaux hits, « The Great Pretender » et « Smoke Gets In Your Eyes ».

On change de disque avec Fats Domino mais la voix du loup dérape dans les graves pour introduire des classiques du College rock comme le « Get A Job » des Silhouettes, le « Love Potion n°9 » des Clovers ou le « Do You Wanna Dance » de Bobby Freeman, sans parler du « You ‘re Sixteen » du grand Johnny Burnette dont le fabuleux « Dreamin’ » prend place dans le Musée de SLC.

Mais on garde le meilleur pour la fin et c’est encore la face 4 qui s’avère la plus enthousiasmante avec le « Chantilly Lace » du Big Bopper, mort lui aussi avec Buddy Holly et Richie Valens dans le crash de leur avion dans le ciel neigeux du Dakota. Le «Cryin’ In The Chapel » des Orioles est un petit bijou et le « Green Onions » de Booker T. & The MG’s annonce les trésors de Atlantic Records. Le tout se termine sur le « All Summer Long » des Beach Boys, parfaitement adapté au thème du film, un hymne enjoué à l’été californien qui sera la marque de fabrique des frères et cousins d’Hawthorne (Californie), avant que Brian Wilson ne s’enlise dans son bac à sable et ses anti-dépresseurs.

Il y aura aussi le volume 2, qu’on ne peut passer sous silence tant il regorge lui aussi de hits juvéniles. On citera pour mémoire le « Teenager In Love » de Dion & The Belmonts, le « Louie Louie » des Kingsmen, le « Duke Of Earl » de Gene Chandler ou encore le « Shoop Shoop Song » de Betty Everett. C’est aussi un double album qui fait la part belle aux Girls Groups de ces années-là comme les Shirelles, Little Eva ou les Chantels ou des groupes Atlantic comme les Coasters.

« With introductions by the howling, prowling Wolfman Jack », peut-on lire sur le verso de la pochette. Tout est dit.

Ces deux albums sont le pendant musical du chef-d’œuvre de Guy Peellaert Bye Bye Baby Bye Bye, chapelle sixties du rock. Ici, on a les chants de l’innocence et les chœurs séraphiques de cet été de l’adolescence qui débouche trop souvent sur l’automne de la vie. C’est tout le propos de ce film.

AMERICAN GRAFFITI (SOUNDTRACK FROM THE MOVIE) – VARIOUS ARTISTS – MCA

1° novembre 2023

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