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QUESTIONS À SOPHIE DJIGO

C’est aussi ça Migractions 59, l’accueil. Ça continuera malgré les lois Immigrations

Professeur de philosophie, militante à Migr’actions et contre l’extrême-droite, Sophie Djigo a échangé avec la section sur l’extrême-droite, ses différentes catégories, ses fondamentaux et ses méthodes. C’était l’occasion d’un entretien qui, au-delà de l’extrême-droite, a porté sur le militantisme, les migrants, Roubaix et d’autres choses encore. Interview.

– Peux-tu parler de ton association, Migr’actions ?

– Nous fonctionnons en réseau dans tout le Nord et le Pas-de-Calais, avec un lieu de stockage pour les vêtements et autres à la FAL de Roubaix. Nous agissons dans a métropole lilloise et sur la côte. Nous organisons des accueils tous les week-ends, des accueils de répit pour permettre aux migrants de s’adapter aux situations locales car ils sont en transit. Leur accorder un peu de repos dans leur parcours.

– Tu organises les lundis militants tous les troisièmes lundis du mois à la FAL, peux-tu nous en dire plus ?

– Les troisièmes lundis du mois sont l’occasion pour notre association d’inviter des intervenant-e-s pour des débats publics, dans le cadre de la convergence des luttes. Cela va au-delà des migrations et de l’exil, mais c’est dans le but de nous rencontrer sur des terrains de luttes avec des ennemis communs. Les personnes engagées dans Migr’actions sont peu militantes, il est nécessaire de politiser les luttes, ce que nous avons fait dans ce cadre avec Françoise Vergès sur le colonialisme ou Assa Traoré sur les violences policières.

– Et ton militantisme au sein d’ATTAC ?

– Je suis depuis longtemps l’activité d’Attac. J’apprécie la culture politique de ses militants. Ils sont généralement bien formés.

– Que penses-tu des différences de culture militantes entre lutte des classes et intersectionnalité, pour le dire schématiquement ?

– Quelles que puissent être les grilles d’analyse, nous sommes contre le consensus mou. Il nous faut plus d’espace de débat, de mise en commun. Il faut former des militants et forger des outils intellectuels afin d’organiser les luttes. Les deux approches militantes ne sont pas contradictoires, il importe de créer des liens de solidarité et de faire converger les luttes.

– Tu nous as parlé l’autre soir en section du harcèlement que tu subis dans le cadre de tes activités contre l’extrême-droite. Souhaites-tu y revenir ?

– J’avais dit que, paradoxalement, ce ne sont pas mes activités militantes avec Migr’actions qui leur posent problème, mais mes écrits sur l’extrême-droite. Ce sont des insultes, des attaques et on nous attaque en tant que chercheurs. Les savoirs produits en sciences sociales sont des outils de lutte, et c’est ce qu’ils redoutent. L’extrême-droite se choisit des bouc-émissaires, mais nous ne sommes pas des victimes.

– Tu enseignes la philosophie et tu publies…

– Je suis enseignante en lycée, en classe prépa. J’ai d’abord fait 7 monographies, dont trois sur l’extrême-droite. J’ai aussi écrit sur l’utopie, les quartiers populaires, la criminalisation des mouvements sociaux. Et un roman récemment (Sécession – Les étaques éditeur).

– Lorsqu’on examine ton parcours militant, on pense à des gens comme Cédric Herrou par exemple…

– L’état de droit est de plus en plus grignoté. Les lois ne sont pas appliquées. Nous veillons à faire triompher le droit sur la force en attirant l’attention sur la criminalisation des solidarités. Il y a eu récemment de grands procès d’hébergeurs en Belgique.

– Revenons sur l’extrême-droite et son retour depuis la fin des années 1970 avec le Grece notamment.

– Il faut être prudent avec la notion d’intellectuels d’extrême-droite. Les libéraux, à l’origine, étaient des penseurs de la liberté. L’extrême-droite utilise des arguments idéologiques pour défendre les inégalités. Elle utilise des penseurs comme Levi-Strauss pour justifier une idéologie coloniale ou emprunte à Jaurès (voir Zemmour). En fait, il est difficile de s’appuyer sur la philosophie pour justifier les inégalités et les injustices. L’extrême-droite a puisé dans Nietzsche ou dans Heidegger et la gauche a eu avec ces philosophes un attitude complaisante.

– Les tenants d’une laïcité dure disqualifient souvent l’adversaire par le procès en islamo-gauchisme…

– Oui, c’est une tendance qui recoupe aussi les discours anti woke d’un Jean-Michel Blanquer. C’est contre cela, entre autre, qu’on se bat pour défendre les libertés académiques dans le CALAAP (Coordination antifasciste pour l’affirmation des libertés académiques). La coordination est ouverte aux individus et aux collectifs pour, en s’appuyant sur l’existant, mutualiser et construire des dispositifs d’auto-défense.

– L’extrême-droite, et la droite, prétendent toujours combattre l’égalitarisme.

– Oui, ils font l’amalgame entre égalité et égalitarisme pour disqualifier toute idée d’égalité. Pour eux, le progressisme est une idéologie de propagande.

– Finalement, le propre de l’extrême-droite n’est-il pas de privilégier la force sur la discussion, la pensée ?

– Oui, la force sur la réflexion. Ils usent de méthodes violentes pour imposer leur point de vue, et c’est un réel danger que d’user de la force.

– Tu parlais à la réunion de section de trois extrême-droites…

– Oui, la traditionnelle, l’identitaire et la parlementaire. Une partie de l’extrême-droite se veut parlementariste par opportunisme électoral, et il y a une surenchère dans la droite classique pour attirer ses électeurs. Voir l’élection du nouveau maire de Téteghem. On applique les recettes de l’extrême-droite pour contrer l’extrême-droite, c’est aberrant.

– Tu disais l’autre soir que « idéologiquement, ils ont perdu », mais on voit que l’extrême-droite remporte des victoires et participe à des coalitions partout dans le monde…

– J’ai voulu dire que son programme n’a aucune chance d’être appliqué. Ils n’ont pas perdu au niveau de la conquête du pouvoir. Il ne faut pas confondre la possibilité d’appliquer leurs idées avec la conquête du pouvoir. Il faut déconstruire leur rhétorique et leur idéologie.

– Sur la question du populisme, une catégorie dans laquelle on a enfermé des leaders de gauche avec des théoriciens comme Chantal Mouffe ou Ernesto Laclau…

– C’est une stratégie pour attirer l’électorat des classes populaires, mais on voit bien que ça ne fonctionne pas. Voir aussi les nombreux départs dans LFI.

– C’était aussi une stratégie d’implantation dans les quartiers populaires…

– Les quartiers populaires sont très politisés, même si ça ne s’exprime pas que par le vote. Les taux d’abstention ne reflètent pas cette politisation et on touche là aux limites de la démocratie participative. Les gens des quartiers ont perdu foi dans les politiques de la ville, ils se sentent trahis.

– Est-ce que tu suis les luttes sur le logement à Roubaix ?

– Oui, mais des collectifs sont très contestés dans leur refus de tout compromis. Il y a une volonté d’homogénéisation des habitants des quartiers populaires.

– Sur la CALAAP ? Quels sont les objectifs ?

– Ne pas agir au cas par cas et appréhender les attaques à visibiliser de façon synoptique. Il faut créer des passerelles entre le secondaire et l’université, tenir compte du public auquel on s’adresse. Produire du contenu, sur l’homophobie par exemple, et veiller à la rigueur de ces contenus pour faire de l’auto-défense intellectuelle. Nous produisons des fiches de synthèse pour s’armer intellectuellement, une veille pour recenser les attaques et les pressions et nous accompagnons les victimes.

– Sur l’évolution des mouvements antifascistes, de puis le SCALP à La Horde en passant par Ras L’Front ?

– On constate un affaiblissement sur les deux dernières décennies. Il faut réactiver le mouvement antifasciste et des collectifs comme Jeune Garde, le GALE ou La Horde vont dans ce sens. La violence de certains de ces groupes est de l’auto-défense et ils se battent avec les armes du droit avec des stratégies judiciaires collectives. Le choix des moyens de lutte est important.

– sur le personnage de Nathan, « héros » de ton roman ? Proche de Damien Rieu…

Sécession est un récit de vie. Une stratégie de conquête du pouvoir par les réseaux sociaux. Rieu est un leader de Génération identitaire, passé à Reconquête et assistant parlementaire au Parlement européen. Il est basé en Picardie. C’est quelqu’un qui suggère beaucoup dans ses tweets, qui est beaucoup dans l’implicite. Quand on voit les descentes de l’extrême-droite à Romans sur Isère par exemple, ces tweets implicites sont inquiétants.

– L’extrême-droite veut instaurer un climat de guerre civile, une guerre dont ils sortiraient vainqueurs.

– Ils jouent beaucoup sur les peurs et sur les frustrations sexuelles. Un penseur comme Wilhelm Reich a bien théorisé ce concept de panique sexuelle.

– Tu parlais aussi d’idéalisme chez des jeunes tentés par l’extrême-droite…

– Oui, c’est la dimension sacrificielle. Le sens de la justice, de la fraternité, du chevaleresque. C’est un idéalisme qui ne trouve pas de canal pour s’exprimer d’où les risques de populisme.

– Et des mouvements issus de la gauche comme le Printemps républicain ou le Réseau Voltaire ?

– Ce sont des islamophobes et donc des gens qui ne veulent pas de l’égalité. Ils n’arrêtent pas de dire que « tout fout l’camp » et « qu’on ne peut plus rien dire », nostalgiques d’une France fantasmée. Il y a aussi les rouges-bruns, néo-staliniens, ou les verts-bruns, écolos autoritaires. Mais il faut plutôt faire l’analyse des personnes qui basculent dans le racisme et l’islamophobie. Il y a aussi une responsabilité des gens des quartiers, victimes d’exclusion, qui retournent les stigmates dont ils font l’objet. Il y a un contre-lexique de la république et de la laïcité, il importe de parler de vérité et de justice.

Propos recueillis par D.D

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