RICHARD PRICE – THE WHITES – Presses de la cités
Et encore un Price, jusqu’à l’épuisement. Ici, on suit Bill Graves, un flic du Bronx qui manage une équipe de nuit après avoir été rétrogradé à la suite d’une fusillade où un enfant a trouvé la mort.
On suit l’activité de la brigade dans les premiers chapitres, rien de bien nouveau quand on connaît Price qui sait nous faire vivre les petites tragédies quotidiennes de la rue new-yorkaise.
L’affaire prend tournure avec le personnage de Milton Ramos, un ancien flic qui revient parfois faire des extras avec la brigade mais qui est obsédé par le chauffard ayant tué sa femme et, surtout, par l’adolescente qui a malencontreusement donné le numéro d’appartement de son frère, assassiné par une bande de dealers. L’adolescente est devenue l’épouse de Graves, Carmen, infirmière de son état et la vengeance de Ramos s’instille en harcèlement discret sur la famille du flic, 25 ans après.
Un « white » dans l’argot de la police, c’est un truand qui sort blanc comme neige en dépit des forts soupçons pesant sur lui. Soit un truand qui nargue les flics en toute impunité. Les Wild Geers (oies sauvages) sont une fraternité de la police, une amicale où se rencontrent régulièrement Graves, Whelan, Yasmeene, Redman et Pavlicek. Certains sont partis à la retraite et d’autres ont changé de métier : Redman croque-mort ou Pavlicek agent immobilier. Seul Graves est toujours sur le terrain.
Ces flics ou ex ont tous leur « white », celui qu’ils n’ont jamais pu coincer malgré une lutte acharnée de tous les jours. Bizarrement, ils sont tous exécutés les uns après les autres et, pour ne pas éveiller les soupçons, chacun a pris le white d’un autre. Les hostilités ont débuté quand l’un d’eux, Pavlicek, a vu son fils s’éteindre d’une leucémie foudroyante à l’hôpital.
Graves a aussi un white, mais il sera épargné car le flic de nuit refuse toute idée de vengeance para-légale. Après une enquête serrée, il ne dénoncera pas ses collègues, trop occupé à sauver son épouse de la fureur incontrôlée de Ramos exercée contre sa femme.
Les deux intrigues sont développées en parallèle et le rythme est haletant avec des personnages singuliers comme la bonne salvadorienne de Ramos qui lui sert aussi de maîtresse ou le père de Graves, ancien flic lui aussi atteint d’Alzheimer qu’il se refuse à placer en institution.
Autant le dire, on a cependant pas les mêmes sensations qu’avec les Price précédents, l’intensité est moins forte, les intrigues moins passionnantes, les personnages moins forts et les pages se tournent plus lentement. Dommage.
Une belle réflexion en tout cas sur la vengeance et sur la solidarité entre flics qui se refusent à voir triompher le mal. Une quête un peu dérisoire que l’on trouvera aussi expéditive et réactionnaire, mais Price n’a rien de politiquement correct et ses flics d’honneur font en tout cas de beaux personnages de roman. C’est l’essentiel avec un type qui nous fait vivre les nuits du Bronx comme si on l’accompagnait dans ses patrouilles. Un cauchemar urbain hyper-réaliste. Price is nice !
LIAM MC ILLVANEY – LES COULEURS DE LA VILLE – Métailié noir
Avec Mc Illvaney, on est plus vraiment dans le roman policier. La collection est dirigée par Keith Dixon, syndicaliste et historien du mouvement ouvrier anglais, et ce n’est pas un hasard. Un polar politique disons, plus politique que policier. Là où les auteurs de polars ricains n’ont pas vraiment la fibre politique, leurs collègues du Royaume-Uni en font souvent leur toile de fond, et c’est en grande partie ce qui fait leur charme (voir Rankin, Colin Dexter ou le génial David Peace).
Gerry Conway, un journaliste politique d’un grand hebdomadaire de Glasgow en difficulté reçoit un scoop d’un informateur anonyme. Le ministre de la justice du parlement écossais – Peter Lyons – pressenti pour devenir le premier ministre du parlement écossais, a été photographié avec des gars de l’UVF, une organisation paramilitaire unioniste irlandaise chargée de coups de main contre les catholiques républicains de l’IRA dans les années 1980. . Un passé que le politicien en vogue essaie de camoufler.
Conway va enquêter à Belfast et, aidé par son fixeur pigiste au journal et par un collègue, va tenter d’obtenir des renseignements sur les amis photographiés avec Lyons, dont deux ont été assassinés. Dans l’un de ces meurtres, Lyons était présent, comme en témoigne la fille de la victime, une fillette à l’époque. Un ancien prisonnier unioniste, copain de Lyons, est retrouvé mort au fin fond de la salle de boxe qu’il dirige et les soupçons s’orientent sur Maitland, un vieux truand écossais reconverti en homme de main de Lyons. Maitland trafiquait des armes depuis l’Écosse et l’Angleterre vers les unionistes irlandais du Nord.
Une intrigue bien menée, quoique un peu mince, dont on aurait pu expurger les histoires familiales pour lesquelles on a un intérêt moyen. Cela dit, on a à faire et un polar intelligent qui en dit autant sur les difficultés et les coulisses de la presse papier que sur les traces du conflit irlandais encore visibles à la fois en Écosse et en Irlande du Nord, malgré les accords du vendredi saint qui n’ont pas tout réglé, loin de là. Des témoignages insoutenables sur la haine que pouvaient se vouer les factions rivales et des familles brisées, des individus sacrifiés, des veuves et des orphelins. Une guerre civile menée par des fanatiques en vertu de leurs confessions religieuses. La pire des choses.
Et puis, il y a ces descriptions de Glasgow et de Belfast comme si on y était, et qui vous donneraient l’envie d’y aller voir, avec des tas de référence au football et au Blues. Pour Rankin, c’était Édimbourg avec les Hibernians contre Hearts Of Midlothian ; pour Mc Illvaney, c’est Glasgow, Rangers protestants contre Celtic catholiques . Et des cocktails whisky – bière qu’on aimerait inaugurer. Mais bon, on avoue préférer Rankin, notre Scotsman favori.
DON WINSLOW – LA CITÉ DES RÊVES – Harper & Collins Poche
On ne vous parle pas de tous les livres qu’on peut lire et on vous fera grâce d’un recueil de nouvelles de George Pelecanos (La dernière prise), auteur de polar de Washington D.C. Des dialogues ineptes, des personnages sans intérêt, des situations convenues et, surtout, des références à des musiques de merde qui forment la bande sonore idéale à ces nouvelles sans intrigue où l’auteur se croit au-dessus de ça en alignant lieux communs et banalités sous couvert de flingues, de dope et de baise. Affligeant.
Winslow est évidemment différent, mais sa trilogie de la cité (Cité en flammes, Cité des rêves et Cité sous les cendres) n’est pas ce qu’il a fait de mieux, quand on compare à la trilogie mexicaine et à ces grands polars que sont La griffe du chien, Cartel ou La frontière, des monuments de bruit et de fureur.
On sent la fatigue et La cité des cendres sera son dernier livre, Winslow souhaitant à se consacrer à combattre Trump et son monde pour sauver du chaos l’Amérique ou du moins l’idée généreuse qu’il s’en fait. On ne peut que le regretter tout en lui adressant tous nos encouragements. Il y aura du boulot !
C’est l’exode et Danny Ryan quitte Providence (Rhode Island) pour la Californie avec son frère et quelques rescapés de sa bande, après la mort de sa femme Terri. Les rapports se sont tendus entre les Italiens et les Irlandais et Danny, en quête de rédemption, a largué 40 kilos d’héroïne dans l’Atlantique, pour solde de tous comptes. La mafia est à ses trousses ainsi que les cartels mexicains et les fédéraux, d’autant que Ryan a dû abattre Jardine, en légitime défense, un flic pourri jouant double jeu.
Un glossaire, en début d’ouvrage, présente tous les personnages et leurs rapports et degré de parenté. On s’y perd un peu entre les familles irlandaises, les mafieux, les agents du FBI et les chefs de cartels.
Un agent fédéral propose à Ryan de détourner l’argent des trafics d’héroïne de Popeye, un chef de cartel mexicain et il tente le coup, récupérant l’argent et bénéficiant de l’absolution du FBI.
Puis c’est la deuxième partie, la plus intéressante. Un film se tourne à Hollywood sur la guerre des gangs de la Nouvelle-Angleterre, entre Irlandais et Italiens. Deux ex de la bande à Ryan essaient de racketter l’équipe du film, estimant que c’est leur histoire, et Ryan tombe amoureux de Diane Carson, celle qui doit incarner Pamela, sorte de beauté irlandaise admirée de tous. Leur amour fait la une des tabloïds et Ryan, ancien truand craignant la lumière, doit y mettre fin. Elle se suicide.
La troisième partie est un long épilogue où Ryan prend en stop une hippie qui l’emmène dans sa communauté du Nevada. Il y est retrouvé par un membre du cartel qui l’épargne comme lui l’avait épargné auparavant. C’est la fin d’une histoire de rédemption et de pardon sur fond de tragédie grecque et il n’est pas anodin de trouver des phrases tirées de Virgile (L’Énéide) avant chaque partie. Danny Ryan finira propriétaire d’hôtels de luxe à Las Vegas.
C’est efficace, écrit serré avec des dialogues au cordeau mais on peut regretter que le récit n’a pas les subtilités de la trilogie mexicaine et, surtout, que les personnages n’aient pas leur profondeur. Trop de truands bas de plafond avec une bite à la place du cerveau et le fric comme seul credo. Les femmes ne sont pas meilleures, cocaïnomanes ou alcooliques, et toujours nymphomanes. Ryan est un peu là pour sauver l’honneur, mais il est bien seul et c’est ce combat qui le rend attachant, lui l’ancien truand qui succombe sur le tard à des bouffées de catholicisme irlandais.
Mais il y a tout de même cette vision de l’Amérique et de sa face obscure, et on sent Winslow partagé entre une éternelle croyance naïve dans le rêve américain et un pessimisme foncier quant à l’avidité, le lucre et l’hubris qui animent le pays, d’où peut-être sa croisade anti-Trump. Et, tant qu’il y aura des Danny Ryan pour la faire vivre, la cité des rêves ne tombera pas. Des Danny Ryan et des Don Winslow.
ANTHONY BURGESS – LES PUISSANCES DES TÉNÈBRES – Acropole / Le livre de poche. Vol 1 et 2.
Ce cher vieux Burgess, l’un de mes auteurs favoris. C’est le genre d’œuvres colossales qu’on relit, deux lourds volumes retrouvés dans ma bibliothèque que je ne me rappelle même pas avoir déjà lus. Alzheimer guette ; la vieillesse est un naufrage. Le seul avantage, c’est qu’on peut redécouvrir des livres de cette qualité, de cette valeur, sans bourse délier.
Soit un vieil écrivain homosexuel et athée, Kenneth Toomey, qui fête ses 80 ans sur l’île de Malte et à qui un archevêque propose d’écrire un témoignage pour la canonisation d’un pape récemment décédé qu’il a été amené à connaître. Carlo Campanatti, le pape putatif au début du roman, est en fait son beau-frère, puisque Hortense, la sœur de l’illustre écrivain, a épousé le frère du futur pape.
Il y avait un roman de Roland Topor qui s’intitulait Mémoires d’un vieux con, et l’analogie n’est peut-être pas appropriée, si ce n’est dans cet écrivain qui a connu tout ce qui compte dans le domaine des arts et des lettres (et pas que). C’est aussi une histoire du XX° siècle qui nous est contée là avec ironie et une distanciation toute britannique. Burgess est à la fois théologien, philologue, linguiste, historien, musicologue et philosophe. On sait qu’il possédait une dizaine de langues et qu’il connaissait toutes les religions dans leurs moindres subtilités. Le mot « génie » n’a pas été inventé pour lui, mais il en est un, sans conteste.
Dans le premier tome, on suit avec plaisir le grand écrivain – qui pourrait être un Somerset Maugham ou un Graham Greene – des Cornouailles à New York en passant par Londres, la Sardaigne, Milan, Paris (le Paris des années 20), la Malaisie (où son ami médecin trouve la mort à la suie d’un sortilège, le « sortilège malais »?), San Francisco et Chicago où un autre frère du prélat a été agressé mortellement. C’est aussi une réflexion sur le mal. Des personnages hauts en couleur, des dialogues étincelants et une érudition permanente, sidérante.
Dans le second volume, on suit le futur pape Carlo en proie aux fascistes dans l’Italie de Mussolini alors que la crise de 29 a poussé nombre d’Américains au suicide et que Toomey est employé comme scénariste à Hollywood, là où son beau-frère compose des musiques de film. Beau-frère plus pour longtemps, puisque sa sœur, soupçonnée de le cocufier, le quitte. Direction New York avec son frère et les jumeaux, avant, pour Toomey, l’Allemagne nazie où on l’a invité. Un festival de cinéma où est présenté un film tiré de l’un de ses romans, avec Lenni Riefenstahl et la cérémonie débute par un long discours de Goebbels. La mère des Campanatti lui transmet des témoignages sur la barbarie nazie mais elle est exécutée alors qu’elle veut assassiner Himmler, et Toomey passe pour avoir sauvé le nazi.
Puis c’est la guerre, et Toomey doit s’occuper du fils d’un prix Nobel autrichien persécuté par les nazis. Sauf que le Nobel – Strehler – ne veut pas partir, malgré le faux passeport qu’on lui propose, et attend de pied ferme les SS.
L’Allemagne a déclaré la guerre à l’Angleterre, Toomey est arrêté et Strehler déporté. Pour être libre, Toomey doit accepter une interview pour les actualités allemandes. Il repasse à Milan puis à Londres. La guerre fait maintenant rage et les Juifs sont persécutés.
Rentré à Londres, Toomey est interrogé par les services qui l’accusent de complaisance envers les nazis. Il fait l’objet de libelles offensants dans la presse de la part de son ancien amant. Carlo est torturé par les derniers SS cantonnés dans une Italie qui se libère. Lui-même est libéré par des partisans qui torturent à leur tour le tortionnaire. La guerre est finie.
C’est en fait, on l’aura compris, à une profonde réflexion sur le mal qu’on est conviés ici. Le mal ontologique, autant dire le diable et les ténèbres contre le Christ et l’humanité dans une Allemagne possédée, hantée par les forces du mal. Puis c’est le ministère de l’information qui demande à Toomey d’écrire sur cette tragédie historique après lui avoir fait visiter les camps. Il est bloqué à Londres avec son neveu qui, alors qu’il photographiait la guerre, a perdu son père quand sa mère était éborgnée dans le cadre de ses travaux de sculpture.
Puis c’est New York, chez sa sœur qui vit avec sa servante noire, Doty. La famille a payé un lourd tribut à la guerre et leur frère – Tom Toomey – y a aussi trouvé la mort. Il reprend du service à Hollywood avec Ralph, un amant-secrétaire noir, le frère de Doty. Scenarii et conférences derechef avec son ex beau-frère qui lui propose d’écrire un opéra et un Carlo de plus en plus proche de la papauté.
C’est ensuite l’Afrique, Marrakech et Tanger dans ce roman-monde. Et encore les USA après Londres où il est fait un procès à Toomey pour avoir présenté un Christ homosexuel. L’homosexualité qui, avec le mal, est le thème récurrent de ce livre. Mais avant Malte, c’est Milan où il assiste à l’adaptation hollywoodienne de son opéra sur Saint-Nicolas qui fait scandale à la Scala. Soupçonné de connivences avec l’écrivain comme de sympathies marxistes, Carlo est grillé pour le Saint-siège et s’effondre en pleine homélie. Il n’en meurt pas et retrouve Toomey au casino de Monte-Carlo. Sera-t-il pape ?
Au conclave de 1958, le pape élu meurt d’une crise cardiaque et c’est Carlo qui prend la tiare. S’ensuit une tournée américaine où le nouveau pape part à la conquête de l’Américain moyen. C’est drôle.
Chaque chapitre amène ses surprises et Ralph est devenu haut-fonctionnaire d’une dictature africaine alors que le neuve de Toomey, dans le cadre de ses études anthropologiques, s’intéresse aux tribus primitives du même pays. Une maîtrise parfaite de l’art du roman.
On passe rapidement sur les années 1960 et 1970. Toomey ne comprend plus les jeunes générations, à commencer par sa propre famille. Il ne comprend plus un monde dont il se sent progressivement évincé, comme en visite, jamais de plain-pied. C’est touchant. Seul persiste le mal, sous d’autres formes, et cette homosexualité en inadéquation avec les dogmes de sa foi chrétienne. Il est juré au festival de Cannes lorsqu’il apprend l’assassinat de John et de sa compagne par des terroristes en même temps que sa petite nièce s’est enrôlée dans une secte. Autrement, c’est une adaptation au cinéma de son Socrate, un roman de jeunesse et un incroyable Bloom Bloom Tralala, d’après l’Ulysse de Joyce. Puis il va secourir sa filleule et le gourou le fait passer pour un satyre. Une secte dans le désert Mojave entre Waco et la Manson Family.
Enfin c’est la mort du pape Grégoire 17, soit Carlo, retour d’URSS et il demande un dernier entretien avec Hortense, la sœur de Toomey. Godfrey Manning, le gourou de la secte, incite ses fidèles au suicide avant d’être arrêté. À Malte, on lui apprend que le couple d’anthropologues est mort dans un rituel religieux.
Un roman en spirale, puisqu’il revient à la première scène de ses 80 ans. Son nouvel amant Geoffrey est parti. À Malte, il se fait agresser dans une ruelle et ça ressemble à son Orange mécanique. Geoffrey lui envoie le résultat d’une enquête menée à Chicago sur Carlo qui y a fait des miracles. Le miraculé n’est autre que le gourou God Manning… Sancto subito ! Le même prêtre lui confie que Carlo a voulu s’entretenir avec sa sœur avant de mourir pour lui dire qu’elle l’aimait. Le frère et la sœur se retrouvent dans les Cornouailles de leur enfance et ils dormiront dans le même lit. Miracle aussi que ce livre, et on avale goulûment ses 1300 pages. Burgess is god !
SAN ANTONIO – TOUT LE PLAISIR EST POUR MOI – Fleuve noir
Encore un vieux San Antonio trouvé dans la boîte. Vieux car il date de 1959, une bonne année. Pour le fan incorrigible que je suis, c’est à la fin des années 50 que Dard / San Antonio trouve son rythme de croisière et les volumes des années 60 et 70 sont de loin les meilleurs. Avant, c’est pas encore tout à fait ça avec des maladresses et des polars qui font un peu trop Simonin, Le Breton, Giovanni. Pas assez de fantaisie. Après, à partir des années 80, c’est un peu trop délirant et surtout trop cul pour choquer le bourgeois.
C’est mon avis et je le partage. On a ici une jolie femme – Geneviève Coras – qui s’adresse au commissaire pour sauver de la guillotine un jeune homme qu’elle prétend être son amant et le couple était soi-disant en train de s’ébattre au moment du vol de bijoux ayant donné lieu à l’assassinat du bijoutier Coras. Elle fabrique un alibi pour le futur décapité, Meyssonnier, et San Antonio n’a qu’une nuit pour trouver des éléments nouveaux.
Une nuit folle qui emmène San-A et Béru à Neauphle-le-Chateau (Seine et Oise à l’époque), pas encore connue pour avoir abrité l’ayatollah Khomeini. Béru a des lointains cousins dans le village. C’est dans une villa à côté de la ferme que se trouve la clé de l’énigme. Meyssonnier, depuis sa cellule, s’est converti au christianisme et il attend une mort légale devant lui faire expier sa jeunesse dissolue.
La Geneviève est une cocaïnomane dont le fourgue n’est autre que Meyssonnier. Ils ne sont pas amants mais subissent le chantage d’un avocat marron bien décidé à extorquer du fric au bijoutier qui se rebiffe, d’où le meurtre. On ne va pas continuer à résumer l’intrigue qui n’a qu’une importance relative dans les San Antonio. Juste des prétextes pour savourer le texte et son feu d’artifice d’inventions verbales, de situations cocasses et de bouffonnerie. Inutile de faire l’article, ceux qui liront cette chronique connaissent Frédéric Dard et son monde fait d’absurde et d’humour décapant et de saine rigolade. Les autres ont tout le temps de le découvrir à la faveur d’une brocante.
Je me souviens avoir fait une émission de radio sur l’Amérique latine avec, comme invitée, Françoise Escarpit, la fille de Robert, l’ancien billettiste du Monde qui avait fait une thèse sur San Antonio. Nous avions évoqué la mémoire de son père et celle de Frédéric Dard, mort en 2000. Il nous manque et ce ne sont pas les nouveaux humoristes, la plupart pathétiques et navrants, qui vont nous consoler.
On peut encore trouver quelques traces du grand Frédéric Dard chez des gens comme Guillaume Meurice, François Morel ou dans la série Kaamelott. Des traces seulement, tant était vaste le génie du bonhomme, celui qui prétendait n’être que « le steak-frites » de la littérature. Et modeste avec ça !
PIERRE LEMAÎTRE – ALEX – Albin Michel / Le livre de poche
Toujours dans la boîte, même si je n’y trouve plus grand-chose et que j’ai dû retourner à la bibliothèque pour nourrir mon vice impuni, comme disait Claude Roy, : la lecture. De Lemaître, j’avais lu Au revoir là-haut, j’allais dire comme tout le monde. Bof. Le bougre a aussi et surtout écrit des polars qui tiennent la route, dont celui-ci.
Le commissaire Camille Verhoeven complexé par sa petite taille, toujours hanté par le souvenir de sa femme Irène, enlevée puis assassinée, et de sa mère, une artiste peintre dominatrice qui ne lui a pas laissé beaucoup de place. Un enlèvement justement, une jeune femme dont on suit les mésaventures depuis son rapt jusqu’à son placement dans une cage, une fillette à la Louis XI, accrochée au toit d’un entrepôt en banlieue. Elle lutte pour sa survie parmi les rats.
L’enquête patine, jusqu’à l’identification d’une camionnette et du ravisseur, Trarieux, le père d’un ex-amant de la dame. L’oiseau s’est envolé lorsque les flics débarquent et le père, poursuivi par la police, a jeté son véhicule du haut d’un pont sur l’autoroute. Fin de la première partie.
Tout va très vite ensuite et les chapitres alternent la cavale meurtrière de la fille et l’enquête de police auprès de ses proches. Six meurtres, tous identiques : crâne fracassé par un objet contondant et un flacon d’acide sulfurique dans le cornet. Elle tue ainsi une patronne d’hôtel libidineuse, un dragueur sensible à ses charmes, un chauffeur-routier et une dame qui l’a pris en auto-stop. À cela s’ajoutent des crimes anciens avec le même mode opératoire, dont celui du fils Trarieux, la première victime qui l’a connue sous le prénom de Nathalie, avant Léa, Julia, Laura… Un prénom par crime, mais le vrai est Alex. Fin du deuxième acte.
Alex est retrouvée suicidée dans une chambre d’hôtel après un dernier méfait. Suicidée, Verhoeven et ses adjoints n’y croient pas. Les soupçons s’orientent vers le demi-frère qui l’aurait violée étant enfant et prostituée adolescente. Un scénario machiavélique qu’on ne va pas dévoiler. On en a déjà trop dit.
On a un personnage de flic attachant poursuivi par ses fantômes, des adjoints pittoresques, une intrigue solide et bien charpentée et une enquête haletante. Bref, un bon polar à la Française, assez proche de l’univers cruel et pervers d’un Thierry Jonquet. Rien d’exceptionnel non plus, à peine meilleur qu’un téléfilm policier du genre qu’on a l’habitude de regarder d’un œil distrait.
C’est un peu le problème, là où, côté américain, un Richard Price ou un James Lee Burke semblent avoir été immergés dans le crime et la violence depuis leur plus jeune âge, Lemaître doit inventer des intrigues compliquées pas toujours crédibles et des personnages de cauchemar pour convoquer l’horreur. C’est le drame du policier français et c’est tout ce qui le différencie de son pendant anglo-saxon, à de rares exceptions près, comme Jean-Patrick Manchette ou Thierry Jonquet justement.
Le maître du mystère ? On n’allait pas la louper celle-là. Trop facile Achille.
3 septembre 2024
Ha, San-Antonio ! Je sais pas si c’est arrivé à d’autres, mais des fous-rires sonores en pleine lecture, et pas qu’un, j’ai jamais revécu ça ! Chapeau l’artisse…
Dans mon Panthéon décousu, avec Kaamelott (la série !).
et Groland tout de même…
Une fois de plus, merci Didier pour ces introductions à des ouvrages que je ne connaissais pas.
Intrigue bien menée. Il a écrit de très bon polars le sieur Lemaître.