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Grace Slick en couverture de Creem dans un numéro de 1977, pourtant année punk

L’histoire du rock, c’est aussi l’histoire de sa presse et de sa montée en puissance progressive, tout au long des années 1960 et 1970. Des fanzines les plus confidentiels jusqu’aux institutions revendiquées, elle a toujours tenu un rôle important dans le rock business, même si son déclin et sa chute sont maintenant avérées. Un tour d’horizon de ces vilains petits canards à travers l’Angleterre et les États-Unis pour commencer. Avant la France où, si on n’a jamais trop su faire du rock (à quelques rares exceptions près), on a toujours su en parler.

L’Angleterre d’abord et l’ancêtre, le Melody Maker, né en 1926. C’est d’abord un journal résolument Jazz pour musiciens avec petites annonces, achat et ventes de disques et programme de concerts. Après-guerre, un certain Ray Dalton prend les commandes et, au fil des années 1950 et de l’émergence du rock’n’roll aux U.S.A, il fera d’un canard pour fans de jazz la bible du rock.

Cela ne se fait pas tout de suite, et les résistances sont fortes, mais le recrutement de journalistes comme Chris Welch, Ray Coleman ou du Gallois Richard Williams font pencher la balance. Mais, dès le début des années 1960, le groupe IPC (succursale de Time Inc.), dont il est l’émanation, va leur mettre un sérieux concurrent dans les pattes : le New Musical Express, qui existe en fait depuis 1952, moins jazz et plus variétés avant de se mettre, lui aussi, au rock.

Le Melody Maker reste célèbre pour ses petites annonces, et nombre de groupes pop ont pu se constituer par la grâce de ses signalés services (les Kinks par exemple, qui ont recruté leur batteur Mick Avory sur une annonce du MM, mais il y en aura d’autres). Des scoops aussi, quand c’est le journal qui annonce aux Beatles eux-mêmes qu’ils vont être décorés par la reine, en 1965.

Les deux journaux rivaliseront pour décrire les folles nuits du Swinging London, accrochés aux basques des Jagger, Lennon, Ray Davies ou Pete Townshend. Mais le MM reste fidèle à ses origines et chronique régulièrement les concerts du Marquee et des papes du blues anglais (John Mayall, Alexis Korner ou Cyril Davis), de même qu’il sera, plus tard, à la pointe du Blues Boom.

Petit à petit, le Melody Maker, atavisme jazz oblige, se spécialisera dans le progressive rock, l’épais hebdomadaire plein de pages dissertant à loisir sur Yes, Pink Floyd, Soft Machine, Van Der Graaf Generator, Genesis ou King Crimson.

D’autres journalistes, comme Michael Watts , Steve Lake ou Jon Savage, font leur entrée et interviewent en long et en large David Bowie et Bryan Ferry brillant des mille paillettes du Rock décadent. Mais le Faiseur de mélodie vit sa dernière époque faste et il rate la vague Punk et ce qui va lui suivre. Il essaie de se rattraper avec le Reggae, sous la plume de Vivien Goldman, mais c’est trop tard, d’autant que les historiques du journal sont partis et n’ont pas vraiment été remplacés.

Dans les années 1980, une nouvelle équipe emmenée par Allan Jones, promeut des choix judicieux, à commencer par les Smiths, R.E.M ou Sonic Youth. Ce qui s’appelle avoir du goût.

Le journal presque centenaire peut aussi se targuer d’avoir donné son nom aux français de Daft Punk, qualifiant dans une chronique de « dafty punky trash » (punk idiot et ordurier), un single du duo pas encore baptisé ainsi.

En dépit d’une reconversion Grunge et British pop (Oasis contre Blur) plus tard, les ventes continuent à baisser et le journal est, pour la décennie suivante, au bord de la faillite. Avant de disparaître corps et bien en 2000, sans vraiment faire de vagues. La mélodie laisse place au silence.

Le New Musical Express sera donc le principal concurrent du Melody Maker, ce qui ne lui évitera pas non plus de disparaître dans sa version imprimée, mais bien plus tard, en 2018. Les deux institutions journalistiques de la presse anglaise vont longtemps se tailler des croupières, et il faut reconnaître au NME l’habileté d’avoir eu souvent un coup d’avance.

Ne serait-ce que par ces NME Awards Poll Winners qui, de 1964 à 1966, réunissent à Wembley la quasi-totalité des groupes anglais connus en exercice. Les éditions suivantes seront moins relevées. C’est aussi le premier magazine à se lancer dans des hit-parades qui font référence, comme le Billboard ou le Cashbox aux États-Unis et de publier des classements annuels de groupes et d’albums, ces palmarès qui feront partout florès.

En pointe pour le British Beat et le psychédélisme anglais, les grandes plumes du journal (Keith Altham, Nick Logan ou Steve Turner), invitent leurs lecteurs à aller hors des sentiers battus de la pop anglo-saxonne. Face au côté plan-plan du MM, le NME détonne et étonne. Pour aller encore plus loin, Mick Farren prend la direction et, dès la fin des années 1960, le journal encense le Velvet Underground, les Stooges et le MC5 (dont Farren organise la venue en Angleterre). Il passera de la théorie à la pratique avec ses groupes entre hard et punk comme les Deviants ou les Pink Fairies. Un grand bonhomme extrêmement doué sous tous rapports.

Au début des années 1970, la relève arrive avec Roy Carr (biographe des Stones), Charles « Shaar » Murray qui deviendra LE spécialiste de Jimi Hendrix, et Nick Kent qui, avec la future Pretenders Chryssie Hynde, va orienter les choix rédactionnels du journal vers le Rock décadent d’abord, puis le Punk-rock et la New wave.

Sex Pistols, Clash, Damned et Stranglers trouvent leurs thuriféraires dans les pages du NME qui se fera le héraut de cette scène provocatrice et turbulente.

Mais cela ne l’empêche pas de décliner dans la décennie suivante, même si le journal noue un partenariat avec MTV et glorifie la pop anglaise d’Oasis, Blur et, plus tard, des Libertines. Trop tard, le rock est devenu un produit culturel mainstream et n’a plus besoin de chantres hallucinés. Exit.

On peut aussi citer, pour mémoire, les canards au tirage plus confidentiels tels International Times (I.T) de Barry Miles et Jim Haynes, ou Zig Zag, comme les plus récents Sounds, spécialiste ès Punk et Hard-rock, ou encore The Face, magazine élitiste fondé dans les années 1980 et lorgnant plutôt sur la mode et le people pour glorifier les Duran Duran, Depeche Mode ou Simple Minds. Tout ce qu’on déteste.

On s’en voudrait de ne pas mentionner Nik Cohn, compagnon de route des Who et auteur, avec Guy Peellaert du magnifique Bye bye, Bye, Baby Bye bye, la chapelle sixties du rock. Cohn aura exercé ses talents dans la grande presse (The Guardian, The Observer), et n’a jamais trop fréquenté la presse spécialisée. On lui doit une histoire du rock superbement intitulée A wop bop a loo bop a lop bam boum, titre inspiré bien sûr du Tutti Frutti de Little Richard. Un gentleman, un dandy.

Aux États-Unis, on peut citer d’abord les quelques journaux new-yorkais (Village Voice, Village Vanguard ou Downbeat) qui s’intéressent exclusivement au Jazz et incluent les programmes des clubs Folk de Greenwich Village. Pour le rock, il faudra attendre les pionniers : Crawdaddy, fondé en janvier 1966 par Paul Williams avec des journalistes comme Richard Meltzer (lequel écrira un indépassable traité de philosophie pop qui fera danser Kant et Chuck Berry ; Hegel et les Stones : The aesthetic of rocks), Paul Krugman ou Sandy Pearlman (futurs paroliers du Blue Öyster Cult), puis Fusion l’année suivante, basé à Boston et dans lequel écriront la plupart des futurs rock-critiques du futur Rolling Stone : Ben Edmonds, Lenny Kaye, Robert Greenfield, Greg Shaw, Nick Toshes et… l’inévitable Lester Bangs, génie littéraire et parangon de toute l’histoire américaine de la presse rock.

Paul Williams sera l’interlocuteur privilégié de John Lennon, faisant les chœurs sur « Give Peace A Chance » et l’accompagnant dans son « bed in » de Montreal, avec Yoko Ono. Williams, qui s’enfoncera dans la démence après une encéphalite, sera aussi l’exécuteur testamentaire du patrimoine littéraire du romancier de science-fiction Philip K. Dick. Une tâche colossale !

Fondé par Jann S. Wenner, vient ensuite Rolling Stone qui paraît à l’automne 1967, basé à San Francisco avant de déménager ses bureaux à New York l’année suivante. C’est le seul magazine qui va croître et prospérer au fil du temps, élargissant ses horizons à la politique, aux questions de société et à l’actualité culturelle au sens large. Outre les noms déjà cités, ayant commencé par exercer leur talent à Crawdaddy ou à Fusion, on trouve aussi les Robinson (Richard et Lisa), premiers chroniqueurs mondains du genre, des pionniers comme Jerry Hopkins ou Jim Felton, des reporters baroudeurs inventeurs du nouveau journalisme comme Tom Wolfe, Hunter S. Thompson ou P.J O’Rourke ou encore des intellectuels rockers comme Greil Marcus ou Ralph J. Gleason – cofondateur -, tous deux admirateurs et biographes de Bob Dylan. Marcus, auteur de biographies passionnantes comme d’essais pénétrants (Lipstick Traces soit de Dada au Punk rock en passant par les situationnistes ou Like a rolling stone et La république invisible, respectivement sur Dylan et sur le Band). Le plus grand à n’en pas douter, seul le regretté Lester Bangs pouvant rivaliser avec lui, version génie torturé et dinguerie assumée. Sans oublier le visuel assuré grâce à la présence immuable de Annie Leibowitz, photographe.

Greil Marcus qui sera aussi rédacteur en chef de Creem Magazine, fondé en 1969 par Barry Kramer à Detroit. Dave Marsh en prend vite la direction, flanqué des plus grands rock-critiques du pays (les déjà cités Meltzer, Kaye, Toshes, Bangs…), mais aussi Bill Ward ou, depuis la Californie, l’éternel Greg Shaw, fondateur du fanzine Who put the bomb. Patti Smith y écrit des poèmes et Rob Tyner, chanteur du MC5, y livre ses dessins. La plus grande concentration de talents au mètre carré jamais réunie. Après avoir été l’ardent défenseur du Punk rock américain, réhabilitant inlassablement les groupes anglais des années 1960, le journal va péricliter à partir du milieu des années 1970, jusqu’à disparaître dans assourdissant tonnerre de métal lourd.

Seul Rolling Stone existe encore, jamais concurrencé et cohabitant avec des journaux aux tirages confidentiels mais néanmoins bougrement intéressants, comme le Ugly thing de l’ami Mike Stax (un Anglais de San Diego), Record Collector et autres Mojo. Autant de journaux qui vaudraient presque un article à eux seuls.

La presse rock en France dans les prochaines nouveautés, avec Rock & Folk, Best, Extra mais aussi l’ancêtre Disco Revue, feu Juke-Box Magazine et quelques autres. Et Les Inrockuptibes ? Peut-être pas, faut pas déconner non plus.

28 septembre 2021

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