Le site de Didier Delinotte se charge

BILL SHANKLY, ENTRAÎNEUR ET SOCIALISTE

Shankly marchant (pas seul) devant ses troupes. Cahiers du football.net (avec leur aimable…).

On est repartis avec David Peace et ses superbes romans sur le football : Damned United (44 jours) et Rouge ou mort (Red or dead). C’était la fois dernière Brian Clough et Leeds United (et aussi Derby County et Nottingham Forest), et c’est pour cette fois Bill Shankly, entraîneur du grand Liverpool F.C entre 1959 et 1974, juste avant les coupes européennes. Shankly le socialiste, grand admirateur du travailliste Harold Wilson qui fera justement l’objet du prochain roman de David Peace. La boucle est bouclée.

L’Écossais Bill Shankly est devenu l’entraîneur des Reds de Liverpool en 1959. Les Reds jouent alors en deuxième division et il faudra attendre encore un peu – 1962 – pour les voir regagner l’élite. Le football anglais est dominé par les rivaux rouges et noirs de Manchester United – les Busby Babes – soit le club entraîné par Matt Busby – qui seront décimés par un accident d’avion, le 6 février 1958. Ce jour-là, les Mancuniens ont pris un vol semi-direct de Belgrade à Manchester après un match de coupe d’Europe contre l’Étoile Rouge de Belgrade. L’avion doit faire une escale à Munich pour le ravitaillement en kérosène mais, à la suite d’une troisième tentative de décollage sur une piste enneigée, il s’écrase au sol et c’est presque toute l’équipe qu’on retrouve sous les décombres, décédés. Bobby Charlton et le gardien Harry Gregg sont parmi les deux miraculés, avec Denis Viollet et Busby qui passera deux mois à l’hôpital. Il faudra quand même cinq ans au même Busby pour reconstruire une équipe compétitive, avec des jeunes et quelques recrues de choix dont l’Irlandais du Nord George Best ou l’Écossais Denis Law.

Mais revenons à Liverpool, la cité des docks où tout va pouvoir recommencer. Pour sa première saison en première ligue sous l’ère Shankly, en 1962, le Liverpool F.C se classe à une méritante 8° place. Les rivaux des Reds, les Blues d’Everton, un faubourg de Liverpool, font beaucoup mieux et, quatrièmes lors de l’exercice 1961 – 1962, ils sont champions cette année-là. Les Blues d’Everton ont tout pour nourrir une rivalité fratricide avec les Reds : c’est le club d’un faubourg populaire là où le Liverpool F.C réunit plutôt l’aristocratie ouvrière du port et c’est aussi un club dont les supporters sont à majorité protestants, là où ceux des Reds sont plutôt catholiques. Manchester Utd est toujours en difficulté mais n’en décroche pas moins la Cup alors que ce sont les Spurs de Tottenham qui se montrent les plus réguliers, abonnés aux places d’honneur depuis des lustres.

Il faudra attendre l’année d’après pour voir les quatre clubs caracoler en tête, avec le Liverpool F.C largement devant, suivis, dans un mouchoir, de Manchester Utd, Everton et Tottenham. Jimmy Greaves, des Spurs, remporte le classement des buteurs et les Hammers de West Ham la Cup.

À Liverpool, Shankly a réussi un amalgame de jeunes joueurs et de vieux briscards avec, en défense, les Écossais Thomson et Yeats ; au milieu, Thompson (avec un « p »), O’ Court ou Callaghan et une attaque canon composée des Écossais Billy Graham et Ian Saint-John avec au milieu le serial buteur Roger Hunt, récemment disparu. Le Liverpool F.C a toujours compté dans ses rangs beaucoup de joueurs Irlandais, Écossais ou Gallois, la grande métropole portuaire du Nord de l’Angleterre attirant avec bienveillance ses frères du Royaume. En quatre ans, Bill Shankly, proche des ouvriers du port et n’ayant jamais caché ses convictions travaillistes, a propulsé un club encalminé en deuxième division au sommet du football anglais.

« You’ll Never Walk Alone », une vieille scie de Broadway qui sera reprise par Gerry And The Pacemakers après avoir été chanté par Nina Simone et Ray Charles, va devenir l’hymne des Reds, entonné par des dizaine de milliers de poitrines à chaque rencontre. Un hymne qui sera ensuite partagé par plusieurs autres clubs européens, des Allemands du Borussia Dortmund ou de Sankt Pauli aux Néerlandais du Feyenoord Rotterdam ou du F.C Twente, sans parler du Celtic de Glasgow.

« You’ll Never Walk Alone », de succès pour hit-parade et juke-box, va donc envahir les stades, et celui d’Anfield Road en particulier ; les supporters en faisant un hymne émouvant à la solidarité, à la fraternité et au collectif. Si tu devient supporter du Liverpool F.C, alors tu ne marcheras plus jamais seul, pourrait-on traduire, même s’il n’est évidemment pas question du club dans la chanson originale, composée pour une comédie musicale américaine. Gerry Marsden, disparu récemment, ira la chanter à Anfield Road en prélude à un match des Reds, la recette de la soirée étant versée intégralement aux familles des victimes de la catastrophe d’Hillborough, ce stade de Sheffield où à l’occasion d’une demi-finale de coupe entre le Liverpool F.C et Nottingham Forest, 97 personnes vont mourir étouffées à la suite d’un mouvement de foule. C’était en 1989, quatre ans après le drame du Heysel qui avait vu plus modestement mourir 39 personnes écrasées contre les barrières d’un stade vétuste (et plus de 400 blessés) lors d’une finale opposant les Reds, victimes de leurs hooligans, à la Juventus de Turin de Michel Platini. La partie ne s’en déroulera pas moins, preuve s’il en est qu’on peut jouer au foot dans un cimetière.

Il fallait un écrivain, un poète et un historien pour écrire la légende des Rouges et de leur entraîneur emblématique Bill Shankly. Ce fut David Peace qui, après Clough et Leeds, consacre près de 1000 pages à Shankly et à son Liverpool F.C, depuis son arrivée en octobre 1959 jusqu’à son départ en juin 1974. Sur 1000 pages, une prouesse, une bible du football. Une bible, tant le ton et le style ont tout à voir avec les écrits saints, leurs hyperboles, leur caractère sacré et leur lyrisme flamboyant.

À titre d’exemple : « Le mercredi 7 décembre 1966, les joueurs du Liverpool Football Club arrivent à l’Olympic Stadium d’Amsterdam. Dans le brouillard, l’épaisse nappe de brouillard humide. Un brouillard venu de la mer du Nord, et qui a traversé la ville. Qui s’accroche à leurs vêtements, qui leur colle à la peau. Bill Shankly et Rinus Michels, le manager de l’Amsterdamsche Football Club Ajax NV, l’arbitre, les juges de touche et l’observateur de l’UEFA descendent un tunnel. Un tunnel long de trente mètres en verre incassable. Pour empêcher les bouteilles d’atteindre les joueurs quand ils entrent sur le terrain. Bill Shankly, Rinus Michels, l’arbitre, les juges de touche et l’observateur de l’UEFA sortent du tunnel et s’avancent sur le terrain. Il y a des rouleaux barbelés tout autour du terrain. Pour empêcher les « Provos » hollandais d’envahir la pelouse. Bill Shankly, Rinus Michels, l’arbitre, les juges de touche et l’observateur de l’UEFA se positionnent dans le rond central. Personne ne voit plus les rouleaux de barbelés. Personne ne voit plus rien. L’épaisse nappe de brouillard humide a étouffé l’Olympic Stadium d’Amsterdam. À présent, le brouillard étouffe Bill Shankly, Rinus Michels, l’arbitre, les juges de touche et l’observateur de l’UEFA. Il les enveloppe dans son épaisse nappe humide. Il les étouffe et il les aveugle ».

Finalement, le match se jouera quand même, malgré une absence totale de visibilité et l’Ajax du jeune Johan Cruyff l’emportera 5 buts à 1, dans un épais brouillard, dans le vent et sous la pluie, comme Peace l’écrit souvent.

Tous les matchs entre 1959 et 1974, en championnat d’abord de deuxième puis de première division et en coupe d’Angleterre ; en coupe de la ligue, en F.A Cup ; en Coupe d’Europe des clubs champions, en Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe, en Coupe des villes de foire ou de l’UEFA. Un récit halluciné, dément, insensé. On pourrait craindre que la chronique scrupuleuse de tous ces matchs puisse se révéler répétitive. C’est au contraire l’usage de ces formules et de ces répétitions qui en font quasiment un texte sacré, hanté, un écrit saint, comme un évangéliste qui se serait penché sur le terrain d’Anfield Road, comme l’ange gardien de Bill Shankly qui l’aurait suivi partout. On est littéralement sous hypnose, dans le monde du style et du verbe, et on n’a plus envie d’en revenir.

Tous les événements sont décrits avec minutie et précision, depuis l’arrivée de Shankly jusqu’à la finale de la coupe d’Europe que les Reds emportent, en 1977, pour la première fois de leur histoire contre le F.C Bruges. Mais Shankly n’est déjà plus là, passé un temps, par ennui, chez l’ennemi d’Everton. Shankly qui n’a même pas été invité par Bob Paisley et la nouvelle équipe dirigeante pour la finale. Il aura un premier malaise cardiaque dans la chambre d’hôtel qu’il a réservé à ses frais.

Tous les événements, les arrivées de Thompson, Saint-John, Smith, Hunt, Keagan, Dalglish, Clemence, Wheelan, Mc Dermott, Yeats, Souness, Hansen, Rush, Fairclough… Les départs qu’il faut négocier habilement, sans faire perdre la face au joueur, quand il se font vieux, à 33 ans. Les supporters, les dirigeants, la ville, les joueurs, les classes populaires de Liverpool. Tout y est dans cette véritable chanson de geste à la gloire d’un club et de son entraîneur.

Qui est Bill Shankly ? Un homme modeste, un gars ordinaire, un sage. Il est né en 1913 à Glenbuck en Écosse et est parti travailler à la mine à 14 ans. En tant que mineur, il commence à détester les propriétaires et les politiciens conservateurs pour s’intéresser aux théories marxistes, au travaillisme et au syndicalisme. Il sera un ami de Harold Wilson, on l’a dit.

Il débute modestement une carrière de footballeur professionnel à Carlisle puis à Rochdale et à Preston North End avec qui il accède à la première division. Avec Preston, il gagne la F.A Cup en 1938 contre Huddersfield. Ce sera son seul et unique titre. Il est sélectionné à cinq reprises dans l’équipe nationale d’Écosse mais son ascension est brisée par la guerre et sa carrière internationale s’arrête là. On le retrouve dans différents clubs de première ligue anglaise : tour à tour Liverpool, à Arsenal, à Bolton et chez les Gallois de Cardiff City. Il termine sa carrière sportive dans le club qui l’a fait connaître, Preston, et remise les crampons en 1949, à 36 ans.

Commence son parcours d’entraîneur, dans les clubs où il a parfois évolué comme joueur : Carlisle United, Huddersfield Town, Grisby Town, Workington. Il accompagne les débuts de Denis Law à Huddersfield et refuse un transfert record à Manchester City pour rejoindre son Liverpool F.C. On connaît la suite, telle que David Peace nous en fait récit dans ce roman splendide.

Il mourra d’une crise cardiaque en septembre 1981 et sa statue sera érigée à l’entrée du Kop des supporters du Liverpool F.C, en 1997. Il ne marchera plus jamais seul. Socialiste, rouge puis mort, telle peut se résumer la geste de Bill Shankly narrée par son chantre, David Peace.

11 avril 2022

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Catégories

Tags

Share it on your social network:

Or you can just copy and share this url
Posts en lien