BÉZIERS VOLÉ
Dans les années 1960 – 1970, Béziers était synonyme de rugby et de tauromachie. La cité catalane en rouge et bleu ne faisait pas beaucoup parler d’elle. Ce n’est plus le cas depuis l’élection de Robert Ménard, et le film-documentaire Béziers, l’envers du décor de Daniel Kupferstein, nous montre les dessous de la cité biterroise telle que dirigée par Ménard et ses sbires. Édifiant. En supplément de programme, Personne n’y comprend rien de Yannick Kergoat avec Médiapart.
Béziers était une ville métissée avec pas mal de rapatriés d’Algérie, de Maghrébins, de gitans et de migrants, le tout vivant en plutôt bonne intelligence dans une cité plutôt riante et accueillante. C’était encore le temps où le communiste Jean-Claude Gayssot siégeait au conseil municipal sous le mandat de l’UMP Raymond Couderc. Elle avait eu Jean Moulin comme sous-préfet.
Ménard a fait main basse sur la ville en 2014, se présentant sous étiquette divers droite (il sera un moment de la vague Rassemblement bleu marine avant de tenter de lancer une sorte de Ligue du Sud à l’italienne). L’ancien président de RSF (Reporters Sans Frontières) sera passé de la LCR à l’extrême-droite via le PS et le Réseau Voltaire de Thierry Meyssan. Un parcours atypique, on en conviendra.
Est-ce le Réseau Voltaire, à la laïcité devenue complotiste, qui lui fera prendre conscience de sa vocation islamophobe ? Ménard, d’homme de gauche plutôt ouvert, est devenu un croisé raciste et fascisant, défendant les valeurs dites chrétiennes (à la sauce extrême-droite) ; des valeurs qui n’ont rien d’évangéliques, puisque Ménard mène une politique municipale visant à faire fuir les pauvres et celles et ceux qui n’ont pas la chance d’être des Français de souche, souvent les mêmes d’ailleurs.
La LDH locale a souvent attaqué Ménard pour la gestion autoritaire de sa ville avec ses crèches en mairie et ses couvre-feu pour les mineurs dans les quartiers pauvres. Le documentaire nous montre d’abord le Centre-ville et ses immeubles refaits à neuf, et le commentaire nous dit que la plus grosse part du budget municipal est consacrée à ce centre rutilant qui, comme les cités Potemkine, dissimule des quartiers laissés pour compte où s’entassent les populations jugées indésirables par le maire.
Le film nous montre aussi la personnalité forte de Ménard telle qu’elle s’exprime devant la presse, lors d’un conseil municipal ou dans l’action quand il vient personnellement dire à des familles de réfugiés syriens qu’elles ne sont pas les bienvenues à Béziers. Ou lorsqu’il donne un coup de poing sur une caméra pour faire cesser un dialogue tendu avec une dame qui crie sa colère. Ménard est un autoritaire ne souffrant pas la contradiction, sûr de son fait et méprisant pour les gens qui ne sont pas de sa classe, de sa caste de bourgeois catholiques réactionnaires.
À Béziers, les férias sont devenues des fêtes religieuses et on célèbre d’anciens OAS pour l’anniversaire des accords d’Évian, Degueldre ou Bastien-Théry en tête. Roger Degueldre, leader des commandos Delta, branche terroriste de l’OAS et Bastien-Théry, principal acteur de l’attentat du Petit-Clamart contre De Gaulle. Ménard déteste les terroristes islamistes et les auteurs de « francocides » en préalable au grand remplacement, mais il encense dans des cérémonies grandiloquentes des assassins et des terroristes, blancs et en uniforme ceux-là, et pour la bonne cause.
Le documentaire insiste à juste titre sur la communication de la ville et surtout sur le journal municipal. Goebbels serait un petit garçon devant Ménard qui utilise toutes les ficelles de la propagande avec une malhonnêteté crasse et un culot monstre. Il faut savoir que, dans son journal, tous les enfants biterrois sont blonds et que les femmes n’y sont représentées que comme des bimbos aguicheuses. Des citoyens s’élevant contre lui sont cités nommément et insultés et les affiches qui parsèment la ville sont à la limite du racisme et de la propagande sécuritaire la plus grossière. Toujours abjectes en tout cas.
Quelques citoyens, syndicalistes et associatifs, illustrent par l’exemple toutes les saloperies qu’ils ont dû endurer pour s’être un moment opposés à Ménard et la comparaison avec Hénin-Beaumont et certaines villes des Hauts-De-France est vite établie. Le vrai visage de l’extrême-droite lorsqu’elle a le pouvoir. Glaçant !
PERSONNE N’Y COMPREND RIEN (tout le monde a tout compris).
Personne n’y comprend rien, c’est ce qu’a dit Nicolas Sarkozy à un journaliste du Figaro Magazine qui lui demandait des explications sur les soupçons de financement libyen de sa campagne électorale de 2007.
Certains y ont en tout cas tout compris. Deux journalistes de Mediapart, Karl Laske et Fabrice Arfi, tous deux vieux routiers des services enquête et investigation de nombreux médias français. À partir de leur longue enquête sur cette affaire, Yannick Kergoat (auteur notamment avec Gilles Balbastre des Nouveaux chiens de garde sur les médias dominants et plus récemment de La très grande évasion sur l’évasion fiscale) a réalisé ce documentaire avec de nombreux témoignages dont ceux de Julia Cagé (économiste des médias) ou de François Molins (procureur général de la République), entre autres. Ils et elles sont tous appelés à témoigner dans les locaux de Médiapart. Mise en scène austère entre interviews face caméra et documents d’archive et d’actualité. Sobre, on va dire.
D’abord un bref historique. Il faut remonter à l’affaire des frégates de Karachi où des fonds avaient alimenté pour partie la campagne de Balladur. Balladur battu, le contrat n’avait pas été rempli d’où un attentat terroriste ayant fait de nombreuses victimes. Les Balladuriens, dont le jeune Nicolas Sarkozy, sont marginalisés après la victoire de Chirac mais reviennent en force après celle de 2002.
Sarkozy est nommé ministre de l’intérieur, ce qu’il considère comme une rampe de lancement pour la future présidentielle. Il sature l’espace médiatique et commence à se rapprocher de la Libye de Kadhafi, pays banni des nations après l’attentat terroriste contre un avion français UTA. Le deal : un retour en grâce de Kadhafi et de la Libye dans le concert des nations contre un financement de la future campagne électorale, celle de 2007. Il faut déjà lever le mandat d’arrêt international contre un certain Senoussi, exécuteur des basses œuvres du régime, et cela sera fait. Guéant et Hortefeux se rendront en Libye avant Sarkozy lui-même grâce aux bons offices de Ziad Takkiedine, un riche homme d’affaires libanais qui servira d’intermédiaire. Sarkozy gagnera en 2007 et Kadhafi et sa suite viendront camper dans les jardins de l’Élysée après le sauvetage médiatisé des infirmières bulgares détenues à Tripoli.
Les deux articles de Arfib et Laske dans Médiapart font état d’un versement de 50 millions d’Euros de la part du régime libyen de Mouammar Kadhafi pour la campagne électorale du candidat Sarkozy en 2007. Officiellement, la campagne électorale de Sarkozy n’aurait coûté que 20 millions d’Euros.
Sarkozy, son entourage et ses avocats ont toujours nié ce versement, contestant les documents et les preuves matérielles. « Des faux » dira Ziad Takkiedine, soit tout le contraire de ce qu’il avait affirmé auparavant, et ses dénégations feront les choux gars de la presse Lagardère grâce au travail acharné de la reine de la presse people Mimi Marchand. Après Mediapart, de nombreuses révélations ont été faites par la presse et notamment par Le Canard qui a lui aussi mené une enquête rigoureuse sur ces fonds.
La tractation s’est faite à l’initiative de Béchir Saleh, patron d’une banque d’investissement libyenne où étaient placés les fonds secrets du pays. Alexandre Djhouri aurait joué les intermédiaires et ce voyou avait ses entrées à l’Élysée. C’est d’ailleurs lui aussi qui a organisé la fuite de Saleh en Afrique du Sud.
Les suites sont connues, de la révolution libyenne et de la mort de Kadhafi orchestrée par les gouvernements anglais et français sous la houlette de BHL aux écoutes du téléphone d’un certain Paul Bismuth jusqu’aux mises en examen de Gaubert, Hortefeux et Sarkozy lui-même, sans oublier Djhouri, Jusqu’au procès qui se déroule actuellement. Et si les vrais buts de guerre avaient été de tuer Kadhafi et son entourage pour effacer toutes traces de cette affaire. On est tentés de le croire. Les documents ont finalement été reconnus authentiques.
Un documentaire passionnant dans ce qu’il révèle des graves entorses à la démocratie et à la justice par un politicard mafieux dévoré d’ambitions. Tout sonne faux dans ce personnage abject sans cesse en représentation avec ses mimiques, son humour surjoué, ses sourires entendus et sa dignité outragée. Ridicule ! Le 6 mai 2007 aura été un jour funeste pour la démocratie en France, précisément le jour de son élection. Elle ne s’en est jamais tout à fait remise.
Le plus grave c’est qu’à travers cette histoire, c’est le bon fonctionnement du processus électoral et de la démocratie qui a été perturbé. Un film qui honore aussi le quatrième pouvoir lorsqu’il fait son travail sans faillir et avec opiniâtreté. L’affaire aurait bien pu se perdre dans les méandres du secret d’état ou du confidentiel défense sans la détermination de journalistes qui ont mené cette enquête à haut risque. Au bout, on peut saluer une victoire de la justice, même si le dernier mot n’a pas été prononcé. Un film enfin qui se bat pour une démocratie effective appuyée sur le droit et la justice et où les puissants et les affairistes ne sont pas à l’abri des regards citoyens et des rigueurs de la loi.
Exemplaire et salutaire à plus d’un titre. Tiens, j’ai décidé de m’abonner à Médiapart, et pas plus tard qu’aujourd’hui.
BÉZIERS L’ENVERS DU DÉCOR, de Daniel KUPFERSTEIN.
PERSONNE N’Y COMPREND RIEN, de Yann KERGOAT
Un mot sur Au boulot, de François Ruffin et Gilles Perret.
Juste un mot, car le film est médiocre. C’est l’histoire de Ruffin qui a dégotté une conne de compétition (avocate chroniqueuse à TMC) pour la prendre au mot quand elle parle des assistés et des cas sociaux et lui faire faire 36 boulots tous plus pénibles les uns que les autres. Elle se prête au jeu.
C’est démago à souhait, voire franchement putassier. Irritant aussi, avec les clins d’œil de Ruffin à Perret sur l’air de « qu’est-ce qu’elle est conne …». Le pire, c’est le final où les prolos boivent le champagne sur la plage de Fort-Mahon, façon festival de Cannes. C’est Ruffin qui aime tellement les pauvres et Ruffin qui est un mec bien, tellement bien ! Le pire est qu’i a réalisé des films intéressants (Merci patron, Debout les femmes…) mais, arrivé à ce stade, il ferait peut-être bien de s’arrêter. C’est juste un conseil. N’empêche, pauvre Perret, embarqué dans cette galère.
Ne vivant plus en France depuis 53 ans, je ne connais ni le contexte ni les détails de ce que ces documentaires « démontrent » mais, apparemment, plus ça change plus c’est la même chose.