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TÉLÉ FOOT ET DROITS TÉLÉ

trop de concurrence tue la concurrence. Bientôt un écran noir sur les gazons verts ?

Depuis les premiers matchs de Division 1 retransmis par l’ORTF jusqu’à la main mise de l’anglais DAZN avant peut-être la reprise par la LFP avec sa propre chaîne, l’histoire des retransmissions télévisées du football, français et européen. En résumé, de plus en plus de fric en jeu pour des niches télévisuelles de plus en plus confidentielles. Tout le monde semble s’en plaindre, mais là aussi, le capitalisme est roi et aucun changement ne point à l’horizon. Business as usual !

Les plus vieux se souviennent des matchs de foot diffusés par l’ORTF dans les années 1960. C’était dans le cadre de l’émission Télé Dimanche animée par Raymond Marcillac et ils étaient souvent commentés par Georges De Caunes ; Thierry Roland présentant les extraits des matchs de la journée le soir, sur Sport Dimanche avant reprise dans les actualités régionales du lundi midi. Toute une époque que les moins de 70 ans ne peuvent pas connaître, comme chantait le petit Charles.

En ces temps reculés, les clubs ne demandaient pas de droits, seulement une petite somme pour compenser le manque à gagner côté recettes. Ils étaient trop heureux de passer à la télé et d’avoir l’opportunité d’illustrer leurs couleurs sur un média très regardé.

Les choses ont vite changé. Les droits télé ne sont pas encore devenus un véritable enjeu dans les années 1970. TF1 diffuse les matchs de l’équipe de France et les matchs de coupe, Antenne 2 s’approprie les matchs de coupe d’Europe des clubs et France 3 peut retransmettre quelques affiches régionales et la coupe de la ligue, en fonction de ses antennes multiples dans tout le pays.

L’arrivée de Canal +, en novembre 1984, va bouleverser la donne. La chaîne dirigée par André Rousselet et Pierre Lescure voit grand et recrute Michel Denisot (ex TF1) pour la partie sports. Canal a trois produits d’appel : le cinéma, le football et l’humour décalé (plus un quatrième si on compte le porno). La chaîne payante va rafler la mise avec les matchs de division 1 (on ne dit pas encore ligue 1), les coupes d’Europe et notamment la Champion’s league et tout le football européen à savoir le Big 5 (Angleterre surtout, mais aussi Espagne, Italie et Allemagne). La grande razzia.

TF1 n’a plus qu’à retransmettre les matchs de l’équipe de France quand la Coupe de France et la Coupe de la Ligue reviennent au service public, soit France 2 (ex A2) et France 3 (ex FR3). C’est maigre. M6 achètera par la suite la coupe Europa (ex UEFA ou Coupe des Vainqueurs de coupe). L’ogre Canal a tout mangé, ne laissant aux autres que les miettes et, désormais, voir du football à la télé se paie d’un abonnement à la chaîne. Les présentateurs vedettes sont recrutées à prix d’or : Denisot mais aussi Didier Roustan, Thierry Gilardi, Pierre Menès avant Hervé Matou ou Grégoire Margotton, le tout assorti d’une meute de consultants, anciens joueurs ou anciens entraîneurs.

La FFF s’occupe des clubs amateurs , de la coupe de France et de l’équipe de France quand la Ligue (qui deviendra la LFP) a charge de la Ligue 1 et de la Ligue 2. Le championnat National (ex troisième division) a un statut hybride entre amateurisme et professionnalisme mais n’intéresse pas les télévisions. Seul Eurosport, une chaîne du groupe TF1 dédiée au sport comme son nom l’indique, réussit à tirer son épingle du jeu avec les droits de la Ligue 2.

L’arrêt Bosman (1996) et les enjeux de plus en plus prégnants du foot-business vont faire monter les enchères et ce sont les clubs qui poussent à la roue. En plus des recettes de billetterie, des sponsors et des produits dérivés, les droits télé vont vite constituer l’apport principal des clubs professionnels les plus huppés. Une corne d’abondance avec des chaînes de télévision prêtes à suivre les enchères, jusqu’à atteindre des sommes folles qui mettent en péril leur modèle économique.

Il y a longtemps à ce stade que la télévision publique a rendu les armes et TF1 s’accroche encore tant bien que mal alors que Canal continue son cavalier seul, à peine concurrencé par M6. Plus pour longtemps. Si Messier met encore au pot, la situation devient compliquée à la fin des années 1990 avec des difficultés financières dues à la mégalomanie de Messier, à la tête du groupe Vivendi, lui-même menacé de banqueroute. Au départ de Messier, un bras de fer s’engage tous les ans entre la LFP et Canal. La chaîne du foot parvient à ramener à plusieurs reprises les droits TV à la baisse en même temps qu’elle se diversifie avec le rugby. Chacun a sa niche : le cyclisme et encore (plus pour longtemps) le rugby pour France 2, le foot pour Canal et les autres sports pour Eurosport ou L’équipe TV, la petite chaîne qui vient de naître.

Tout va à nouveau basculer avec l’arrivée d’un nouvel entrant, BeIN Sports, soit à l’origine la chaîne sportive de la télévision qatarie Al Jazeera. C’est Nasser El Khelaïfi, ancien directeur de Al Jazeera sport, qui va lancer BeIN en s’entourant de professionnels français comme Charles Bietry (ex AFP, Canal et France 2) en tant que directeur délégué chargé du recrutement des journalistes et consultants. Après un galop d’essai avec l’Euro 1992, BeIN va s’acheter les droits télé du football professionnel de Ligue 1 pour la bagatelle de 90 millions d’Euros, contrat conclu avec la LFP entre 2012 et 2016. En supplément de programme, elle aura la Champion’s League, la coupe Europa et l’Euro 2016. C’est un hold-up. Canal n’a plus qu’à diffuser son match du dimanche soir, lot de consolation pour une chaîne maintenant tournée vers le rugby et son Top 14.

Mais, d’années en années, chaque diffuseur va trouver son maître, plus offrant, jusqu’à atteindre des sommets vertigineux et à provoquer une déflation des droits télé qui sera aussi préjudiciable aux chaînes qu’aux clubs.

BeIn garde la Ligue 2 et doit s’incliner devant l’offre de Mediapro, groupe espagnol dirigé par le milliardaire catalan Jaime Roures. Une offre que personne ne peut refuser, pour la Ligue 1 et la Ligue 2 de 2018 à 2022, laissant à Canal deux matchs de Ligue 1 et à BeIN quelques matchs de Ligue 2. Mais Mediapro a vu trop grand et la grosse galette n’est pas au rendez-vous. Excipant du Covid, le groupe espagnol se fait tirer l’oreille pour payer la deuxième et la troisième traite, ce qui provoque les foudres de la LFP mettant un terme à la plaisanterie en 2020 et rétrocédant les droits à Canal +, ravi de l’aubaine. Tout peut recommencer pour Canal ? Pas vraiment.

Stop Amazon !, dit-on à Attac. C’est pourtant la firme de Seattle dirigée par Jeff Bezos qui, à travers son groupe audiovisuel Amazon Prime Vidéo, remporte l’appel d’offre pour la saison 2020 – 2021, au nez et à la barbe de Canal qui croyait pourtant avoir sauvé la peau de la LFP. Ô ingratitude ! Canal garde tout de même deux matchs (le samedi soir et le dimanche en fin d’ après-midi) et BeIN la Ligue2. Amazon restera quatre ans aux commandes, sans laisser d’ardoise, pour une fois.

Mais c’est encore un nouveau venu qui vient renverser la table. Son nom est DAZN. Un groupe anglais cette fois, spécialisé dans la vidéo à la demande pour le football. DAZN n’est pas vraiment un petit. Née en 2015, la chaîne pèse 3 milliards de livres trois ans plus tard et commence à passer des matchs de Champion’s League et de Ligue Europa, plus des championnats modestes comme ceux du Canada et du Japon. Un galop d’essai.

Dès 2021, DAZN s’était portée candidat en France pour suppléer à la carence de Mediapro mais elle n’avait pas été retenue car n’offrant pas de garanties suffisantes. Chat échaudé, la LFP ne souhaite pas renouveler le fiasco de Mediapro qui a failli mettre le football professionnel français sur la paille. Ce n’est que partie remise car DAZN , après avoir acquis l’australien Foxtel, met 40 millions de livres sur le tapis vert pour, avec BeIN, pouvoir retransmettre les matchs de Ligue 1 ; la Ligue 2 étant rétrocédée à BeIN. La saison 2024-2025 passe donc sous pavillon britannique mais DAZN, comme Mediapro avant elle et BeIN dans une moindre mesure, ne remplit pas ses carnets de commande et se voit contrainte de faire des offres promotionnelles qui ruinent son modèle économique. Gageons que DAZN aura fait son petit tour avant de s’en aller, faisant subir une baisse drastique des droits TV pour les clubs de Ligue 1 de plus en plus aux abois. Dernier incident en date, DAZN refuse de payer les 35 millions restants… Encore une ardoise, après celle de Mediapro. Une vieille habitude.

Après ces quatre expériences malheureuses, la LFP aurait décidé de diffuser elle-même les matchs de Ligue 1 à traverse sa propre chaîne (avec De Tavernost, ex M6, à la direction), mais les dirigeants des clubs de Ligue 1 se bouffent la gueule pour la répartition des droits TV et rien n’est encore fait. DAZN, qui s’estime spolié et BeIN n’ont pas désarmé alors que Canal a replié les gaules. Définitivement ? DAZN, au final, pourrait bien reprendre son petit business avec la bénédiction de la Ligue. Pas si sûr, car DAZN réclame à la LFP 573 millions d’Euros pour « manquement observé » et « tromperie sur la marchandise ». On en est là et on ne voit pas trop d’issue à cet imbroglio. Bientôt l’écran noir et la faillite des clubs les plus modestes ? On tremble.

Fin provisoire du sketch avec des petits malins, de gogos et des mégalos qui se tirent la bourre, tout cela pour éloigner encore plus les amateurs de football des récepteurs. Mais on aura bientôt tué la poule aux œufs d’or et tous ces matchs surcotés vont apparaître pour ce qu’ils sont, trop souvent de piètres spectacles où l’important est d’abord de ne pas prendre de buts, ce qui donne des parties en mode jeux d’échec. Ah la tactique… Franchement, pas de quoi se ruiner !

1° avril 2025 (ce qui ne signifie pas pour autant que tout ce qui précède est de la blague).

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