Du « contre le chômage on a tout essayé » de Mitterrand jusqu’au « Il suffit de traverser la rue » macroniste, le chômage a toujours été interprété différemment par une gauche impuissante et résignée et une droite culpabilisante pleine de mépris social. Cet article se propose de synthétiser quelques données sur le chômage en France et de proposer quelques pistes d’action pour, sinon en venir à bout, au moins rendre à ces personnes la dignité et le respect auxquels ils ont droit.
Sans vouloir faire un historique complet, on peut remonter à la fin des 30 glorieuses (1974) pour passer d’un chômage résiduel à un chômage de masse. C’est le temps de la guerre du Kippour (octobre 1973) et du premier choc pétrolier. Le renchérissement des cours du pétrole et le déclin de pans entiers de l’industrie (textile, charbonnages, sidérurgie) ont provoqué un afflux de chômeurs atteignant les 10 % de la population active au milieu des années 1980. Les délocalisations, la mondialisation libérale et la numérisation n’ont fait qu’entretenir des taux de chômage élevés qui n’ont subi de baisse notable qu’avec les 35 heures à la sauce Jospin – Aubry entre 2000 et 2002, avant de repartir à la hausse (près de 10 % en 2005). Depuis, l’objectif affirmé du plein emploi par les divers gouvernements n’a pu être approché qu’avec la précarité et des emplois sous-payés et dégradés (bullshit jobs).
Un chômage qui, loin d’émouvoir le patronat et les économistes libéraux, est pris au contraire comme une armée de réserve du capital afin que chaque salarié se sente menacé dans son emploi et à son poste par des hordes de chômeurs rêvant de prendre sa place. C’est en tout cas de cette façon qu’est perçue la situation chez ceux-là même qui versent des larmes de crocodile sur le chômage des jeunes et le non emploi des plus de 50 ans. Quelques chiffres. Des chiffres à prendre avec réserve, et on se souvient du collectif ACDC (les Autres Chiffres du Chômage), animé par Pierre Concialdi et Jean Gadrey, qui tiraient un bilan beaucoup plus dramatique.
Les différentes catégories de chômeurs :l
Catégorie A : Il s’agit de la catégorie la plus couramment évoquée lorsque des données sont communiquées sur les chômeurs. Elle regroupe les personnes n’ayant aucun emploi mais étant en recherche active d’un contrat quel qu’il soit (CDI, CDD, emploi saisonnier, temporaire ou à temps partiel).
Catégorie B : En recherche active tout comme les personnes classées dans la catégorie A, ces chômeurs ont toutefois eu une activité partielle de 78 heures maximum au cours du dernier mois.
Catégorie D : Ces personnes n’ont pas à apporter des preuves de leur démarche de recherche d’emploi car il s’agit de demandeurs d’emploi en cours de formation, en stage, en maladie ou ayant signé un contrat particulier tel qu’une CRP (Convention de Reclassement Personnalisée), un CTP (Contrat de Transition Professionnelle) ou un CSP (Contrat de Sécurisation professionnelle). Ces personnes sont ainsi considérées comme n’étant pas disponibles immédiatement.
taux de chômage en France : 7,3% hors Mayotte selon l’INSEE.
Nombre de chômeurs en France : au 4e trimestre 2024, on compte 5 495 100 demandeurs d’emploi inscrits à France Travail en catégories A, B, C en France (+1,7 % sur un trimestre) et 5 215 800 en France métropolitaine (+1,8 % sur un trimestre). Source Dares France Travail
Un chômeur au sens du BIT est une personne âgée de 15 ans ou plus qui répond simultanément à trois conditions : être sans emploi durant une semaine donnée ; être disponible pour prendre un emploi Les chiffres du BIT sont toujours inférieurs à ceux de l’INSEE.
Réformes de l’assurance chômage : modification du salaire journalier de référence, mensualisation / 6 mois de travail au lieu de 4 au cours de l’année qui précède la fin du contrat de travail / perte de 100 € en moyenne pour les personnes alternant emploi et périodes de chômage . Pour une économie attendue de 1,34 milliards d’Euros.
Minimas sociaux
Les principaux minima sociaux en France sont le RSA (Revenu de Solidarité Active, ex RMI), l’AAH (Allocation Adultes Handicapés), l’ASPA (minimum vieillesse) et l’ASS (Allocation Spécifique de Solidarité).
La réforme du RSA, inaugurée d’abord dans quelques départements « innovants » comme le Bas-Rhin, s’étend dans tout le pays avec, pour principale mesure, les 15 heures d’activités obligatoires par semaine destinées officiellement à favoriser l’insertion sociale et qui peuvent prendre des formes différentes selon les individus. À noter qu’un Fabien Roussel souhaite supprimer le RSA au nom de l’obligation de donner à chacun un emploi ou une formation. Optimiste, le camarade !
Situation des associations de chômeurs
Le syndicat des chômeurs avait été créé par Maurice Pagat en 1981 et le MNCP (Mouvement National contre le Chômage et la Précarité) est issu de ce syndicat en 1986, au plus fort de la crise. Deux ans plus tard naissait l’APEIS (Association pour l’Emploi, l’Information et la Solidarité des chômeurs) fondé par le sociologue Richard Dethyre. Des syndicats ont créé leur association de chômeurs comme la CGT Chômeurs.
A.C !, proche des mouvements sociaux, est né en 1994 dans une optique plus contestataire et revendicative pour les droits des chômeurs avec des actions de désobéissance civile. Les fondateurs étaient des membres de SUD PTT et des associatifs comme Droits devant !On constate une perte d’influence de ces associations qui n’ont plus l’impact qu’elles ont pu avoir dans les années 1990 et 2000. Soutien aux chômeurs ou lutte contre le chômage, la question a toujours été pendante.
De l’ANPE À France Travail
La gestion du chômage en France est confiée à des agences étatiques connues par la souffrance au travail qu’elles engendrent dans leur personnel et par l’incapacité de répondre à la demande d’emploi et à la souffrance des chômeurs si ce n’est que par des stages parking, des intérims ou des emplois précaires. France Travail, issu de la fusion des Assedic et de Pôle Emploi, sous-traite de plus en plus à des officines et agences chargées de placer des chômeurs dans n’importe quelles conditions.
Pour les libéraux, l’offre correspond à la demande et le chômage n’a pas lieu d’être, si ce n’est pour profiter des mannes sociales de l’État.
Propositions de pistes d’action
Même si des expériences comme les territoires zéro chômeur et toutes les initiatives pour la réinsertion et l’inclusion ont leur utilité, des réponses plus globales et plus macroéconomiques sont nécessaires devant un fléau social qui gangrène la société et fait monter l’extrême-droite. De plus en plus, le chômeur sert de bouc émissaire, comme l’immigré, au ressentiment et à la colère des populations les plus exposées aux rigueurs des temps. Pour qui a le souci des droits économiques et sociaux, la question du chômage est centrale.
Il nous faut d’abord mener la bataille de l’opinion contre ceux qui estiment que les offres d’emploi ne sont pas servies et que les chômeurs préfèrent rester chez eux, par confort et par paresse. Lutter contre la culpabilisation qui reste la plaie béante de celles et ceux qui sont stigmatisés, en plus d’être relégués. La double peine.
Il nous faut donc réfléchir aux questions de l’emploi, du temps de travail, de la formation sous l’angle des droits et des solidarités..
S’informer et informer sur les différentes théories sur le chômage et l’emploi : emploi à vie en fonction de la qualification (Bernard Friot), sécurité sociale professionnelle (CGT/ PCF), Revenu de base…
Plus les questions de la désindustrialisation, des nouvelles technologies (IA), de la financiarisation…
On sait que l’emploi risque de se raréfier dans le secteur tertiaire, du fait des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle. De même, l’agriculture et l’industrie demanderont de moins en moins de main-d’œuvre. Pourquoi ne pas en profiter pour baisser massivement le temps de travail et donner la possibilité de sécuriser les parcours professionnels pour une mobilité sans risques.
Ce serait la réalisation du vieux rêve de Marx où l’on pourrait être, sur toute une vie, écrivain, artisan, jardinier ou travailleur social.
On est loin de ce qui apparaît encore comme une utopie avec l’économie de guerre et les liens de plus en plus étroits entre un libéralisme de moins en moins régulé et un fascisme libertarien dopé à la technologie. Est-il encore temps ? Minuit dans le siècle, comme disait Victor Serge…
28 mars 2025