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DE BRICS ET DE BROC

Dessin Times (je crois), sauf que celui de droite (extrême) ressemble plutôt à notre Ciotti.

Je ne parvenais pas à me décider entre parler du renouveau du syndicalisme américain à travers les grèves du syndicat U.A.W (United Auto Workers) dans les Big Three (General Motors, Ford et Stellandis ex Chrysler) et les BRICS. Finalement, ce seront les BRICS dont on a beaucoup parlé cet été. Les BRICS augmentés ou Brics + qui cherchent à bâtir un nouvel ordre mondial à travers l’aspiration à une monnaie nouvelle, hors dollar, et la contestation de l’hégémonie politique des États-Unis et de l’Europe occidentale. Beaucoup de bruit pour rien ?, comme disait Shakespeare. Pas sûr du tout. Et si les BRICS étaient le nouveau nom des « non alignés », près de 70 ans plus tard…

Ça s’est passé en 1955 à Bandung sur l’île de Java (Indonésie) et sous l’égide du général Sokarno, celui que son peuple appelait affectueusement «camarade Karno ». Un leader socialiste qui allait être renversé dix ans plus tard à la suite d’une terrible hécatombe qui fera 500.000 morts, selon certaines sources. Certaines autres atteignent le million mais, à ce stade, on ne compte plus.

La conférence des non-alignés à Bandung avait pour sous-titre « les solidarités afro-asiatiques » et elle avait été mise en place, dès 1954, par le groupe de Colombo et ses cinq pays organisateurs : l’Inde, Ceylan (actuel Sri Lanka), l’Indonésie, la Birmanie et le Pakistan. Du 18 au 24 avril 1955, il s’était agi de donner un contour et une stratégie à une coalition d’états hétéroclites mais tous déterminés à échapper à la domination américaine ou soviétique dans un contexte de guerre froide et de péril atomique.

D’autres nations s’étaient jointes au groupe fondateur, notamment la Chine représentée par Chou-En-Laï et, côté européen, la Yougoslavie du maréchal Tito, aka Josip Broz. Bien d’autres leaders de pays qu’on appelait encore le tiers-monde avaient fait le déplacement et les chancelleries américaines, russes et européennes suivaient attentivement ce qui potentiellement pouvait mettre à mal leur domination.

Malgré d’autres rendez-vous, avec souvent l’Algérie indépendante en tête de gondole, les non-alignés n’ont pas réussi à faire naître un nouvel état du monde. Trop hétéroclites, trop dispersés, trop mus par des intérêts contradictoires. Le non-alignement est devenu une belle histoire qui revient régulièrement dans les colonnes du Monde Diplomatique, mais la réalité est que le mouvement n’a pas pris, trop disparate, et que les grandes puissances sont restées hégémoniques.

En sera-t-il de même avec les Brics, qui ne poursuivent pas les mêmes buts et ont aussi des intérêts divergents, mais la puissance qu’ils représentent en tant que flux monétaires, production agricole et démographie interroge et inquiète.

Les premiers Brics (l’acronyme avait été inventé par Jim O’ Neill, un économiste de Goldman-Sachs) ont émergé à l’occasion du sommet de l’OMC de Doha (Qatar) en 2001. Une coalition de 5 pays (comme pour les prémices des non-alignés) qui refusaient les dispositions prises par l’OMC en matière d’agriculture, jugeant les accords proposés par trop défavorables à leurs intérêts. Il s’agissait à l’époque du Brésil de Lula, de la Russie de Poutine (déjà), de l’Inde et de la Chine. Il faut souligner qu’à l’époque, le « s » de Brics était utilisé pour le pluriel, l’Afrique du Sud post-Mandela n’adhérera au bloc que bien plus tard, en 2009.

Pas grand-chose à voir avec les stratégies d’autonomie des non-alignés, mais un refus ferme de la domination des grands céréaliers américains et des échanges inégaux affectant le secteur agricole. Les altermondialistes, après les émeutes de Seattle de 1999 qui avaient fait échouer un sommet de l’OMC, se réjouissaient de cette opposition qui confortait leur refus de la mondialisation libérale, mais inutile de préciser que les Brics n’agissaient pas de la sorte pour leur faire plaisir. Des questions de real politic, de commerce international et de rapports de force bien éloignés des idéaux de justice et d’égalité des premières associations altermondialistes, dont Attac.

Plus tard, les sommets de l’OMC se sont tenus plus rarement et dans des endroits impossibles d’accès avec toujours ce refus obstiné des Brics concernant l’agriculture, mais aussi de certaines nations européennes (la France en particulier) sur le volet culturel et plus précisément cinématographique.

Mais les Brics vont progressivement, en l’absence de sommet par temps de crise de l’OMC, retrouver leur autonomie et, à part la constitution de ce front du refus sur l’agriculture, pas grand-chose ne les réunit, pour ne pas dire que tout les oppose, à part la volonté de faire capoter le nouveau cycle de Doha de l’OMC. Objectif atteint pour une alliance d’intérêts économiques n’ayant pas vraiment trouvé de débouchés politiques. Partie remise ?

Le Brésil socialiste de Lula n’a rien à voir avec la Russie totalitaire de Poutine ou le capitalisme d’état chinois et, même si l’Inde est dirigée par le PNC, plutôt à gauche et l’Afrique du Sud par l’ANC, les tiraillements se font jour et l’alliance n’est pas appelée à durer. Il faudra attendre plus de 20 longues années pour voir les Brics se réactiver et agréger de nouvelles nations.

C’est surtout à l’été 2023 que la question des Brics rebondit. Les Brics ne sont plus 5 mais 11, avec l’Iran, l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie et l’Arabie Saoudite. Leur adhésion ne prendra effet que le 1° janvier 2024. Pour d’obscures raison, l’Algérie, candidate, n’a pas été retenue peut-être à cause du Maroc. On parle donc maintenant des Brics +. Tout cela change évidemment la donne et fait naître des appétits quand on mesure le poids économique et démographique de ce nouvel ensemble, certes toujours aussi disparate, mais néanmoins puissant, surtout replacé dans le contexte d’une baisse du leadership américain et d’une Russie engluée dans le conflit avec l’Ukraine. Mais la Russie, dira-t-on, fait toujours partie des Brics. Pas si simple. Disons un pied dedans, un pied dehors.

Qu’on mesure d’abord, en quelques chiffres, l’importance de ces 11 pays. Les Brics représentent 50 % de la croissance mondiale des dix dernières années ; 31,5 % du PIB mondial (soit plus que celui des pays du G7 estimé à 30%), 54 % de la production pétrolière et 46 % de la population mondiale. Sans compter les terres rares estimées aux 2/3.

Le sommet des retrouvailles pour les Brics s’est tenu le 24 août de cette année, à Johannesburg (l’Afrique du Sud pays hôte). C’était le 15° sommet des Brics depuis 2009 et l’entrée de l’Afrique du Sud et ce sommet a éclipsé le G20 qui s’est tenu au même moment à New Delhi. Le Monde Diplomatique d’octobre 2023 en dessine bien les enjeux, sous la plume de Martine Bulard.

Pour elle, les Brics ne sont pas un bloc politique anti-occidental et encore moins antilibéral. Les vertus du libre-échange y demeurent prégnantes. En revanche, les Brics entendent réformer les grandes institutions internationales pour donner plus de poids politique et économique aux pays émergents. C’est vrai de l’ONU et de son conseil de sécurité, mais aussi du FMI ou de la Banque mondiale. Un ordre du monde injuste qu’ils ont donc l’intention de contester.

Le plus grave pour l’occident, c’est la mention des monnaies dans le communiqué final : « l’importance d’encourager des monnaies nationales dans le commerce international et les transactions financières entre les Brics ainsi qu’avec leurs partenaires commerciaux », souligne Le Monde Diplomatique). C’est là la menace principale. On envisage de ne plus passer par le dollar avec un renforcement des dispositifs d’entraide et une banque de développement, « la banque des Brics » pour ce faire.

Si les Brics ne sont pas partis pour bouleverser les grands équilibres et la marche du monde, on peut en revanche imaginer qu’ils remettront en question les hiérarchies économiques et politiques dans le sens d’une meilleure prise en compte des intérêts des pays émergents. Pas forcément une bonne nouvelle pour les occidentaux que nous sommes.

La comparaison avec les Non-alignés s’arrête là, car il n’y a pas à proprement parler de volonté politique ni désir d’un grand bouleversement ; les intérêts des uns et des autres étant trop diversifiés. Pour l’instant, serait-on tenté de dire. D’autant que l’élargissement des Brics n’en est peut-être pas à son dernier stade et que d’autres pays trouveront sûrement à l’avenir un intérêt à y adhérer. Ce n’est pas de la politique fiction.

Alors que les États-Unis peinent à maintenir leur domination et que l’Occident se remet difficilement des crises sociales, sanitaires, écologiques (elles ont eu lieu partout mais les autres tombent de moins haut et n’affichent pas les mêmes standards démocratiques) et économiques avec les répercussions du conflit russo-ukrainien, la Chine en a assez d’être l’atelier du monde et, à travers les nouvelles routes de la soie, est en train de mailler un dispositif technologique et commercial enserrant le monde dans ses rets. Sa présence en Afrique va croissante et elle est en train de rallier à sa cause une partie du monde arabe.

Les autres Brics s’accrochent à sa roue pour exister à l’avenir, et l’Inde en est un exemple parfait, même si les relations en Chine et Inde ne sont pas au beau fixe à cause de litiges territoriaux.

C’est lorsque les différends seront aplanis entre ces pays et que les relations seront apaisées – l’entité Brics y aidera – que l’on pourra mesurer l’ampleur des changements à venir dans l’ordre mondial. Un nouvel ordre mondial ? Quand les Brics s’éveilleront… Ce n’est plus la Chine qui tremblera, comme le prédisait avec emphase le sinistre Peyrefitte, mais nous, les pays occidentaux.

3 octobre 2023

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