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DON WINSLOW: DÉTECTIVE SAUVAGE

Don Winslow a réinventé les canons du roman policier avec sa trilogie mexicaine (La Griffe du Chien, 2007 Fayard Noir – Cartel, 2016 Le Seuil et La Frontière, 2020 Haper Collins France). Le combat désespéré et héroïque de Art Keller, un ex agent de la D.E.A, contre les cartels de la drogue à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Si Bolano avait dépeint cette zone géographique aux couleurs de l’enfer dans 2666, Winslow ne lui cède en rien, ramenant la poésie métaphysique à l’action et à l’épopée barbare. Une obsession commune : le mal.

Les renseignements biographiques sont maigres sur cet écrivain prolixe et démiurge qu’est Don Winslow. On sait vaguement qu’il est né en 1953 dans le Rhode Island (certaines notices disent New York), que son père était officier de marine et sa mère romancière. En creusant, on sait aussi qu’il a fait des études d’histoire africaine, qu’il a été tour à tour journaliste, détective privé, organisateur de safaris au Kenya et qu’il a vécu longtemps dans la province du Sichuan, avant de se mettre à l’écriture pour notre plus grande joie. Un sacré parcours soit dit en passant.

Les quelques photographies du bonhomme ne correspondent d’ailleurs pas au physique d’un baroudeur – aventurier : haut du crâne chauve, traits réguliers et petites lunettes cerclées d’intellectuel.

Il a écrit une bonne vingtaine de romans à ce jour et, si ses polars se lisent avec grand plaisir, on retiendra cette trilogie sur les narcos, sur la drogue, sur les filières des trafiquants, sur la politique des États-Unis (et du Mexique), mais surtout sur la misère du monde.

Trois pavés de 700 pages en moyenne (c’est le tarif avec Winslow, graphomane invétéré autant qu’inspiré). Tout commence avec La Griffe du Chien, une fresque qui présente les protagonistes et les interactions entre services d’État américains, police et armée mexicaines, cartels de narcos et Art Keller donc, franc-tireur de la Drug Enforcement Administration (D.E.A), une agence dépendant du ministère de la justice dont l’objet principal est la lutte anti-drogues.

Keller est né au Mexique et a pu se lier d’amitié avec des narcos-trafiquants, notamment les frères Barrera et leur oncle, Tio, gros bonnet du trafic. Mais la guerre est déclarée quand son adjoint est torturé à mort par le cartel du Sinaloa avec à sa tête celui qui deviendra son ennemi juré : Adan Barrera, seul maître à bord après la mort de son frère et de son oncle.

On est admiratif devant la façon qu’a Winslow de décortiquer mécanismes et rouages des trafics de cocaïne ou de méthamphétamine : cartel du Sinaloa donc, mais aussi cartel du Golfe, cartel de la frontière, sans parler des Zetas, milices de tueurs sadiques recrutés et formés dès l’enfance. On est subjugués par sa connaissance des enjeux géo-politiques dans cette drôle de guerre néanmoins tragique et meurtrière que se livrent services américains, cartels, fédéraux mexicains et militaires corrompus mis en laisse par les narcos.

Car c’est aussi le point de vue de Winslow qui est important : c’est une guerre sans fin que les États-Unis mènent pour se donner bonne conscience et faire semblant d’agir pour bannir des produits qui contaminent sa jeunesse. Mais le trafic a sa propre économie et les forces en présence s’équilibrent devant des truands sanguinaires prêts à tout pour pouvoir continuer à faire prospérer leur industrie.

Des narcos que Winslow décrit sans complaisance, adeptes du clinquant et du tape à l’œil, grossiers machos stupides et bouffis d’orgueil ne vivant que pour la came, l’alcool, les filles faciles et les voitures de luxe. Aucun romantisme ici : Winslow a le mérite de les présenter tels qu’ils sont, à savoir des crétins primaires n’ayant pas d’autres horizons que le meurtre et la vengeance.

Cartel est édifiant à ce sujet, où chaque avancée d’un cartel est barrée par un autre dans une course au crime et à la folie. Et ce sont les populations qui trinquent, surtout à cette frontière et dans ces villes maudites que sont Ciudad Juarez ou Tijuana. Bolano les évoquait déjà pour les maquiladoras et les tueurs en série. Pour les deux auteurs, que beaucoup de choses opposent (style, genre et approches différentes, métaphysique et poétique pour l’un, behavioriste et hyperréaliste chez l’autre), une même constante : le Mexique est l’enfer des États-Unis ; le Mexique est un enfer sur terre.

Dans ce roman, Barrera, seul rescapé de la famille, est en prison et il s’en échappe grâce aux complicités qu’on devine. Il a juré d’avoir la peau d’Art Keller qui lui-même n’aura de repos qu’après avoir éliminé Adan Barrera. Tous les éléments d’une tragédie shakespearienne sont en place, avec une galerie de personnages fascinants : journalistes, sicaires, jeunes mexicains enrôlés par les cartels, femmes courageuses tenant tête aux narcos au péril de leur vie, policiers corrompus ou politiciens cyniques. On est parfois pris de nausée devant ces descriptions de tueries, de mutilations, de tortures. Un musée vivant des horreurs qui peut évoquer Goya ou Jérôme Bosch. Keller apparaît toujours et encore en chevalier moderne terrassant, ou essayant de le faire, le dragon ou plutôt l’hydre à mille têtes.

« La Griffe du Chien est le Guerre Et Paix des romans sur la drogue », a dit son confrère James Elroy, lui aussi peintre des enfers angelinos devenu soit-dit en passant un fieffé réac. La Frontière serait, à cette aune originale, son Crime et Châtiment.

Si La Griffe du Chien nous emmenait en Colombie, le pays d’où partaient les trafics avec FARC et Contras y prenant leur part, La Frontière nous conduit en pays Maya, au Guatemala où le trafic se reconfigure après les lourdes pertes subies à la fois par les hommes du Sinaloa et par les Zetas. Barrera a été tué par Keller, comme d’ailleurs Ochoa et Quarante, les patrons des Zetas tous deux par Jésus le Kid, un gamin recruté par eux à l’âge de 11 ans, juste après son premier séjour en prison. Le Guatemala où tout recommence, avec en ligne de mire la conquête des marchés européens, Espagne et Italie d’abord où il faut faire ami avec la mafia et ses capo, d’autres cartels et un autre enfer.

Pour reprendre une image nietzschéenne, Winslow regarde le gouffre, et le gouffre le regarde. Il a fabriqué un univers hallucinant où la construction du récit, l’originalité des intrigues, la précision des situations et la profondeur des personnages forcent l’admiration. Il a atteint le degré de perfection d’un James Elroy ou d’un James Lee Burke et seul un David Peace, autre chantre des enfers, peut rivaliser côté anglais.

Le polar romantique à la Chandler avec ses privés idéalistes, ses filles au grand cœur et ses truands pittoresques a fait place à l’abjection et au désastre. Les monstres sont lâchés et le sang des innocents peut inonder la terre. Winslow peindra cette apocalypse jusqu’à son ultime fin.

Comments:

Je découvre un auteur manifestement à découvrir, mais je sais que le roman de Tolstoi c’est « la Guerre et la Paix » (que précisément je suis en train de lire) et d’ailleurs je ne vois pas trop de paix dans « la griffe du chien » tel que c’est décrit ici.

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