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THE MC5 : UNE INSURRECTION SONIQUE.

Le MC5, en plein air.

Gang d’insurgés électriques venus de Detroit (Michigan), inventeurs du hard-rock américain, le MC5 a été l’étendard rock’n’rollien des White panthers, activistes révolutionnaires dont le programme en dix points constituait un véritable brûlot anarchiste. John Sinclair, leader des Panthers, était aussi le manager et le mentor du groupe. Manuel Rabasse et moi leur consacrons un ouvrage, à paraître, dont voici l’introduction. Pour vous mettre en appétit, motherfuckers !

MC5. Motor City Five ou les cinq de Motor City, Detroit (Michigan). Comme on aurait pu dire les cinq de Cambridge, les quatre de Guilford ou encore les sept de Chicago : un chiffre et une ville, la ville de l’industrie automobile, des Big three (General Motors, Ford et Chrysler) et des émeutes urbaines. Motor city’s burning, comme le chantait déjà John Lee Hooker.

MC5. Comme un numéro de référence d’atelier, de pièce de rechange, de machine-outil ou de modèle de voiture. C’est dans cet esprit que nom a été trouvé par Rob Tyner, avec le concours de Wayne Kramer et de Fred « Sonic » Smith, dès le milieu des années 60. MC5, comme on aurait pu dire ici AMX ou R8. Juste un numéro de série dans le monde de la production industrielle qui nie et rejette toute identité déviante, toute utopie subversive, tout élan fraternel. C’est un peu l’univers du film de Paul Schrader « Blue Collar », avec des jeunes ouvriers noirs ou blancs qui aspirent à la liberté et finissent broyés par la machine et par le monde conformiste et robotisé qui va avec. Pas d’échappatoires, no escape.

L’histoire du MC5 se confond avec une histoire politique parallèle / souterraine de l’Amérique avec son lot d’activistes, de rebelles, d’histrions et de poètes libertaires descendant des beatniks. Son lot de répression, de provocations, d’intimidations et de retournements obtenus après un long travail de sape du système policier sur des groupes ou des individus jugés subversifs et à ce titre dangereux. Tout un appareil d’État tourné vers la répression et le contrôle qui va briser une jeunesse révoltée, laquelle se tournera vers la normalisation reaganienne des années 80 (Jerry Rubin) ou vers la marginalité dure et la clochardisation (Abbie Hoffman) ; pour ne citer que les deux frères ennemis du Youth International Party (YIP pour Yippies).

Pour le MC5, ce seront les White Panthers de John Sinclair, mouvement politique de jeunes blancs activistes qui postule que la jeunesse est une classe sociale et qu’elle peut devenir l’avant-garde d’un prolétariat et d’une société qui aurait la bonne idée de s’éveiller enfin après que le rêve américain soit devenu cauchemar de l’autre côté du monde, au Vietnam. Yippies à New-York, White Panthers à Detroit, comme Weathermen en Californie ou Black Panthers sur tout le territoire, ne parviendront pas à renverser l’État et son complexe militaro-industriel, pas plus qu’ils ne réussiront à terrasser la bête. Tout cela finira dans le sang, dans la poudre blanche et dans la paranoïa. Juste un autre cauchemar qui voit des jeunes révoltés épris de justice, de liberté et de fantaisie renvoyés à leurs banlieues par des grenades lacrymogènes et des canons à eau. Neil Young pourra pleurer ses « four deads in Ohio » morts sur le campus de Kent et Nixon et Kissinger se feront une joie d’annoncer au bon peuple américain – comprendre blanc, hétérosexuel et protestant – que l’ordre règne et que les rébellions ont été matées par un État fort qui utilise vos impôts à bon escient pour votre sécurité. Vous pouvez vous rendormir !

Restait la musique, si l’appellation générique n’avait pas quelque chose d’incongru pour désigner ces éructations, ces hurlements, cette lave en fusion, ce métal chauffé à blanc, cette fournaise électrique avec sa rythmique d’acier. Detroit était jusqu’ici connue pour Tamla Motown et une musique noire – soul ou rythm’n’blues – qui répondait aux critères un peu sucrés de la variété internationale. Certes il y avait eu des guitaristes de blues -John Lee Hooker en premier lieu – venus du Sud profond pour atterrir dans les grandes cités du Nord (New-York, Chicago, Detroit, Philadephie) et peupler ses bagnes industriels. Mais Tamla, c’était la joie de vivre d’une jeunesse tournée vers l’avenir radieux de l’Amérique de Kennedy, des droits civiques et de la conquête de l’espace. Des bluesmen et de leurs humeurs cafardeuses, on ne parlait presque plus.

Puis ils sont venus les uns après les autres, dans cette même ville de Detroit. Des blancs cette fois, chevelus et mal embouchés. Mitch Ryder et ses Detroit Wheels, Ted Nugent et ses Amboy Dukes, les Rationals. Puis le MC5 bien sûr, Iggy et les Stooges, les Frost, le Bob Seger System avant Alice Cooper… On ne les comptait plus. Ils avaient en commun le sens de la révolte, une addiction au bruit et un certain goût pour la sauvagerie et l’outrage. Tous haïssaient cette Amérique hypocrite et conformiste qui envoyait ses fils au Vietnam et organisait des coups d’État dans son pré-carré latino-américain tout en se répandant en actions de grâce et en serments sur la bible.

Pour faire vivre cette scène naissante, il fallait un lieu central et il fallait des médias qui, depuis la ville, rayonneraient dans tout le pays. La Grande Ballroom fut le lieu, Creem Magazine et la station de radio WKNR, furent les médias.

Pour la radio, WKNR avec ses disc-jockeys vedettes – tel Jerry Goodwin – et les trois autres stations de Detroit qui feront la part belle au MC5 dans leur programmation.

Pour la presse, c’est en mars 1969 que paraît le premier numéro du Creem Magazine de Barry Kramer, un journal qui deviendra vite, avec Dave Marsh comme directeur, l’étendard du punk rock américain avec des plumes aussi illustres que Lester Bangs, Richard Melzer, Lenny Kaye ou Nick Toshes, ceux-même qui écriront la légende jusqu’au milieu des années 70 sous la férule de Greil Marcus qui en deviendra le rédacteur en chef.

La Grande Ballroom, sise au 8952 Michigan Avenue, est un gigantesque dancing municipal reconverti en salle de concert en 1966. C’est là où joueront tous les groupes de Detroit et en particulier le MC5 qui en fera son lieu de résidence. « Detroit, c’est la Grande Ballroom, ça sent la sueur des chicks et l’ambiance est super high ! » (un jeune de Detroit rencontré au festival de Bath et cité dans un article de Yves Adrien pour Rock & Folk). Il n’y a d’ailleurs pas que les locaux pour y évoluer, chaque groupe de notoriété internationale de passage à Detroit étant obligé de se soumettre au rituel de la Grande Ballroom, là où la jeunesse éruptive de Detroit vous adopte chaleureusement ou vous conspue avec rudesse. La foule de la Grande Ballroom n’a jamais été tiède, pas plus qu’indifférente.

C’est ainsi que Detroit, au tournant des années 60-70, sera la capitale mondiale du rock’n’roll. Et c’est ainsi que le MC5 en sera l’éphémère point de mire, pendant quelques mois seulement avant l’arrivée des grosses pointures du hard-rock anglais, du rock symphonique, du jazz-rock, et avant de voir le monde succomber devant les vertiges du rock décadent. Lorsque arrivent Bowie, Roxy et les autres, les cinq de Motor city ne sont plus que d’obscures légendes urbaines, des perdants magnifiques abîmés par la poudre et par une aura, un fumet de violence qui s’accroche à leurs cuirs. Des Hell’s angels les suivent partout, comme un cortège mortifère, comme une sordide cohorte.

Mais Rob Tyner, Wayne Kramer et Fred « Sonic » Smith n’auront pourtant pas dit leur dernier mot, et la carrière solo d’un Wayne Kramer comme le Sonic’s Rendez-vous Band de Fred Smith sont là pour démontrer que les cinq de Detroit n’avaient pas perdu l’inspiration, pas plus qu’une colère intacte et une fierté farouche, dans la dignité la plus exemplaire.

« Kick out the jams, motherfuckers ! », tel était leur cri de guerre, avant que de prudents directeurs artistiques ne remplacent les motherfuckers par un « brothers and sisters ! » plus dans le goût et l’esprit de l’époque, et pour éviter de prêter le flanc à un procès en vulgarité et en violence que l’Amérique de Nixon leur a toujours intenté.

Issu des décombres de l’ère psychédélique du milieu des sixties, le MC5 aura été la plus flamboyante incarnation musicale, quatre ans durant, du potentiel révolutionnaire d’une jeunesse américaine généreuse et créative, rebelle et indignée. En quatre ans et trois albums, de 1968, année d’une révolution mondiale échouée à 1972, année qui marque le début d’une normalisation généralisée, ils auront porté haut le flambeau d’une mythologie de l’insurrection déjà présente à leur époque dans le free jazz et qu’on retrouvera quelques années plus tard dans le punk rock.

Et ce n’est pas un hasard si Wayne Kramer aura passé autant de temps dans les geôles de l’empire. Pas un hasard non plus si Fred Smith convolera avec la poétesse et rockeuse homonyme Patti Smith, continuatrice inspirée des orgies sonores d’un groupe aussi exceptionnel qu’incomparable dont l’un des grands mérites aura été d’inventer la grammaire de tous les gangs de heavy metal du monde entier, aux fins d’incendier ce même vieux monde dans un déluge de feu et d’électricité. La panique avait gagné Detroit (Michigan) avant de fondre sur l’occident dans cet éclair de métal lourd que chantait le Steppenwolf de John Kay, version californienne de la colère prométhéenne des cinq de Motor city. C’est une autre histoire qu’il faudra bien raconter un jour.

Mais il est temps d’en venir à leur histoire, des lycées de Lincoln Park (Michigan) – lointaine banlieue résidentielle de Detroit dans le Comté de Wayne– aux démêlés avec la justice américaine et jusqu’à leur renaissance musicale et artistique après un sinistre purgatoire. L’histoire, donc, des cinq de Motor City, qui auront écrit l’une des plus belles pages de la musique populaire américaine, sans jamais s’écarter des valeurs de sincérité et de révolte qu’ils auront incarnées avec fougue et panache, jusqu’au bout.

Le MC5 : une légende que se racontent encore les survivants de ces temps obscurs où l’Amérique a failli basculer du côté de la fraternité.

Le MC5. Envoyez la purée, fils de putes ! Maintenant ! (traduction approximative).

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