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EXPO PÉRET À NANTES

Expert en anars et potes (contrepèterie bancale mais vaguement surréaliste)

illustrations de l’article de Dominique Rabourdin (commissaire de l’exposition) sur le livre de Barthélémy Schwartz Benjamin Péret ou l’astre noir du surréalisme. Avec leur permission (du moins on l’espère).

Et si Nantes était la vraie capitale française du surréalisme ? Breton adorait la ville, Jacques Baron et Jacques Vaché y sont nés. Benjamin Péret, lui, est de Rezé – autant dire la banlieue. La médiathèque de Nantes lui consacrait une belle exposition et, entre deux sessions de l’université d’été, on est allés y jeter un œil. On n’a pas été déçus. Même si Péret n’a jamais été notre surréaliste favori, sa vie et son œuvre méritaient bien ce détour.

Insulter ou gifler un prêtre ? Ni l’un ni l’autre. C’était une photographie connue publiée dans la revue La révolution surréaliste et légendée comme suit : « notre collaborateur, Benjamin Péret, injuriant un prêtre ». Et la revue dirigée par Pierre Naville, militant trotskiste, de montrer un Péret goguenard comme ricanant au passage d’un prêtre en chapeau et soutane. Rire garanti par un anti-clérical viscéral, aussi enragé contre les curés que contre les fascistes et les staliniens. Ce n’est pas pour rien que Péret vira vite sa cuti communiste pour en venir au trotskisme puis à l’anarchisme.

Péret a toujours été le favori d’André Breton, une longue amitié indéfectible a uni les deux hommes à travers les épisodes de leurs vies. C’est un poète parfois inspiré, usant volontiers de l’injure, de la provocation et du scabreux, mais bien inférieur aux quatre cavaliers de l’apocalypse surréaliste : Artaud, Aragon, Crevel et Soupault. Mais, plus que son art, c’est sa vie qui est passionnante et, par bonheur, c’est précisément ce que montre l’exposition.

Manuscrits, poèmes, livres, coupures de presse, peintures et photographies couvrent les tables et les murs de ces salles ouvertes au public (et gratuitement, salut les radins !) dans la médiathèque de Nantes, à deux pas des quais. Une exposition bourrée de trésors perdus rescapés de nombreuses collections qui disent à peu près tout du sieur Péret, même si l’individu dans sa complexité garde entière une part de mystère. C’est bien le moins pour un surréaliste.

Mais qui est exactement Benjamin Péret ? Il naît le 4 juillet 1899 à Rezé (Loire Atlantique), on l’a dit. Infirmier durant la première guerre mondiale, il est témoin des atrocités du front, aux premières loges, ce qui fera de lui un pacifiste irréductible. De retour à la vie civile, il s’intéresse aux productions des dadaïstes et des premiers surréalistes et c’est sa propre mère qui lui ménage un rendez-vous avec celui qui va devenir leur pape, André Breton. La mère Péret fait l’emplette du premier numéro de Littérature, la revue des surréalistes, et recommande son fils au maître qui reçoit ses disciples dans son appartement de la rue Fontaine.

Vite dans le bain, il participe sous les traits du soldat inconnu au procès « pour rire » de Maurice Barrès organisé par les dadaïstes. À travers l’écrivain patriote et réactionnaire, c’est le nationalisme, le chauvinisme, le militarisme, le bon sens et la bêtise bourgeoises qui constituent les principaux chefs d’accusation. Péret se révèle irrésistible dans le rôle, saisissant de vérité et provoquant des hurlements de rire. En 1924, il figure en bonne place du premier manifeste surréaliste rédigé par Breton, de même qu’il sera l’un des poètes vivants de son Anthologie de l’humour noir. Une manière de reconnaissance.

Contrairement aux nombreux artistes répudiés par Breton dans le deuxième manifeste en 1929 (Artaud pour mysticisme, Aragon pour stalinisme, Soupault pour activité journalistique, Crevel pour homosexualité…), Péret aura toujours son nom en bonne place dans toutes les listes de surréalistes dressées des années 1920 aux années 1950. Tout le monde n’aura pas ce privilège. De là à voir en lui un bon soldat du surréalisme et un fidèle servant de Breton, il y a un pas que certains ont franchi.

Au moment du second manifeste, il a déjà cinq recueils de poésie à son actif, dont les deux plus célèbres : Les rouilles encagées (savourons la contrepèterie) en 1929, illustrée admirablement par des dessins de Yves Tanguy et Le grand jeu, son premier livre chez Gallimard, ce grand jeu qui est un peu le saint Graal des surréalistes, mélange de mysticisme et d’onirisme pour arriver de l’autre côté de la réalité, aux confins du rêve et de la déraison.

Péret signe parfois de son nom et use de divers pseudonymes dont celui de Satyremont (contraction de satyre et de Lautréamont) ou encore Peralta, parfois Peralda, déjà fasciné par l’Espagne et le continent Sud-américain. Ses œuvres complètes sont à feuilleter dans l’exposition.

Le passager du transatlantique, son premier recueil, avait été illustré par Hans Arp et c’est une constante chez Péret de travailler avec les plus grands artistes de son temps, Max Ernst et Paul Éluard en tête. D’où l’intérêt de cette exposition riche en illustrations. Mais l’homme n’a pas la poésie tendre des baladins et c’est un redoutable polémiste dont on peut se délecter de la hargne dans Ne visitez pas l’exposition coloniale, un texte cosigné par Breton, Éluard et Georges Sadoul en 1931. Je ne mange pas de ce pain-là, en 1936, est encore plus révélateur de son côté vachard, teigneux, et c’est dans Le déshonneur des poètes (1945) qu’il portera l’estocade contre la gent littéraire de son temps, entre collabos à la Drieu La Rochelle ou mondains à la Cocteau. Le titre fait référence à l’anthologie de Pierre Seghers L’honneur des poètes et on devine que les auteurs encensés par Seghers ne trouvent pas grâce aux yeux de Péret dont la saine colère est à son comble. Péret ne fait pas de quartiers et ne prend pas de prisonniers. En joue !

C’est durant les années 1920 qu’il a aussi fait valoir des talents de journaliste pamphlétaire dans L’Humanité, où il rédige une chronique anticléricale avant que de quitter le journal dont il désapprouve la dérive stalinienne. Aussi féroce en poésie que lucide en politique. Mais revenons à cette année 1929, choisie également pour titre d’un hymne à la masturbation publié avec Aragon avec des photographies suggestives de la demi-mondaine Kiki de Montparnasse prises par Man Ray. « Je suis fouteur, voilà ma gloire … / … Je décharge sur ton chien ». Là où Aragon s’envole pour les sommets littéraires avec son cycle du Monde réel, Péret reste fidèle à une poésie foutraque et mal pensante qui peut parfois incliner vers le pamphlet et la politique (Les syndicats contre la révolution, en 1952). Une sorte de Prévert qui aurait lu Marx et Trotski.

Trotski justement, qui prendra une place importante dans sa vie. D’abord lors de son exil brésilien (1929 – 1931), quand il épouse la cantatrice Elsie Houston dont le frère, Mario Pedrosa, est un militant infatigable de la cause trotskiste. Il fait du journalisme et est expulsé en tant qu’agitateur communiste, ce qui ne l’empêche pas d’adhérer à l’Union communiste (parti à la gauche du PCF). Mais Péret n’est pas un révolutionnaire de salon et il est volontaire pour la guerre d’Espagne, s’engageant avec les trotskistes (encore) du POUM avant de diriger un groupe anarchiste de la colonne Durutti sur le front de Teruel, la ville de l’Aragon lieu de la bataille la plus longue et le plus meurtrière entre les troupes franquistes et les républicains. De tels engagements forcent le respect.

Il fait la rencontre à Barcelone de sa future femme, Remedios Varo.

Après la période brésilienne et la période espagnole, c’est la période mexicaine. De retour à Paris en 1940, Péret est accusé de désertion et emprisonné à Rennes pour « reconstitution de ligue dissoute » (en fait pour appartenir à une organisation dissoute par Pétain). Il est libéré et s’enfuit au Mexique avec sa jeune épouse et, là-bas, il se passionne pour l’art et la culture Maya, suivant les traces d’Artaud mais en moins mystique exalté. C’est l’époque où Breton est reçu par Trotski à Mexico et où le gourou, le maître – au verbe étincelant et à l’excommunication facile – apparaît comme un petit garçon timide devant le vieux. Péret reviendra en France dans les bagages de Breton, exilé lui aux États-Unis (« du fin fond du Colorado, je te salue, Pierre Fourrier!).

Séparé de Remedios Varo, il coordonne les activités du groupe surréaliste à Paris quand Breton s’est retiré dans sa vieille demeure de Saint-Cirq La Popie (Lot), sans renier ses engagements politiques et en continuant à écrire de la poésie. Il publiera encore une dizaine de recueils entre 1946 et 1959, dont Feu central (avec encore des illustrations sublimes de Tanguy) en 1947, Anthologie de l’amour sublime en 1956 et, pour finir, Gigot sa vie son œuvre l’année suivante. Il meurt en 1959.

Que reste-t-il de Péret aujourd’hui ? Un poète, un pamphlétaire et un militant complètement oubliés, et cette exposition est là pour rappeler qu’il n’est pas et n’a jamais été une sorte de fou du roi Breton, poète mineur que sa fidélité au maître aurait rehaussé. On a à faire à un grand monsieur comme seules ces années-là pouvaient en produire. À la fois écrivain, humoriste et activiste. Comme Blondin, il aurait pu écrire sur sa carte de visite : profession amitié.

Il est le seul à ne s’être jamais fâché avec Breton, et ça restera son principal titre de gloire.

LA PAROLE EST À PÉRET – Médiathèque Jacques Demy à Nantes – jusqu’au 19 septembre.

5 septembre 2021

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