Quand les zapatistes découvrent l’Europe.
On en parle beaucoup depuis quelques mois, avec des collectifs dans tout le pays qui s’apprêtent à recevoir plusieurs dizaines de militants zapatistes souhaitant partager leurs expériences mais, surtout, apprendre des mouvements sociaux européens et de leurs luttes locales. Les zapatistes ne sont donc pas venus en donneurs de leçon, pas leur genre. Pourtant, on serait bien inspirés de prendre exemple sur eux, sur le combat qu’ils mènent depuis 1994, sur leur résistance et sur leurs utopies. Petit rappel historique.
On a vu des représentants des zapatistes à l’université d’été de Nantes, lors de la plénière d’ouverture. On les a vus plein d’humilité faire part de leur situation, de leurs expériences et de leurs valeurs, de leur espérance en l’avènement d’un autre monde possible, débarrassé du capitalisme, du patriarcat, du racisme et des oppressions sous toutes leurs formes. Un discours émouvant qui a redonné espoir dans l’internationalisme et dans l’attention enfin apportée par les participants aux luttes venues du monde entier.
On ne sait pas encore bien quand les zapatistes débarqueront à Lille. Plusieurs d’entre eux avaient débarqué à Gijon au mois de juin et dans d’autres ports et aéroports espagnols, mais les tracasseries administratives et les contraintes anti-Covid, exagérées pour la circonstance, rendent leur arrivée de plus en plus improbable. Pour Lille, on parlait de fin septembre, puis d’octobre et, aux dernières nouvelles, de deux vols, début septembre, au départ de Mexico et à destination de Vienne avec escale à Madrid. Des avions arrivés en Europe sont déjà repartis au Mexique et l’escadron 421, la délégation maritime zapatiste, est en chemin.
Il faut dire qu’on ne leur fait pas de cadeaux et les gouvernements européens ne leur souhaitent pas la bienvenue, freinant des quatre fers et multipliant les contraintes, le gouvernement Macron en tête. L’Europe en a bien assez avec la pandémie et les mouvements sociaux de ses différents pays sans, en plus, devoir se colleter avec une bande de farfelus exotiques aux idées anarchisantes.
C’est d’autant plus méritoire pour les collectifs Zalig (Zones d’Accueil des Luttes Intergalactiques), actifs dans toute l’Europe. À Lille, il est tenu à bout de bras par une poignée de militants de la CNT, du CCL (Centre Culturel Libertaire) et de Solidaires (SUD Éducation surtout). Des militants dont l’activité principale est de faire de l’information sur l’événement à travers le site herbes folles et d’organiser des cantines libertaires dont les fonds provisionneront les frais d’accueil des zapatistes. Quand ils viendront…
Tout avait commencé en janvier 1994, lorsque des militants de l’EZLN (Ezercista Zapatista de Liberacion Nationale) envahissent des bâtiments publics de la province du Chiapas (au sud-est du Mexique, à la frontière du Guatemala) pour protester contre l’Alena, traité de libre échange entre États-Unis, Canada et Mexique mis en œuvre à cette date.
Pourquoi zapatistes ? En référence bien sûr à Emiliano Zapata, révolutionnaire mexicain qui mena la bataille avec Pancho Villa contre le gouvernement corrompu à la solde des américains de Porfirio Diaz. Révolution et guerre civile, entre 1910 et 1919, qui donnera finalement le pouvoir au P.R.I (Parti Révolutionnaire Institutionnel, cherchez l’oxymore). Un parti populiste et affairiste qui restera très longtemps au pouvoir.
Les zapatistes sont des activistes qui militent pour un changement de société et une transformation sociale radicale. Ils se revendiquent de la mouvance altermondialiste, encore balbutiante à l’époque, mais sont prêts, eux, à prendre les armes. Il est peu dire qu’ils sont radicaux, sans concession envers le système prédateur qui les exploite depuis toujours. Des intellectuels « organiques » américains comme le linguiste Noam Chomsky ou le sociologue Immanuel Wallerstein commencent à parler d’eux en occident ; d’eux et d’un porte parole qui mêle théorie politique, réflexions philosophiques et citations littéraires : l’auto-baptisé Sous-commandant Marcos.
Après des pourparlers, un cessez-le-feu est signé avec le gouvernement du président Solanas, suivi d’une conférence de paix dans la cathédrale San Christobal avec, côté zapatistes, le Sous-commandant Marcos et 18 commandants indigènes. En août, c’est la réunion de 6000 représentants d’organisations populaires qui se réunissent dans la forêt de Lacandon pour une Convention Nationale Démocratique destinée à jeter les bases d’un programme politique radical qui vise l’auto-organisation et la sécession de la province, surtout pas le pouvoir.
La répression s’abat sur le Chiapas dès 1995 avec une offensive de l’armée pour arrêter les dirigeants zapatistes, mais elle échoue et des négociations peuvent reprendre. Des discussions entre l’EZLN et le gouvernement fédéral suivi d’une consultation (1 million de votants), d’une nouvelle déclaration et de la constitution d’un Congrès National Indigène (CNI) des peuples du Mexique, en janvier 1996.
Suivent les accords de San Andres sur les droits et cultures indigènes et un sommet intercontinental contre le néo-libéralisme qui réunit 5000 personnes venues de 42 pays. La COCOPA, une commission ad-hoc, présente aux zapatistes et au gouvernement fédéral un projet de nouvelle constitution basé sur les accords de San Andres. Les zapatistes acceptent le texte, le nouveau président Zedillo le récuse. C’est la machine répressive qui va se remettre en marche.
Alors qu’en septembre 1997, plus de 1000 délégués de toutes les provinces se rendent à Mexico pour un deuxième congrès national indigène, 45 indiens du Chiapas sont massacrés le 22 décembre par des troupes paramilitaires. L’utopie zapatiste a du plomb dans l’aile et le Sous-commandant Marcos en reste sans voix. L’année suivante, plusieurs communes autonomes sont démantelées et, en mars 1999, c’est la longue marche des zapatistes dans tout le Mexique.
5000 zapatistes prennent leur bâton de pèlerin dans tout le pays pour demander l’application des accords de San Andres, une consultation nationale pour la reconnaissance des peuples indigènes et la fin de la répression. 2 millions de personnes prendront part à la consultation. C’est sur cette base que s’organisent de nouvelles négociations avec le président Vincente Fox après la défaite du P.R.I.
Si le Sénat approuve une réforme constitutionnelle, les zapatistes la rejettent car inférieure aux accords de San Andres. La popularité des zapatistes et de Marcos n’a jamais été aussi forte dans le mouvement altermondialiste européen, et Ignacio Ramonet, alors directeur du Monde Diplomatique, ira interviewer le Sous-commandant dont le charisme conquiert le monde.
Il entame l’autre campagne, le 1° janvier 2006, après la 6° déclaration de la Silva Lacandon qui vise à unifier mouvements indigènes et organisations et collectifs de lutte pour une nouvelle constituante « en bas, et à gauche ». Après avoir subi de nouveaux actes de répression, l’EZLN organise, à l’été 2007, une première rencontre entre les zapatistes et les peuples du monde. Elle sera suivie de la rencontre avec les peuples d’Amérique. Beaucoup d’autres rencontres altermondialistes de ce type seront organisées, jusqu’à l’occupation, le 21 décembre 2012, de 5 villes du Chiapas par 40000 zapatistes. Tout avait commencé de la même façon, 18 ans plus tôt.
Il y a ensuite changement de stratégie, et l’objectif est d’amener le plus de monde possible à partager la vie des communautés zapatistes fédérées et autogérées. Les marches et l’autre campagne sont provisoirement abandonnées. En mai 2014, des paramilitaires abattent un chef zapatiste – Galeano – et le Sous-commandant Marcos annonce la mort du personnage qu’il a incarné en même temps qu’il reprend le nom du tué. Le commandant Moisès prend les rênes, et les zapatistes accueillent les familles des étudiants disparus à Ayotzinapa, probablement assassinés par les narcos avec la complicité de la police. C’est aussi ça le Mexique, un pays mis en coupe réglée par les narcotrafiquants, l’armée et la police avec les plus grosse fortunes (Carlos Sim) qui côtoie la misère la plus noire.
Dès lors, on suit moins l’actualité du Chiapas, si ce n’est pour leur acheter le café solidaire, même si les événements politiques et culturels, les Congrès nationaux indigènes, les assemblées et les commémorations se déroulent toujours à un bon rythme. Avec l’élection d’AMLO (Obrador), en 2018, les zapatistes préviennent qu’ils n’accepteront pas les grands projets inutiles du Chiapas, notamment le train Maya qui doit traverser leurs terres. Ils commémorent leurs morts de décembre 1997 et, en janvier 2019, les 25 ans du mouvement.
C’est aussi un 1° janvier (2021) qu’est lue la « déclaration pour la vie » et décidée « la marche pour la vie » sur les 5 continents et d’abord en Europe. D’où cet article et le rappel d’une lutte internationaliste, exemplaire et pacifique qui n’a jamais visé la prise du pouvoir et a toujours refusé les institutions politiques telles qu’elles sont. Les zapatistes ont rouvert les chemins de l’espoir et les voies de l’utopie avec un constant souci d’humanité et de fraternité et en mettant toujours en avant les valeurs sociales, écologiques, antiracistes et féministes défendues par les mouvements sociaux du monde entier.
Ils viennent modestement apprendre de nous. On serait bien inspirés aussi d’ apprendre d’eux, comme le disait jadis Régis Debray à propos des Tupamaros uruguayens. Oui, apprendre d’eux, et accessoirement les admirer.
17 septembre 2021
Muy interessante. Gracias.