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SURF’S UP : LES BEACH BOYS VOL. 2

Les Beach Boys en 1964, précieux document envoyé par Francis Dumaurier, l’ami américain. Le texte accompagnant la photographie est extraite de son autobiographie, Expat New York

On en était restés à Brian Wilson les pieds dans son bac à sable et les autres en tournée mondiale. Des documents précieux envoyés par un ami américain (il se reconnaîtra) nous amènent à revenir sur les Beach Boys, dans une seconde et dernière partie qui couvrira les années 1966 à 1973, soit parmi les plus riches musicalement mais aussi les plus dures humainement. Pour les années qui suivent, c’est vraiment plus la peine, tant la magie n’opère plus, tant le charme est définitivement rompu. On va s’en tenir à ces années-là.

Les pieds dans le bac à sable, disions-nous, mais la tête dans les étoiles et des prodiges musicaux, des mélodies inventives et complexes, qui rendent des points à celles, à la même époque, des Beatles avec lesquels ils sont en concurrence directe, d’un continent l’autre. Si les Beatles ont accompli deux tournées triomphales aux U.S.A, les Beach Boys ont recueilli un franc succès en Angleterre, même sans leur leader.

Pet sounds, sorti en mai 1966, est un pur enchantement, sans conteste l’un des plus grands albums de la pop music. Les chansons proposées par Brian Wilson et son parolier Tony Asher sont d’une beauté étrange, comme issues de l’inconscient, avec un goût certain pour les bruitages, les bidouillages de studio et le travail sur le son. C’est incontestablement leur chef-d’œuvre, qui aurait pu être égalé, voire dépassé, par Smile si sa riche musique avait pu quitter le cerveau brumeux de Brian Wilson pour s’inscrire dans la réalité, ce qui se fera 45 années plus tard.

C’est l’époque où l’aîné des Wilson s’enfonce dans une douce schizophrénie. Il porte constamment un badge qu’il retourne avec les mentions « good humor » ou « bad humor », un peu comme le bien et le mal de La nuit du chasseur. Il s’empiffre de nourriture, se gave de médicaments, est devenu obèse et perd tout contact avec la réalité mise à part une haine d’un père tyrannique n’en finissant pas de l’humilier. La rage sera son énergie créatrice. La rage, la tristesse et l’acide lysergique.

On connaît les hits, « God Only Knows », « Wouldn’t It Be Nice » ou « Sloop John B. », mais le disque compte d’autres merveilles, plus longues à apprécier mais toutes aussi splendides. Autant de joyaux mélodiques rehaussés par des trouvailles sonores inouïes. L’album suinte la mélancolie et sonne un adieu à l’enfance. Brian Wilson l’a enregistré seul avec les musiciens de studio du Wrecking Crew (ceux de Spector et du Gold Star Studio de L.A) , alors que son groupe était en tournée et ils n’ont eu qu’à ajouter leurs voix. Wilson se sépare de ses agents californiens et écarte son père pour un nouveau manager anglais chargé d’en finir avec leur image de collégiens bronzés.

« Good Vibrations » sort quelques mois plus tard, plus enjoué et plus grandiose encore, avec un sens du collage sonore et de l’harmonie – tant vocale qu’instrumentale – impressionnants. Avec en face B un instrumental bizarre (« Let’s Go Away For Awhile »), « Good Vibrations » se classe n°1 et devient un classique de la culture hippie. Mais Brian Wilson, même si son groupe est à son apogée, va de plus en plus mal. Il passe son temps dans sa piscine comme un gros bébé resté au stade anal et se bourre d’hallucinogènes. De plus en plus seul, il engage Van Dyke Parks, un génie de studio touche-à-tout pour enregistrer Smile, ce qui se veut un Pet sounds en mieux.

Las, « la symphonie adolescente adressée à dieu » (c’est lui qui le dit, un rien emphatique) va se perdre dans les sables. Brian Wilson est devenu un nouveau Spector, mégalomane et démiurge, souhaitant mettre en son les quatre éléments et faisant partager aux membres de son groupe ses délires et ses turpitudes. Finalement, le projet Smile est abandonné fin avril 1967 quand Paul Mc Cartney, venu en studio en ami, lui fait écouter les bandes de Sgt Pepper’s. Brian Wilson s’avoue vaincu et jette l’éponge. Au lieu de Smile, l’éléphant blanc, ce sera Smiley Smile.

Smiley Smile sort en septembre 1967 et il place « Good Vibrations » en tête de gondole, mais l’album, sans être décevant, ne peut que reprendre quelques idées de Smile, comme les éléments d’un brouillon qu’on n’aurait pas eu le temps de mettre au propre. « On », c’est Brian Wilson qui finit par se désintéresser de sa musique, même si on trouve encore des traces de son génie dans cet album et dans le suivant, Wild honey, qui sort à peine trois mois plus tard. Brian Wilson est encore aux commandes, mais il cosigne tous les morceaux avec Mike Love et son jeune frère Carl est devenu la première voix du groupe. Signe de faiblesse, le groupe fait une reprise du « I Was Made To Love Her » de Stevie Wonder et donne à tout l’album une tonalité inédite, plutôt rhythm’n’blues.

Friends, en juin 1968, réserve encore de belles surprises, mais Brian Wilson a laissé les rênes à ses acolytes et s’enfonce dans sa nuit. La plupart des morceaux sont maintenant cosignés avec Jardine et Love. On a même deux titres signés Dennis Wilson, lequel mène une vie de sybarite avec un certain Charly Manson comme dealer et homme à tout faire. Le puîné des Wilson devra subir le chantage de Manson quant à ses habitudes narcotiques et ses mœurs hédonistes, lui faisant bénéficier d’une partie de sa fortune. Manson qui réussira à caser une chanson dans l’œuvre colossale des Beach Boys !

Mais il y aura pire, si possible, avec un manager véreux du nom de Jack Rieley, un escroc qui croquera leur fortune, lui aussi. Les frères Wilson sont dépassés par les événements, ringardisés par les hippies qui leur préfèrent les groupes de San Francisco et englués dans la paresse et l’ennui. S’ensuivent des albums inégaux qui contiennent tous d’heureuses surprises, souvent des bouts de chansons du naufrage grandiose de Smile. Ainsi 20/20, en février 1969, où l’on trouve aussi bien un morceau de Spector – Greenwich – Barry (« I Can Hear Music »), une reprise de Leadbelly (« Cottonfield »), un « Do It Again » enjoué et une resucée de Smile, «Cabinessence ». Même si on peut apprécier le disparate, on doit dire adieu au génie.Sunflower (août 1970) a encore de beaux restes (notamment ce « Deirdre » signé Wilson – Johnston), mais où sont les Beach boys d’antan ? Ils ont quitté Capitol pour signer chez Reprise, une sous-marque de Warner Bros, mais à part ça ?

On se consolera en écoutant ce Live in London (leur deuxième en public) qui reprend leurs hits avec cette carte postale au dos de la pochette : «wish you were here, Brian ». Mais Brian n’est plus là, semblant définitivement exilé dans son monde intérieur, et c’est le cadet Wilson, Carl qui va progressivement se mettre à la barre d’un collectif en perdition.

Sorti en août 1971, Surf’s up (le surf est fini) est un album curieux qui recycle encore des bribes de Smile (leur baleine blanche, leur monument), dont la chanson titre, mais où les deux titres les plus marquants sont signés Carl Wilson («Feel Flows » et « Long Promised Road »), qu’on ne soupçonnait pas si doué. Ce qui ne signifie pas que l’aîné est resté inerte, témoin ce surprenant « Till I Die » et son texte autobiographique : « je suis un bouchon sur l’océan / flottant sur la mer furieuse / je suis une feuille un jour de vent / bientôt je serai arraché ». Le génie déraille gentiment, mais n’a pas dit son dernier mot. Surf’s up a aussi le mérite de mettre au premier plan les préoccupations écologiques sincères du groupe.

Le style de Carl Wilson marquera l’album suivant : Carl and the passions / So Tough, en 1972. Bruce Johnston a quitté le navire et deux musiciens sud-africains ont fait leur entrée : Blondie Chaplin et Ricky Faatar pour une nouvelle section rythmique. On est dans une pop ordinaire, banalisée, avec des accents rhythm’n’blues. Les petits nouveaux signent deux morceaux (médiocres), et les autres ne valent guère beaucoup mieux.

 C’est alors qu’on n’attendait plus rien des Beach Boys que sort le magnifique Holland, un album concept, une symphonie douce amère où c’est encore les compositions de Brian Wilson qui font merveille : « Sail On Sailor » et « Funky Pretty » qui ouvre et ferme la première face ; la seconde consistant en une longue suite intitulée A fairy tale qui est en fait le brouillon d’un album solo que Brian Wilson a laissé tomber. Un de plus. Sorti en janvier 1973, l’album a été enregistré aux Pays-Bas, d’où son titre, et est centré sur l’histoire et les mythologies américaines. La critique est bonne et, en plein boom du rock décadent et du Hard-rock, les jeunes générations se souviennent des B.B. Avec Holland, les Beach Boys reviennent, mais pas pour longtemps.

Blondie Chaplin… c’est lui d’ailleurs qui chante “Sail On Sailor” qui deviendra le premier Number One des Beach Boys depuis longtemps, et qui de plus n’est pas chanté par un des membres originaux du groupe. La tournée de Brian Wilson, qu’il fait sans les Beach Boys depuis des années, est annoncée comme “Brian Wilson with Al Jardine and Blondie Chaplin”, et c’est le fils de Al Jardine (Matt) qui reprend souvent les voix pures et célestes de Carl Wilson, ce que j’avais vu/entendu faire quand j’avais été voir le concert d’Al Jardine don’t je t’ai envoyé une photo de moi avec lui, et qu’ils n’étaient que trois sur scène, Al et Matt accompagnés de Jeffrey Ross, et qui – à trois seulement – arrivaient à sonner comme s’ils étaient 15.

Holland sera leur chant du cygne et les nombreux albums qui suivront – hormis les compilations et les disques en public – atteindront des sommets de médiocrité. Brian Wilson n’y est plus et a délégué aux autres l’avenir d’un groupe dont le sort l’indiffère.

C’est encore dans ses albums solo qu’on retrouvera trace d’un groupe exceptionnel dont la place dans l’histoire du rock est prépondérante. Il n’est que d’écouter son premier album éponyme en solitaire (mais Brian Wilson n’a-t-il jamais produit ses disques autrement ?), sorti en juillet 1988, pour retrouver la magie. Il n’est surtout que d’écouter l’intégrale de Smile, Frankenstein musical ressuscité en 2011, et de voir ce film, Love and mercy, avec John Cusak dans son rôle pour pleurer à chaudes larmes sur la vie d’un éternel gamin qui n’était juste pas fait pour ces temps. Un sorcier du son, une vraie star et un pur génie.

10 février 2022

Le paragraphe en gras est de Francis Dumaurier. Merci grandement à lui.

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