Il s’appelait Roger Marche, arrière central, comme on disait naguère, de l’U.A Sedan-Torcy puis du Racing Club de Paris. C’était le sanglier des Ardennes, infatigable et rugueux. Pendant des années, j’ai délaissé le Stade de Reims (tombé hors des radars dans des divisions perdues marnaises) pour supporter Sedan, remonté en première division après avoir connu les affres de l’amateurisme. Les bleus avec manches blanches (le dénominateur commun à toutes mes équipes préférées, s’agirait-il de fétichisme?) ont troqué leur maillot légendaire pour les couleurs rouges et vertes du département des Ardennes. De quoi s’en détourner, mais sans oublier de se souvenir.
Je devais avoir 7 ans et c’était le premier match que je pouvais voir sur un téléviseur que mes parents venaient d’acheter. L’Union Athlétique de Sedan était confrontée au Nîmes Olympique en finale de Coupe de France au stade Yves du Manoir de Colombes, l’antre du Racing Club de Paris. Les Sedanais, maillot bleu roi et manches blanches, short blanc, s’étaient imposés 3 à 1 et j’étais avec eux, pour eux. Nîmes, c’était le sud, c’était loin. Sedan, c’était déjà des images – dans les chewing-gums Globo ou les biscuits Rem – des attaquants de l’époque : Salaber, Mouchel, Hatchi, Salem, Breny et le grand Synakowski qu’on appelait de son prénom, Maryan. Un nom que les commentateurs avaient sûrement du mal à prononcer, comme pour ceux de l’Affiche rouge. En défense, on avait le père Noah, Zacharie de son prénom, Polak, le défenseur central qui allait signer à Lyon l’année suivante comme Hatchi ; Fulgenzy l’inamovible arrière droit, le véritable sanglier des Ardennes Roger Marche et, dans les buts, Alex Roszack. Les supporters se mettaient sur la tête des hures de sanglier en tissu et on avait même amené un marcassin baptisé Dudule pour faire un glorieux tour de piste avant le coup d’envoi. La fêêête, comme on dit à Groland.
Bien plus tard, quelques notions d’histoire m’avaient amené à reconsidérer la ville. Sedan, une ville de garnison synonyme de défaite et d’invasion prussienne. Bazaine et Napoléon III en déroute et la Commune de Paris sur les ruines de l’empire. C’était la bataille des Ardennes et un haut-lieu de résistance. Une région sinistrée et désindustrialisée qui peinait à sortir du marasme. C’était aussi un patelin du Kansas et une chanson de Neil Young s’y rapportant, « Sedan Delivery ». Et c’était surtout Rimbaud, en voisin, et des écrivains comme le précieux André Dhotel. De mon Nord natal (ou fatal), je considérais les Ardennes, sans savoir trop pourquoi, comme une terre de mystère et d’aventure. La forêt, sans doute, et les mythes et légendes lui étant attachées.
En 1965, quatre ans plus tard, les Sedanais étaient à nouveau en finale, mais elle fut perdue, celle-là, contre le Stade Rennais. Louis Dugauguez, l’entraîneur emblématique au sujet duquel un Antoine Blondin a tartiné moult chroniques, est aux manettes. L’ex joueur du R.C Lens est, au même titre qu’Albert Batteux, le type même du sorcier du banc de touche, capable de réaliser des exploits avec un onze moyen. Mais les sangliers millésime 1965 n’avaient rien de médiocre.
L’équipe avait était modifiée à presque 100 %, seul l’avant-centre Salem, avec le Catalan Emilio Salaber, faisaient encore partie de l’effectif, concurrencés par André Perrin, jeune attaquant efficace. La finale avait été donnée à rejouer après un nul qui n’arrangeait personne. Dans cette équipe, les Ritals avaient remplacé les Polacks, avec les Tordo (dans les buts), Fugaldi, Gasparini (en défense) ou Cardoni (l’inter gauche). Roger Lemerre, impérial, exerçait son magistère en défense centrale entouré par des joueurs expérimentés comme Rastoll, Médot ou Marie. Sur les ailes, des dribbleurs impénitents comme Herbet ou Roy. La belle équipe ! Mais ce sera l’année où Sedan sera au zénith et la suite est moins glorieuse.
Il y a d’abord cette fusion surprenante avec un Racing Club de Paris en capilotade, en 1966. Une fusion-absorption en fait puisque le club sera rebaptisé Sedan tout court en 1970 (le C.S Sedan, et non plus l’U.A Sedan-Torcy). Malgré d’excellents joueurs tels Le Bihan, Levavasseur ou Tonnel, les années 1970 ne sont pas favorables aux sangliers. Première descente à l’étage inférieur en 1971 et remontée l’année d’après avec le Yougoslave Osim et le gardien international René Charrier. Ce n’est qu’un sursis car Sedan rechute en 1974, malgré la présence de Mustapha Dahleb. Le club fusionne (une fois de plus) avec Mouzon, une petite ville des Ardennes dont est originaire le sanglier vétéran Roger Marche. C’est la phase du déclin et Dugauguez jette l’éponge après plus d’une décennie de bons et loyaux services.
De la division 2, les Sedanais tombent en troisième division, soit en CFA (Championnat de France Amateur). Les anciens joueurs se succèdent sur le banc de touche (Perrin, Tordo, Breny puis Roy) et le club sort encore des joueurs qui s’en vont exprimer leurs talents ailleurs. C’est le cas du futur Messin Luc Sonor ou du futur Rémois Alain Polaniok. Sedan passe encore pour être une école de football, mais c’est tout ce qui lui reste quand les salaires sont versés avec retard et que les supporters se détournent un à un.
Il faut attendre 1983 pour revoir Sedan (devenu le C.S Sedan Ardennes) en deuxième division, sous la houlette de Pierre Tordo, gardien de la grande époque. Les couleurs ont changé : rouges et vertes à la place du superbe bleu de cobalt. Une courte embellie qui durera 3 ans avant descente aux enfers en 1986. Le club est placé en redressement judiciaire et perd son statut professionnel. Tordo s’en va et le président Jacky Nix laisse un club endetté et exsangue.
Éternel retour en deuxième division en 1991, avec de valeureux anonymes qui se maintiennent grâce à leur seul courage sous la férule de l’entraîneur Leflochmoan et sous la présidence de Francis Roumy. Pascal Urano, un entrepreneur de la région, reprend ensuite le club entraîné par l’ex-Stéphanois Christian Sarramagna. Leurs efforts conjugués n’empêchent pas Sedan de retomber en National après un passage éclair en division 1 et le début de rénovation du Stade Émile Albeau qui deviendra le Stade Louis Dugauguez. Bruno Metsu, le chti, prend le club en main et, avec une armée de footballeurs chômeurs, refait monter le club en deuxième division au coude à coude avec l’E.S Wasquehal, mais l’accession leur est refusée pour manque de garanties financières. Sedan ne renonce pas et c’est maintenant Patrick Rémy qui s’y colle, rejoignant la valse des entraîneurs et des dirigeants. Et c’est le miracle. En 1999, Sedan dispute une nouvelle finale de coupe de France (perdue contre Nantes) et retrouve la première division.
En trouble-fête, Sedan, qu’on n’attendait plus à pareil échelon, fait déjouer les cadors du championnat avec un effectif moyen, s’attribue les places d’honneur et retrouve l’Europe et la coupe de l’UEFA. Le club ouvrier en faillite relève la tête et la valse des entraîneurs se poursuit : Alex Dupont, Henri Stambouli, Dominique Bathenay… Sur le terrain, pas de grands noms mais un pack soudé, un gardien chroniqueur sur Téléfoot (Sachy) et quelques petits nouveaux (Mionnet, Capron, N’Diefi).
Les années suivantes verront le club à nouveau en Ligue 2 avec une remontée inespérée en 2006 et une ultime finale de coupe perdue contre Auxerre. C’est le temps des Quint, Noro, Gagnier, Ducourtioux, Pujol ou Job. Malheureusement, les Sedanais retombent du grenier à la cave avec la liquidation du club en 2013, un rachat par les frères Dubois, encore des petits entrepreneurs locaux, et une descente en CFA 2. Inutile de s’appesantir sur la suite. Malgré des accointances avec l’Arabie Saoudite, le club végète en CFA avant de retrouver le National en 2021 où il occupe une modeste 8° place, sans espoir de retrouver la Ligue 2, pour cette année au moins.
Je confesse avoir supporté un temps Sedan, à une époque où il aurait fallu s’abonner à L’Union pour connaître les résultats du Stade de Reims ; Reims que j’ai même vu jouer contre l’U.S Tourcoing en 1993, l’année terrible. Reims retrouvera les sommets quand Sedan ira de mal en pis, de Charybde en Scylla comme disent les latinistes distingués.
En 2005, j’étais allé voir un Sedan – Reims dans le Stade Dugauguez rénové, un stade à l’italienne, trop grand pour un match de division 2. Sedan avait gagné ce jour-là (2 – 0), malgré un attaquant rémois du nom de Amara Diané qui mettait deux adversaires dans le vent rien qu’en effleurant la balle. Il avait été sélectionné en équipe nationale de Côte d’Ivoire mais barré par Didier Drogba qui le détestait, le percevant comme un rival.
Voilà, j’ai supporté un temps Sedan, le club ouvrier rival des Rémois, réputé un temps club bourgeois financé par les grandes maisons de champagne. Je suis revenu dans le giron rémois, tout en déplorant, sur les gradins de Delaune, les lazzis humiliants à l’encontre des Sedanais qu’affectionnent les supporters rémois. C’est Clochemerle teinté de mépris social et de haine de classe.
Mais c’est aussi le football, un univers baroque où les sentiers dorés de l’épopée et de la légende côtoient les mares fangeuses de la bêtise et de la haine. Oh comme c’est bien dit !
Vive Dudule, vivent les sangliers, vivent les Ardennes et allez Sedan !
21 février 2022