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QUOI DE NEUF ? MOLIÈRE !

Cléante et ces dames. Photo extraite du programme.

« Quoi de neuf ? Molière !», comme disait Sacha Guitry en jetant un regard désabusé sur la scène théâtrale de son temps. Variante, « Victor Hugo, hélas …», soufflait Gide devant l’absence de renouveau poétique en France, en dépit de toutes les avant-gardes. Le malade imaginaire joué comme au bon temps du roi Louis, au Phénix de Valenciennes. C’était les 1° et 2 juin. Une curiosité, mais aussi un spectacle remarquable dont on s’est senti obligé de rendre compte ici. On parle si peu de théâtre dans ce blog. C’était l’occasion.

C’est un spectacle magistral auquel on est conviés. Le malade imaginaire de Molière tel qu’il se jouait à son époque, avec toute une recherche historique sur les textes, les costumes, les décors, les ballets et la musique.

Car cette pièce est un morceau d’art total où, en plus du théâtre bien sûr en premier lieu, on a la danse, la musique, le chant et aussi l’architecture à travers de somptueux décors. On doit à une équipe d’universitaires et à des hommes de théâtre d’avoir mené à bien cette étrange entreprise. Citons pour mémoire Mickaël Bouffard et Antoine Fontaine pour la mise en scène et la scénographie ou Georges Forestier pour la direction scientifique. Quand l’histoire et la science se mettent au service de l’art scénique (et vieille dentelle, je sais, elle est facile).

Il faut entendre les chercheurs introduire le propos et décrire sommairement leur long travail (il dure depuis 5 ans!) pour constituer et s’approprier tout un matériel (jusqu’aux factures) leur permettant de retrouver les faits et les éléments constitutifs du spectacle de l’époque, en même temps que de faire revivre le langage d’antan.

On est déconcertés à première vue devant ce spectacle, quand Argan récapitule ses dépenses chez l’apothicaire Monsieur Purgon (de purger évidemment). C’est un mélange d’ancien français et de patois picard avec un zeste de latin, le tout parlé avec un accent paysan chantant. Pas facile de prime abord de s’y retrouver, mais on s’y fait vite et on se laisse charmer par la musique du langage, ces phrases longues et chantantes qui déconcerteraient n’importe quel individu de notre époque.

Car l’époque était au beau langage, fleuri, orné et décoré. Un langage qui n’était pas utilitaire et précis comme aujourd’hui, mais qui se permettait des périodes et cherchait l’éloquence, quitte à friser le galimatias et l’ampoulé. Il est vrai que certaines phrases peuvent paraître amphigouriques et pompeuses, mais tout cela renvoie à une expression orale maîtrisée où on s’encombrait encore de fioritures et d’embellissements.

Le beau langage et la belle musique. C’était souvent Lully ou Rameau, ici c’est Marc-Antoine Charpentier et on n’y perd rien au change. L’orchestre joue dans la fosse et, dès le lever de rideau, on a droit aux premières mesures d’une musique enchanteresse exécutée par des musiciens consommés. Charpentier était à l’époque le rival de Lully, mais sous influence baroque italienne dont le maître avait été Giacomo Carissimi. Il est l’auteur d’une œuvre abondante, tant religieuse que profane, avec moult ballets, messes, psaumes, motets… C’était un grand compositeur et aussi un chanteur en haute-contre, en plus d’être un théoricien de la musique.

Voilà, le décor est campé. Les décors devrait-on dire, tant on est admiratifs devant tant d’ingéniosité et d’imagination. Que ce soit un salon, un hôtel, une rue, on se sent transportés dans des temps anciens où seule la beauté primait sur la fonctionnalité, sur l’usage qu’on faisait des lieux.

On a parlé d’art total, et une scène théâtrale succède à un ballet avec, à chaque fois, des chorégraphies inspirées et originales. Le tout en musique, en chants et en danses. On ne s’ennuie pas une seule minute et tout est rapide, rythmé, vif et alerte.

Les costumes sont admirables, où dominent le blanc, le noir et le rouge. Hauts-de-chausse, culottes bouffantes, pourpoints, perruques, maquillages… Tout est conçu pour notre enchantement et on pense notamment au personnage de Polichinelle, masqué mais contrefait, bossu et le nez proéminent, comme une erreur de la nature qui, inconscient de sa disgrâce, se croit promis aux joies de l’amour et de la romance.

Tout le théâtre de Molière est d’ailleurs de nous faire rire de personnages ridicules et bouffons que des demi-malins entretiennent dans leur besoin d’amour, leurs rêves de gloire ou leurs désirs de pouvoir. Tartuffe en constitue le meilleur exemple, mais il y en a tant d’autres. Il faut lire le Molière de Boulgakov (chroniqué sur ce blog) pour bien comprendre ce que cherchait l’auteur : peindre les travers de ses contemporains et les pousser jusqu’à la caricature, pour faire rire. Il aura toujours des rapports ambigus avec le pouvoir, tantôt protégé puis lâché sur la fin de sa vie, quand tout semble l’abandonner et qu’on lui fait payer ses frasques et son ironie.

L’histoire du Malade imaginaire est connue et on a dû, souvent bien malgré nous, étudier la pièce sur les bancs de l’école. Soit Argan, malade imaginaire (on dirait aujourd’hui hypocondriaque) qui est la proie des médecins et des apothicaires voyant en lui une source de profits infinis, car notre homme est riche.

Argan vit entouré de sa femme, une marâtre qui ne pense qu’à son argent, et ses deux filles, Angélique l’aînée et Louison la cadette. Il a décidé de marier Angélique au fils de son médecin, un certain Thomas Diafoirus, mais celle-ci regimbe, secrètement amoureuse de Cléante, qui lui fait une cour assidue.

Et puis il y a Toinette, la domestique et certainement le personnage principal de cette pièce. Elle prendra partie pour Angélique et fera déjouer les plans d’Argan, bourgeois stupide et fasciné par une médecine qui le tue. Mieux, elle réussira par mille ruses à lui rendre sa lucidité et à lui faire ouvrir les yeux sur toute cette corporation de soi-disant bienfaiteurs de l’humanité qui l’exploitent grâce à leur pseudo-science et à leur latin de cuisine.

On peut faire à Molière un procès en obscurantisme, tant son acharnement contre la médecine est poussé très loin. Ce serait ignorer ce qu’était la médecine à l’époque mais, plus encore, ce serait lui contester sa capacité de brocarder les puissants, dont cette caste des médecins constitue l’un des plus beaux fleurons. Molière paiera cher son insolence et sa causticité, avec ce que l’on appellera la cabale des médecins, après celle des dévots. Tous les corps auxquels il s’attaque, toutes les coteries qu’il pourfend finissent par se retourner contre lui avec une véhémence et une haine dont lui n’a jamais fait montre.

Le dénouement est connu lui aussi. Toinette, avec l’aide du frère d’Argan, se fait passer pour son médecin et c’est la fameuse scène du « poumon » et du non moins fameux triptyque « ignorantus, ignoranta, ignorantum ». Là où tous ses médecins voyaient dans le foie et la rate les origines de ses maux, Toinette voit le poumon, ce qui relativise tous les diagnostics déjà formulés. Ce qui favorise le doute et finalement l’abandon de son état d’hypocondrie.

Argan qui fait le mort et s’aperçoit que sa femme n’en veut qu’à son argent. Argan qui découvre par là-même l’amour profond que lui voue sa fille Angélique qui sera libre d’épouser son soupirant et d’envoyer au diable ce Thomas Diafoirus qui l’assomme de son jargon abscons et de ses assiduités encouragées par son père.

Tout est bien qui finit bien, serait-on tenté de conclure. Mieux, comme Argan souhaitait avoir Diafoirus comme gendre pour pouvoir compter sur la présence d’un médecin à demeure, Toinette et le frère du malade persuaderont Argan de se faire médecin à son tour, la charge n’exigeant pas selon eux un savoir particulier et les charlatans se prévalant d’Hippocrate n’hésitant pas à usurper titres et honneurs.

C’est à partir de là que l’on a droit à une longue (trop longue) cérémonie d’intronisation d’Argan dans la profession, avec le triptyque « primo saignare, deinde purgare, postea clysteria donare », formule répétée en boucle tout au long d’un ballet final où on manie drôlement le clystère et la seringue. « Saigner, purger et donner le clystère », tels étaient les remèdes privilégiés d’une époque où la médecine n’avait pas encore partie liée avec la chimie et les molécules et où les remèdes de bonnes femmes – tisanes et herbes folles – étaient aussi, sinon plus, efficaces.

On pouvait prolonger le plaisir en participant à la folle journée du Malade imaginaire, soit la possibilité d’assister à des ateliers, des conférences et des visites sur l’envers du décor. On a préféré en rester à l’endroit tant, comme en cuisine, les recettes et les secrets de fabrication contribuent à gâcher le plaisir de la découverte et de l’émerveillement.

Alors quoi de neuf ? Molière, et peut-être aussi Shakespeare et tout le théâtre élisabéthain. On n’a jamais fait mieux.

5 juin 2022

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