Dans le Calcio, des systèmes de jeu rigoureux et parfois cadenassés ont malgré tout laissé place à des artistes. Ce fut le cas des Mazzola, Rivera, Bettega et, plus près de nous, des Baggio ou des Pirlo. Dans le genre, il y a eu aussi Gianluca Vialli, formé à Cremonese et qui a fait le plus clair de sa carrière à la Sampdoria de Gênes, avant la Juventus et Chelsea. Les Blues de Chelsea à l’heure italienne qu’il aura aussi entraînés, avant le Watford F.C cher à Elton John. Il est mort le 6 janvier, l’occasion de lui rendre un hommage mérité.
Gianluca Vialli est décédé le 6 janvier, des suites d’un cancer qu’il soignait depuis des années. Avant lui, on avait eu les morts du Serbe Mihaljlovic (Lazio Rome et Inter Milan entre autres), de Gianluca Signorini (du F.C Gênes) et de Stefano Bornogovo (Fiorentina et Milan A.C entre autres). Ils ont tous la particularité d’avoir évolué de longues années dans le championnat italien, le Calcio, et d’être morts relativement jeunes, entre 40 et 60 ans, qui d’un cancer, qui de la sclérose en plaques ou de la maladie de Charcot.
Roberto Baggio, ex brillant international italien, a déclaré à la presse (déclaration reprise sur le site de L’Équipe le 24 janvier 2023) : « effectivement, aujourd’hui, on a un peu peur. Parce qu’on ne sait pas ce qu’on nous mettait, dans nos boissons ou dans nos perfusions ». Il n’y a pas que dans le monde du cyclisme que le dopage a fait des dégâts et, à bas bruit et sans tapage médiatique, le football en général et le Calcio en particulier commence à payer un lourd tribut aux docteurs Folamour de la performance. Les joueurs français qui ont évolué en Italie – Platini ou Zidane – ont tous témoigné à mots couverts de ces petits remontants qu’on faisait prendre avant le match ou à la mi-temps aux joueurs, et ce n’était pas que de la caféine ou des vitamines. Il reste à espérer que l’on puisse enquêter et approfondir la question en trouvant les coupables, ceux qui auront raccourci les vies de sportifs de haut niveau victimes de leurs poisons. Mais il y a fort à parier que la justice épargnera les dirigeants de clubs, directeurs sportifs et entraîneurs pour ramener dans ses filets quelques médecins marrons, soigneurs indélicats ou pharmaciens lampistes.
Que tout cela ne nous empêche pas de saluer le joueur que fut Gianluca Vialli surnommé affectueusement par les supporters Lucagol ou Re Leone (tous les footballeurs italiens ont leur surnom). Un attaquant brillant aux dribbles déroutants et à la frappe redoutable, élégant et racé. Il est de la génération des Paolo Rossi, des Christian Vieri ou des Filippo Inzaghi, goléadors solitaires ayant pour mission de trouver l’ouverture dans des systèmes défensifs en béton.
Il débute dans une petite ville de Lombardie, Pizzighettone, avant de faire ses débuts à l’US Cremonese à 14 ans, en 1978, et de faire ses premiers matchs avec l’équipe professionnelle en 1980. Il y passera quatre ans, inscrivant 25 buts en un centaine de matchs.
En 1984, il est transféré à la Sampdoria de Gênes, l’un des clubs italiens les plus brillants dans ces années 1980 qui voient la domination des deux grands clubs milanais (Inter et A.C), de la Juventus et de l’A.S Roma. La Sampdoria s’invite dans la cour de grands avec une victoire en coupe dès 1984 puis une place de finaliste la saison d’après. La Sampdoria est d’ailleurs une équipe de coupe, vainqueur également en 1988 et en 1989, ce qui permet au club de réaliser des performances intéressantes dans l’ancienne Coupe d’Europe des vainqueurs de coupes qu’elle remporte en 1990 contre Anderlecht, après en avoir été finaliste l’année d’avant, battu par le Barça.
L’équipe remporte le Scudetto en 1991 et peut jouer la Coupe d’Europe des Clubs Champions. Elle est forte, avec le duo d’attaquants Mancini et Vialli ; le Brésilien Cérézo au milieu du terrain et Vierchowood en défense. C’est pourtant le Barça (encore, décidément leur bête noire) des Koeman, Guardiola, Stoikov et Laudrup qui l’emporte à Wembley le 20 mai 1992, et Johan Cruyff peut faire un tour d’honneur au-devant de ses troupes.
La saison d’après, Gianluca Vialli rejoint la Juventus pour l’équivalent de 13,6 millions d’Euros, ce qui sera le transfert record de l’époque, record vite battu on s’en doute). Ce sera d’abord une coupe de l’UEFA en 1993 avant une deuxième place au Calcio (derrière le Milan A.C qui ne laisse que des miettes aux autres dans ces années-là) en 1994 et enfin un deuxième Scudetto pour son compte en 1995, avant une deuxième place du Calcio en 1994, l’année d’une nouvelle défaite en coupe de l’UEFA, perdue celle-là, contre les rivaux du Parme A.C.
Il faudra attendre le 22 mai 1996 pour voir Vialli remporter avec la Juventus sa première Coupe d’Europe des Clubs, aux penalties, contre l’Ajax Amsterdam vainqueur en 1995 avec les Rijkaard, Seedorf et autres Overmars partis sous d’autres cieux. L’équipe se compose du Français Didier Deschamps, de Conte, Ravanelli et Del Piero, entraînée par Marcello Lippi, et elle a finalement pris le meilleurs sur l’Ajax de Van Gaal et ses Van Der Saar, ses frères De Boer, ses Davids ou ses Kluivert. La Juve avait déjà remporté l’épreuve au Heysel, en 1985, mais cette victoire dans un cimetière n’avait pas eu le même goût.
L’année d’après, il peut quitter le pays et aller voir ailleurs, au pays qui a inventé le football, en Angleterre où les Blues de Chelsea lui ont fait un nouveau pont d’or. Et le compteur n’en finit pas de tourner avec une coupe d’Angleterre en 1997 et une coupe de la ligue l’année suivante, mais ce sera tout et il arrête sa carrière de joueur avec un bilan élogieux : deux championnats d’Italie, trois coupes d’Italie et quatre compétitions européennes et surtout deux Coupes des Clubs Champions. Bilan globalement positif.
Avec la Squadra Azzura, il est finaliste de l’Euro Espoirs en 1986 et fait ses grands débuts avec l’équipe nationale en 1985, premier match contre la Pologne. Il est sélectionné pour la coupe du monde 1986 (l’Italie éliminée par la France en 1/8° de finale), il est demi-finaliste de l’Euro 1988 et termine 3° de la coupe du monde 1990 en Italie. Un total de 59 sélections avec 16 buts à la clé. Lucagol !
Il commence sa carrière d’entraîneur à 33 ans, en 1997, à Chelsea donc. C’est l’époque où les Blues, le club du sud-ouest londonien, se met à l’heure italienne, avec Gianluca Vialli et Roberto Mancini, son partenaire de toujours, son frère. Avec Chelsea, il remporte une Coupe de la ligue en 1998, la Coupe d’Angleterre en 1999, le Community Shield en 2000, sans compter la supercoupe de l’UEFA en 1998 où les Blues, vainqueurs de la Coupe des vainqueurs de coupe ont battu les merengue du Real Madrid.
Des conflits avec plusieurs joueurs et des résultats médiocres par la suite le contraindront à laisser la place à son compatriote Claudio Ranieri, en 2000, année de son licenciement. Un an plus tard, Vialli accepte une proposition des rivaux de l’ouest londonien du Watford F.C, le club longtemps présidé par Sir Elton John, mais il n’y fera pas de miracle avec un effectif limité et des joueurs qui ne comptent pas parmi les meilleurs de la League.
Il pourra terminer sa carrière comme directeur technique de la Squadra Azzura, alors que son ami Roberto Mancini occupe le poste de sélectionneur. I gemelli del gol, comme on les a appelés (les jumeaux du but) ont joué ensemble à la Sampdoria avant que Mancini je parte jouer pour la Lazio de Rome. Mancini aura la même carrière que Vialli en tant qu’entraîneur : Fiorentina puis Lazio Rome et Zenith Saint-Pétersbourg. Pour rappel, Mancini a remporté l’Euro en 2021 avec l’équipe d’Italie, ce qui ne l’empêchera pas de se faire évincer aux éliminatoires de la Coupe du monde la même année, contre la Macédoine (du Nord). Vialli et Mancini : les gémeaux buteurs, les Romulus et Rémus du football italien.
En 2017, il est diagnostiqué atteint d’un cancer du pancréas et sa maladie est rendue publique l’année d’après. Miracle à l’Italienne, dans une interview au quotidien La Repubblica (11 avril 2020), il annonce à grands sons de trompe avoir vaincu définitivement la maladie après un an et demi de chimiothérapie. Il a suspendu toutes ses activités et notamment celles au sein de l’équipe nationale d’Italie.
Fausse rémission, rechute ou ultimes métastases, c’est son club de cœur, la Sampdoria de Gênes, qui annonce donc son décès le 6 janvier, « des suites d’une longue maladie », comme il est dit pudiquement.
On n’oubliera pas Gianluca Vialli, qui fait partie des joueurs italiens dont l’élégance le disputait à la soif de but, un peu comme un Roberto Baggio ou bien avant lui, des Azzuri comme Boninsegna ou Domenghini. En espérant que ces disparitions inquiétantes prennent fin et que les footballeurs italiens puissent faire de beaux vieillards. Tout le mal qu’on leur souhaite.
24 janvier 2023