C’était mon club (étranger) de cœur quand j’étais gamin. Les rouges et blancs du Benfica Lisbonne qui collectionnaient alors les titres, chez eux et en Europe. Derrière Eusebio, « la gazelle du Mozambique », toute une équipe de surdoués techniquement pour un football spectacle qui émerveillait les gosses, apprentis footballeurs, que nous étions. Passées les années 1960, l’étoile du Benfica avait pâli et le club ne faisait plus la loi ni au Portugal, ni encore moins en Europe. Jusqu’à cette place en 1/4 de finale avec, de nouveau, une équipe impressionnante. L’occasion de se souvenir.
Je devais avoir 9 ans et, sur le chemin de l’école, il y avait un bistrot qui s’appelait Le Belgica. Moi j’avais lu le Benfica et j’y étais entré, un jour, m’attendant à voir des photos des joueurs, des coupes et des trophées. Au lieu de cela, je voyais des Nord-africains, selon la terminologie de l’époque, jouer aux cartes et j’avalais vite ma limonade pour mettre fin aux regards obliques dardés vers mes culottes courtes et mon cartable. Il y avait eu méprise.
Avec une équipe qui variait peu, les joueurs du Benfica (un quartier pauvre de Lisbonne) avaient remporté deux coupes d’Europe. La première en 1961 contre le Barcelone (on ne disait pas encore le Barça) des Suarez, Kubala et Kocsis et, surtout, cette année-là, contre le Real de Madrid malgré les 3 buts de Puskas. Benfica en avait mis 5 et les rouges et blancs me faisaient rêver avec un effectif haut de gamme : Costa Pereira dans les buts ; Cruz, Cavem et Neto en défense ; Humberto et Augusto en demis et, ce qui constituait l’atout-maître de l’équipe, une attaque avec Coluna, Santana, Torres, Eusebio et Simoes. Le Real Madrid était plus que le rival du Benfica, il en était l’ennemi héréditaire.
Je ne pouvais m’empêcher de faire la comparaison avec mes Rémois favoris. Coluna, l’ailier virevoltant, dans le rôle de Kopa, le grand Torres dans celui de Fontaine et Eusebio dans celui de Piantoni. Soit dit en passant, j’ignorais qu’il y eût des gens de couleur au Portugal, peu informé que j’étais de la longue épopée coloniale du Portugal des Salazar et Caëtano.
Deux ailiers rapides et dribbleurs, Coluna et Simoes ; un avant-centre canon, Torres, capable de marquer de la tête et des deux pieds, et deux « inters », comme on disait à l’époque du WM dont les qualités techniques étaient hors-norme : Santana, mais surtout Eusebio qui n’était autre pour moi qu’un Pelé européen dont les ancêtres n’avaient pas suivi les mêmes trajectoires compliquées de l’esclavage.
La même équipe, ou quasi, s’était fait battre en finale de la Coupe d’Europe en 1963 par le Milan A.C du brésilien Altafini et Benfica ne sera plus en finale avant celle perdue (après prolongations) contre le Manchester United de Bobby Charlton, Denis Law et de mon idole George Best, l’ailier volant qui faisait la jonction entre les deux univers du foot et du rock.
Rebelote deux ans plus tard, cette fois contre l’Inter de Milan, avec une défaite en finale et quelques nouvelles têtes en défense, comme Germano ou Machado. L’Inter qui avait déjà battu le Real l’année d’avant avec une attaque canon où évoluaient le Brésilien Jaïr, Sandro Mazzola, Luis Suarez et Corso (pas Gregory, l’autre).
En 1966, l’équipe nationale du Portugal qui était à un ou deux éléments près celle de Benfica, s’était fait éliminée en demi-finale de la Coupe du monde en Angleterre, contre les Trois Lions à Wembley. Ce soir-là, les fantômes de Lord Byron et de Ricardo (porto et madère contre drap et laine) planaient sur Wembley. Mais j’avais troqué mes chaussures à crampon et les terrains boueux contre un Teppaz et une collection déjà estimable de 45 tours. Mon choix était fait entre les idoles du football et les pop stars anglo-saxonnes, une manière pour moi de choisir la voie du mal contre celle, plus tranquille, du sport, de la tradition et de la famille. Du bien, pour aller vite.
Même si le football n’était plus vraiment ma passion, je n’en gardais pas moins un œil apitoyé sur cette équipe qui m’avait tant fait rêver. Les héros du stade de la Luz (qu’on pouvait maintenant baptiser ironiquement de la Loose) avaient vieilli et la relève tardait à arriver. À Wembley, en mai 1968, c’était pitié que de revoir les Eusebio, Torres, Simoes et Coluna aux prises avec les tacles et les charges à la limite de la régularité des rugueux défenseurs mancuniens ; un certain Nobby Stiles s’illustrant particulièrement dans le rôle du briseur de rêve (et de jambes parfois).
Cela faisait un total fort honorable de deux Coupes d’Europe des clubs champions et trois finales perdues. Pas si mal. Benfica perdra quatre finales au total ; les Poulidor du foot.
Par la suite, Benfica avait déserté l’Olympe des grands d’Europe, malgré d’incessants recrutements de Brésiliens qui transitaient par le Portugal avant de conquérir le continent. Même dans son championnat, Benfica devait céder la place de leader au F.C Porto ou au Sporting du Portugal. Jusqu’à se confondre avec les équipes toujours bien classées d’un championnat peu mis en valeur : Boavista, Braga, Academica, Maritimo, Belenenses, Estoril ou Setubal.
On reparlait du Benfica de Lisbonne à la faveur d’une demi-finale gagnée contre l’Olympique de Marseille de Bernard Tapie. Un but de la main contesté et Tapie qui dira à qui veut l’entendre que, cette fois, il a appris comment gagner en coupe d’Europe. Il va le prouver.
En finale, 27 ans après (en 1990), Benfica devait être défait par le Milan A.C de Baresi et des hollandais Rijkgaard, Van Basten et Gullitt. C’est d’ailleurs le défenseur Rijkgaard qui avait marqué le seul et unique but. Il y aurait pu y en avoir plus, sans la défense centrale de fer avec les Brésiliens Ricardo et Altaïr. C’est l’époque où quelques joueurs s’illustrent encore au sein du Benfica : l’international Chalana, qui jouera à Bordeaux sans briller, ou encore le Brésilien Mozer, lequel sera recruté par l’Olympique de Marseille au début des années 1990.
Dans la période actuelle, le Benfica est suppléé largement par le F.C Porto au faîte du championnat portugais et, les rares fois où les Lisboètes sont qualifiés en Coupe d’Europe, ils sont régulièrement éliminés au mieux en poule de qualification et au pire aux éliminatoires. Benfica ne fait plus peur, devenu un petit d’Europe. Une légende oubliée qui peuple encore les mémoires de quelques septuagénaires. Au vestiaire les vieilles gloires !
Benfica s’était déjà qualifié lors de la saison dernière, deuxième derrière le Bayern de Munich et éliminé en huitièmes de finale. Et puis cette année, la divine surprise avec un Benfica qui écrase les Belges du F.C Bruges en huitième de finale (5 à 0 au stade de la Luz) et ont toutes les chances de se qualifier en quarts de finale contre l’Inter de Milan (bis repetita).
Le Benfica de cette année a des arguments à faire valoir avec, en défense, le franco-italien Corchia et l’international argentin Otamendi. Au milieu du terrain, on a l’international brésilien Neves et l’Allemand (ex PSG et ex Borussia Dortmund) Drexler. En attaque, du beau monde aussi avec un autre brésilien, Carlos Vinicius, le Danois Tengstedt et Rafa Silva. On pourrait en citer d’autres pour un club qui peut maintenant renouer avec son glorieux passé.
L’entraîneur actuel est l’Autrichien Roger Schmidt, venu du Bayer Leverkussen après être passé par le PSV Eindhoven. Il succède au Benfica à d’illustres prédécesseurs dont on se contentera de citer les plus connus, à commencer par le Hongrois Bela Guttmann venu du MTK Budapest et victorieux en 1961 et 1962. C’est lui qui avait prédit – une manière de malédiction pour les supporters lisboètes – qu’après lui, Benfica ne gagnerait plus la coupe aux grandes oreilles pendant 100 ans. Le genre de prophétie à mi-chemin entre le ridicule achevé et le sérieux de l’oracle. On peut donc citer pêle-mêle, et sans accorder trop d’importance à la chronologie : Camacho, Eriksson, Ivic, Artur Jorge, Chalana, Koeman, Lage, Mourinho, Souness, Trappatoni… Et on en passe et, sinon des meilleurs, des non moins bons. Tous ces entraîneurs qui, Guttmann mis à part, n’ont jamais réussi à hisser Benfica au sommet de l’Europe.
Alors, pourquoi pas cette année ? S’il est sûr que l’effectif du Benfica n’est pas aussi huppé que celui du Real Madrid, du Bayern Munich ou de Manchester City (pour nous limiter aux écuries les plus dotées), on voit bien que tout est possible cette année alors que les hiérarchies sont bouleversées ; à l’exemple du S.S Naples du Nigérian Oshimen ou de la déroute du Paris Saint-Germain en France cette année (sans parler du Liverpool F.C en Angleterre, de la Juve en Italie ou du Barça en Espagne dans une moindre mesure).
Alors, pourquoi pas ? Ce serait une belle surprise en tout cas. On pourrait à nouveau tourner nos regards vers Benfica et son stade de la Luz, soit le stade de la lumière. Let there be more light, que la lumière soit ! Les supporters peuvent y croire, fébrilement, dans l’intranquillité, comme disait Pessoa.
20 mars 2023