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NOTES DE LECTURE 55

ALAIN ADE – SUPER 16 – Hello Éditions

Depuis déjà plusieurs années, Alain me fait l’amitié de m’envoyer chacun de ses livres : excellente novélisation de la série Un village français (4 volumes), satires politiques ou recueil de nouvelles dont le superbe Quinze au balcon sur cette partie de l’anatomie féminine dont il semble friand.

C’est ici un roman sous-titré Un printemps pour marner (référence Hitchockienne). Soit les prémices, de mars à juin 1973, du tournage d’un moyen métrage dont le sujet est une vieille légende bretonne narrant l’histoire d’un chevalier qui refuse de vieillir et cherche désespérément un élixir de jouvence.

Jonathan, le personnage principal, est l’assistant, soit l’homme à tout faire, un rat de cinémathèque animateur de Ciné-club. On assiste donc à la préparation du film et une partie de l’équipe a trouvé refuge dans un sex-shop de Laville Sur Seine (Rouen on suppose) dont le propriétaire est le chef opérateur du film. On ne va pas raconter toutes les péripéties mais l’imagination est au rendez-vous et on ne s’ennuie pas à la lecture.

On a ainsi des éclairages sur tous les métiers du cinéma avec des tonnes de références cinéphiliques, car ce livre est avant tout l’œuvre d’un cinéfils, comme disait Serge Daney. Une culture impressionnante, même si on sent parfois un trop plein de références qui nuisent parfois à la fluidité du récit.

Un livre agréable à lire, verveux et qui fait sourire, sans prétention. On attend le deuxième volume à paraître. Ade a en plus le talent de faire revivre une époque, sans trop de nostalgie. 1973, le gauchisme, les ciné-clubs, le premier Libération, la révolution sexuelle… Sa jeunesse, et la mienne.

L’amitié nous oblige cependant à quelques critiques. Trop de dialogues qui font un peu remplissage ou tirage à la ligne ; des calembours (bons, souvent) qui finissent par lasser et, on l’a dit, ces références permanentes un rien plombantes à la longue.

Mais bon, on ne va pas bouder son plaisir et gageons qu’il prendra mes préventions et mes critiques en suppositoires, comme disait Claude Rich dans Les tontons flingueurs. Voilà que je m’y mets aussi, ça doit être contagieux.

Allez, plus de concision dans le prochain, un texte durci – sans contrepèterie. Ade vienne que pourra et Alain possible nul n’est tenu. Un petit clin d’œil en passant. Le deuxième volume s’appelle Un été en pente raide, sans jeu de mots pour une fois. On y reviendra.

GILLES PERRAULT – LE PULL-OVER ROUGE – Ramsay / Hachette

Le pull-over rouge, malheureusement pas un conte (de Perrault) Photo Wikipedia

On se reportera utilement à un portrait de l’écrivain Gilles Perrault sur ce même blog fait à l’occasion de sa mort, l’été dernier. Un grand bonhomme, une conscience.

Il s’agit ici d’une contre-enquête sur ce que l’on a appelé l’affaire Ranucci. Soit Christian Ranucci, accusé d’avoir tué une petite fille après l’avoir enlevée. Il aurait été pris de panique après un accrochage en voiture et, poursuivi par deux automobilistes, se serait enfui avec la fillette dans un talus où il l’aurait poignardée.

Ranucci retourne à Nice chez sa mère, comme si de rien n’était, et il est emmené entre deux policiers au commissariat de l’évêché à Marseille où a eu lieu l’accident. Là, il commence à dire qu’il ne se souvient plus de rien après l’accrochage avant de se mettre à table et d’avouer le meurtre après qu’on ait trouvé dans sa voiture un martinet et un pantalon taché de sang. Tout l’accable, mais Perrault, fin connaisseur du dossier, contre-enquête.

C’est là qu’il est fait mention de l’homme au pull-over rouge, un vêtement retrouvé dans une champignonnière où la voiture de Ranucci s’était embourbée. Or, Ranucci n’a jamais eu ni porté de pull-over rouge. Plusieurs personnes d’une cité de Marseille ont confié à la mère de Ranucci avoir vu un homme au pull-over rouge, ne ressemblant pas à Ranucci, essayer d’emmener des fillettes en voiture.

Perrault, ancien avocat, décrit à merveille le travail des journalistes, des avocats, des policiers, ; presque minute par minute. Il décrit une justice qui sait écarter les éléments à décharge mais sait amasser les preuves, même fabriquées. Ranucci, trop tendre, est tombé dans un piège où on va le maintenir jusqu’à ce qu’il en crève. C’est la curée et la haine est palpable. Si Ranucci sort libre du palais de justice d’Aix, il risque fort de se faire lyncher.

La thèse de Perrault est que l’homme au pull-over rouge a abusé d’un moment de confusion de Ranucci pour l’emmener dans sa voiture avec la fillette. Lui a commis le crime et s’est enfui en laissant Ranucci seul devant la champignonnière où il a demandé du secours, preuve s’il en est qu’il n’était pas pressé de quitter les lieux. Perrault en infère qu’il n’est pas coupable mais qu’il aura eu toutes les malchances.

Au procès, l’accusation ne demande même pas sa tête, ce sont les jurés qui l’exigent. La défense multiplie les erreurs, plaidant à la fois l’acquittement et demandant des expertises psychiatriques pour lui attribuer des circonstances atténuantes. Ranucci lui-même se fait agressif et se prive de toute compréhension, en tout cas de toute indulgence, de la part de la cour. Le mouton est devenu lion mais un lion de cirque, qui ne fait pas peur.

On voit la machine judiciaire qui broie un individu après un travail de sape mené par la police. Perrault décrit des personnages réels, maître Lombard, Gilbert Collard ou des vieux chroniqueurs judiciaires comme Floriot ou Pottecher. On a un roman aussi passionnant qu’un bon polar, même si on peut penser qu’à force de vouloir trop prouver, Perrault ne prouve rien.

Il n’est d’ailleurs pas sûr de sa thèse qui, il l’admet, comporte des lacunes, mais son travail exemplaire servira tous les futurs abolitionnistes de la peine de mort. Car c’est ce qu’il y a de plus important dans ce livre, la façon dont la vindicte populaire réclame une tête, coupable ou non. Perrault veut une justice sereine, sans haine et sans crainte, pas un lynchage médiatique ou judiciaire. D’ailleurs, il souligne que si la grâce a été refusée, c’est parce qu’un meurtre d’enfant a été commis quelques jours plus tôt. Le peuple demandait un exemple et il fallait lui offrir une tête.

Il sera le dernier condamné à mort et Perrault a longtemps œuvré pour le réhabiliter, ne serait-ce que pour sa mère, Héloïse, une femme de cœur qui n’avait que son fils . Mais la justice n’a jamais rendu de compte à Perrault ni à personne. La raison d’état, ça s’appelle !

BÉNÉDICTE MANIER – UN MILLION DE RÉVOLUTIONS TRANQUILLES – Les liens qui libèrent

Un million de révolutions tranquilles, c’est une sorte de catalogue de toutes les initiatives mondiales en faveur de la réappropriation des communs, de l’intelligence collective, de la coopération et de la citoyenneté. Certaines histoires racontées dans ce livre ont servi pour le documentaire de Cyril Dion et Mélanie Laurent, Demain, et on sent une filiation certaine avec les films de Marie-Monique Robin tels Sacré croissance.

Des expériences plutôt, collectives et individuelles qui sont nées dans tous les pays et dans tous les domaines : l’agriculture en premier lieu (communs et bio contre l’agro-industrie), mais aussi la gestion de l’eau (communautaire et publique elle aussi), les modes de vie (production et consommation), la monnaie (les systèmes locaux), l’énergie (forcément douce), l’habitat (collectif et autogéré), les coopératives et l’économie sociale et solidaire, sans oublier la santé, elle aussi à taille humaine et autogérée. Une post-face du philosophe Patrick Viveret éclaire encore plus le propos qui prône les petits pas plutôt que le grand soir. Sans être décroissant au sens strict, Viveret a toujours été une source d’inspiration pour les anti-productivistes et les contempteurs de l’accumulation capitaliste qu’il juge, après Keynes, comme étant une attitude suicidaire.

Tout cela est bel et bon et on a envie d’y souscrire, sauf que les mots « résilience » ou « community » commencent à nous fatiguer et que l’optimisme parfois un peu béat qui se dégage de ce livre peut agacer.

« L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage », disait à peu près Mélenchon, sûrement son propos le plus inspiré. Bien sûr, on cite les Zad, les résistances au capitalisme en Argentine ou ailleurs, les expériences autogestionnaires. Mais à quelle échelle ? C’est là qu’on pense à des Lordon ou à des Friot. C’est une libération globale pensée et pratiquée par les classes moyennes et dont les classes populaires semblent exclues. Les petits pas plutôt que le grand soir, certes, mais on a l’impression que ce que peuvent l’État et la puissance publique, les services publics, n’existent pas, de même que la politique et ses formes traditionnelles semblent appartenir à des temps révolus. Quant à la lutte des classes, sans doute une vieille lune dont quelques ancêtres gardent le souvenir.

Alors voilà, on reste un peu sur sa faim, d’autant que tout ce petit monde d’utopie en actes repose beaucoup sur l’informatique et l’hyper-connectivité. On n’est pas obligé d’adhérer à cette vision du monde où chacun invente son propre futur derrière un ordinateur. Mais on m’objectera que c’est là une critique de vieux con technophobe et de boomer. Certainement, on assume.

Pour terminer, je ferai référence à un livre d’une autre Bénédicte – Vidaillet – dont le livre Pourquoi veulent-ils tuer Greta ?, largement commenté ici, m’a paru plus convaincant au sens où il ne méconnaît pas la face d’ombre de l’humanité et ses tendances mortifères. Mais Marx comme Freud sont complètement occultés ici, avec un refrain obsédant qui transpire à toutes les pages : « si tout les gars du monde… ». Un peu boy-scout et d’un optimisme indécrottable.

On aimerait bien que ces expériences s’inscrivent dans un contexte plus politique et s’attaquent de front au moloch capitaliste, plutôt que de le contourner et de paraître parfois déserter le terrain des luttes. De toute façon, même si tout cela contribue à nous sortir de l’ornière où nous sommes enlisés, on peut se demander s’il n’est déjà pas trop tard pour l’immense majorité des gens et on garde l’impression que ces utopies concrètes ne concernent qu’une minorité de happy-fews.

On espère se tromper et ce bouquin est quand même une bouffée d’air frais, soyons justes. C’est peut-être aussi la vieille culture ouvrière qui nous empêche d’y adhérer totalement.

La ou les révolutions ? Conflictuelles ou tranquilles ? Collectives ou individuelles (ou par groupes d’individus?). There are the questions. Any answer ?

ANDREÏ KOURKOV – LE CAMÉLÉON – Points Seuil

Je ne savais rien de cet auteur, un Russe qui a passé sa vie en Ukraine, au temps où les deux pays n’étaient pas en guerre. Il a aussi écrit Le pingouin qui a eu un certain succès. Caméléon, pingouin… Un ami des bêtes, assurément.

Kourkov est donc un auteur russe fin connaisseur de l’ère soviétique – on disait Kremlinologue – et surtout des républiques aux marches de l’empire indépendantes après la chute de l’ours. C’est d’ailleurs dans ces endroits qu’il nous emmène (Kazakhstan, Azerbaïdjan, Daghestan…) au fil d’une histoire dont on peine à suivre les méandres.

L’auteur, ou son double, un dénommé Alexei avec un nom à coucher dehors, comme tous les personnages de ce roman, a découvert en déménageant un manuscrit du poète national ukrainien Chevtchenko annoté par un ancien locataire. Il se met à la recherche de l’homme et apprend qu’il est décédé mais faisait partie d’un cénacle littéraire. Il apprend aussi qu’il aurait été enterré avec le manuscrit complet et il va fouiller la tombe à sa recherche et découvre, en prime, une carte au trésor censée indiquer le lieu de la véritable âme patriotique russe. Veilleur de nuit dans un entrepôt, il découvre que les caisses de lait en poudre qu’il est payé pour surveiller contiennent de la drogue et il est menacé par des inconnus.

Jusqu’ici on suit à peu près, mais c’est après que ça se complique. Jusque-là, on a un roman passionnant qui repose sur cette mystique de la littérature qui inspira un Mallarmé ou un Bolano. Mais le livre ne tient pas ses promesses et on est emmenés dans un désert au bord de la mer Caspienne où le héros trouve l’âme sœur, l’une des filles d’un nomade kazakh, puis c’est la découverte d’un cadavre sous une tente avec les services secrets ukrainiens puis russes qui s’en mêlent. On abandonne la recherche du trésor de Chetchenko pour charger une cargaison de sable du désert, celle qui contiendrait l’âme patriotique russe. On comprend en fait que Nikolaï trafique à son insu des armes et de la drogue et qu’il est surveillé par le FSB par l’intermédiaire d’un vieux colonel pittoresque. Un caméléon trouvé dans le désert les suit, d’où le titre.

Bref, pour aller vite, on finit par découvrir que ce que recherchent les Russes, ce sont des photographies prises par le cadavre du désert qui montrent l’exécution d’un homme par des trafiquants de drogue et d’armes devenus des oligarques en Russie et dans les républiques alentour.

Mais on a déjà un peu perdu le fil d’un récit d’action finalement plutôt ennuyeux où l’auteur semble s’amuser beaucoup plus que nous. Disons que le livre vaut surtout pour son humour et ses allusions très politiques à l’homo sovieticus et à l’ex-empire russe en déliquescence, sur les décombres de l’ex URSS. C’est déjà ça.

Le roman est paru en 2001 en France, et on aimerait savoir ce que le camarade Kourkov pense de la guerre d’agression russe contre l’Ukraine. Il en parle certainement dans son Journal d’une invasion que l’on n’a pas lu. Tant il est vrai que son Caméléon n’incite pas à lire ses œuvres complètes.

Après le pingouin et le caméléon, l’ours soviétique ?

6 novembre 2023

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