C’était il y a pile 50 ans. Un nouveau courant musical apparaissait à gros sons de guitare dans une Pop music à cours d’inspiration. On désigna le phénomène sous le titre générique de « rock du sud » ou Southern rock en V.O. Après les musiciens de la Nouvelle-Orléans et le Allman Brothers Band, on avait sous l’impulsion de Al Kooper et des disques Capricorn, une palanquée de groupes et d’artistes issus des quatre coins du vieux Sud, du Old Dixie. Rock, blues, country, soul et boogie mélangés pour un son original et une musique épicée. Revue de détail.
Au printemps 1975, le Sud est à la mode. Pas le midi de la France, mais le Sud des États-Unis. Nino Ferrer chante « Le Sud », Claude François ses magnolias et un inconnu du nom de Billy Swan est en tête des hit-parades avec « I Can Help ». Swan, un petit gars du Missouri, chanteur country et producteur notamment de Tony Joe White ou de Kris Kristofferson à Nashville. Maurice Denuzière, ex grand reporter du Monde, remporte un succès de librairie avec son Louisiane et Autant en emporte le vent ressort sur les écrans. Les Français découvrent pour la plupart les magnolias et les bougainvilliers, les bayous de la Louisiane, les steamboats du Mississippi et la cuisine de la Nouvelle-Orléans.
Le vieux sud anciennement esclavagiste et tout juste sorti du racisme institutionnel après les lois Jim Crow (tombées seulement en 1964 après le Civil rights act), nourrit toujours des nostalgies coupables. Un Ku-Klux-Klan encore actif et des politiciens racistes comme George Wallace, candidat à la présidentielle de 1968 témoignent de ces temps pas si révolus où les lynchages et les pendaisons étaient monnaie courante.
Beaucoup de pionniers du rock’n’roll avaient leurs racines dans ce sud : Buddy Holly du Texas, Elvis Presley du Mississippi, Jerry Lee Lewis de la Louisiane, Gene Vincent de Virginie ou Little Richard de la Georgie. La Georgie comme Otis Redding pour le Rhythm’n’blues ou encore, pour le même genre, James Brown (Caroline du Sud), Joe Tex du Texas ou Sam Cooke de Clarksdale (Mississippi), là où Robert Johnson avait croisé le diable au fameux carrefour.
On connaissait moins, dans la musique populaire, les natifs de la Nouvelle-Orléans et leur musique qui devait à la fois au Swamp, au Cajun et au folklore vaudou, piano en tête. Fats Domino mais aussi Allen Toussaint, Professor Longhair et plus tard Mac Rebennac alias Doctor John et ses envolées psychédéliques sur des albums aussi inspirés que Night tripper ou Gris gris. C’était la musique de la Louisiane ou, plus précisément, de la Nouvelle-Orléans, de Bourbon Street, berceau du jazz traditionnel qui vit aussi les premiers balbutiements du blues.
De l’autre côté de la baie, côté Texas, on avait deux natifs d’Austin dont l’une – Janis Joplin – faisait rimer blues et acide rock quand l’autre – Roky Eriksson, mariait psychédélisme et épouvante avec ses 13th Floor Elevators. On était encore loin du rock du sud et de son style particulier à base de blues, de rock, de country et de soul music. Un melting pot de toutes les musiques populaires américaines cuisinées dans les chaudrons bouillants du vieux sud, avec souvent l’influence du rock anglais dans ses versions Yardbirds ou Cream, soit une large part faite aux soli de guitare et à l’improvisation.
Le premier combo à avoir réuni ces ingrédients est le groupe des frères Allman, Duane et Greg. Des albums remarquables comme ce Idlewild south (1970) ou le double Eat a peach (1972) où on peut entendre une version distendue du « There Is A Mountain » de Donovan enregistrée au Fillmore East. Les frères sont de Macon (Georgie), entourés de musiciens chevronnés comme Berry Oakley ou Dicky Betts. Duane Allman trouvera la mort dans un accident de moto et son frère deviendra le boy-friend de l’actrice Cher, la Cléopâtre du rock. Le Allman Brothers Band aura été le pionniers de ce rock du sud dont l’explosion sera favorisée par la création du label Capricorn Records fondé par Al Kooper (ex Dylan, Blues Project ou Blood Sweat & Tears), pas sudiste pour un sous lui, mais juif new-yorkais.
Parmi les pionniers, on citera aussi, mais dans un genre différent, Tony Joe White (du Tennessee) qu’on a pu présenter comme le nouveau Presley à la fin des années 1960 avec des hits comme « Rainy Night In Georgia », « Save Your Sugar » ou « Polk Salad Annie », ou encore J.J Cale, le loir d’Oklahoma City avec des albums comme Really, Naturally, Okie (mon préféré) ou Troubadour. C’est déjà la recette du Southern rock, avec tous les ingrédients, mais sous une forme volontairement lente, « laid back » on dira, avec guitares en demi-teinte et voix de rogomme.
C’est en 1973 que naît vraiment le phénomène avec deux groupes importants : Lynyrd Skynyrd et ZZ Top. On ne va pas trop s’attarder sur Lynyrd Skynyrd, de Jacksonville (Floride). Une bande de racistes décomplexés, dont plusieurs ex Hell’s Angels, autour du leader Ron Van Zant. On retiendra d’eux ce « Sweet Home Alabama » (sur leur album Second helping en 1974) qui était en fait une réplique au « Alabama » de Neil Young sur Harvest. Un titre qui sera controversé pour ses relents racistes dans la nostalgie assumée du vieux sud ségrégationniste. Une bonne partie du combo, dont Van Zant, disparaîtra dans l’accident d’un avion de tourisme loué par eux pour faire, plus rapidement qu’en camion, une soixantaine de dates dans tout le pays. C’était précisément le 20 octobre 1977, année punk, pas forcément une date à commémorer.
Le frère cadet de Ron Van Zant – Donnie – et le chanteur guitariste Don Barnes, tous deux également de Jacksonville, vont aussi sortir quelques albums estampillés « rock du sud » sous le nom de 38 Special, fleuron de la marque Smith & Wesson. Rien de bien fameux cela dit.
Les deux barbus de ZZ Top (Billy Gibbons et Dusty Hill guitares) plus le batteur Frank Beard, le seul à ne pas porter la barbe malgré son patronyme sont du Texas (Houston et Dallas). Ils se feront connaître en Europe avec leur hit de 1973, « La grange », tiré de leur album Tres Hombres. Fandango !, en 1975, lui fera suite avec une reprise du «Jailhouse Rock » de Lieber et Stoller. Les trois Tops adorent par-dessus tout Presley, B.B King et Jimi Hendrix dont ils reprennent à l’envie des plans de guitare dans d’interminables soli plébiscités par leurs fans. Il est vrai que le groupe assure sur scène avec son boogie effréné et ses envolées de guitare. En dépit du décès de Hill en 2021, le groupe est toujours en activité.
Un autre sociétaire du label Capricorn, le Marshall Tucker Band a pu incarner un temps la quintessence du rock du sud. Ils viennent de Caroline du Sud (Spartanburg) et ont pris leur nom à un vieil accordeur de piano aveugle de leur patelin. Six albums entre 1973 et 1976 dont on retiendra surtout Long hard ride (1976) avec la présence de Charlie Daniels et de John Mc Euen (Nitty Gritty Dirt Band).
Le Charlie Daniels Band justement, le groupe du chanteur violoniste Charles Edwards Daniels de Wilmington (Caroline du Nord). C’est un musicien respecté de Nashville – capitale de la Country – et il a joué de la basse derrière Dylan sur Nashville skyline et ses autres albums de la fin des années 1960. Il joue du violon sur des albums du Marshall Tucker Band et obtient un hit inespéré en 1975 avec son groupe pour son « The South’s Gonna Do It Again », hymne du rock sudiste, sur l’album Fire on the mountain (1974). Revenu en solo, il prendra une dernière fois la lumière avec « The Devil Went Down To Georgia », chanson du film Urban cowboy (1979).
Signalons aussi, de Black Oak (Arkansas), et comme son nom l’indique, Black Oak Arkansas, la formation de Jim « Dandy » Mangrum. Le groupe a pondu une demi-douzaine d’albums sur la marque Atco, plutôt orientée Soul music, avant de signer lui aussi pour Capricorn pour les albums Race with the devil (1977) et I’d rather be sailing (1978).
On citera juste pour mémoire Point Blank, des Texans qui délaisseront vite le rock du sud pour s’orienter vers un Hard-rock FM assez banal, comme d’ailleurs Molly Hatchet, également de Jacksonville (Floride). Il devait y avoir un nid…
On va s’arrêter là, même si d’autres groupes du sud nous reviennent en mémoire (Bruce Joyner & The Plantations ou les Black Crowes pour ne citer qu’eux, mais rien à voir avec le rock du sud).
Pas étonnant si ce courant musical aura eu les honneurs du public au milieu des années 1970, une période où le rock connaîtra l’une de ses pires périodes de disette. Le Southern rock sera balayé, dès 1977, par le Punk et les différentes tendances New wave qui s’ensuivirent, et c’en sera terminé des rockers sudistes, de leurs motos, de leurs Stetsons, de leurs barbiches et de leurs insignes glorifiant le vieux sud contre les méchants yankees. The night they drove old Dixie down (again).
31 décembre 2024
Merci, Didier, pour cet excellent rappel, J’y ajouterais un de mes favoris : « Johnny Jenkins » …