Les supporters rémois, au nombre desquels je me flatte de compter, auront sauté comme des cabris au terme de la finale – longue et fastidieuse – de la Coupe de la ligue, dernière du nom. Il aura fallu l’arrêt inespéré de Navas, le gardien costaricien (ah le Costa Rica, pays des papillons rares, de l’absence d’armée et d’initiatives généreuses à l’ONU) pour voir Sarabia crucifier le lyonnais Lopes et envoyer le Stade de Reims (6° du classement) en Coupe Europa.
Ironie du sport, les plus grandes joies surviennent parfois sans jouer, signe encore plus capricieux des si mystérieuses voies de la providence, ou plus simplement de ce qu’un Thierry Roland appelait les « dieux du football ».
Reims en Coupe Europa, cette coupe qui tient lieu de consolante aux « petits » d’Europe ; tous ces clubs ayant réussi à se classer dans les places d’honneur de leurs championnats respectifs (selon les coefficients par pays de l’UEFA) en laissant les grands rejoindre la prestigieuse Championship (ou C1 d’antan).
Autant d’obstacles réputés traîtres où il faudra gagner trois matches successifs avant de se qualifier pour des poules de quatre dont les mieux classés empocheront leur ticket pour un 1/8° de finale au printemps. C’est dire que le chemin est long et semé d’embûches sous la forme de clubs de sans grades va-t-en guerre pouvant venir aussi bien de Scandinavie que du pourtour méditerranéen, de la Galice ou du Portugal que des ex républiques soviétiques.
Sans remonter aux épopées européennes du Stade de Reims et de ses deux finales perdues (1956 et 1959) contre le Réal Madrid, on peut retenir cette soirée de mars 1963, dernier match de coupe d’Europe d’un club dont les joueurs d’alors ont écrit la légende. Kopa est déjà sur le déclin, Piantoni est blessé quand Fontaine et Vincent sont partis. Les recrues – Akesbi, Sauvage ou Soltys – n’ont pas su inverser la tendance contre le Feyenoord des Klaassen et Moulijn, malgré un nul plus que méritoire à Rotterdam. Mais le grand Reims n’est déjà plus.
Je me souviens m’être endormi devant la télévision ce soir-là et avoir rêvé de ces joueurs élégants déjà vus sanglés dans des tuniques couleur sang de bœuf aux manches ivoire. Ils n’avaient pas revêtu ces couleurs là-bas en Hollande, et j’y avais vu la cause de leur élimination. Mon père parlait de « football champagne » et je ne comprenais pas encore ce que cela pouvait bien signifier. Je venais d’émarger à la catégorie Poussins d’un club de quartier perdu à la lisière de Roubaix et de Tourcoing. J’avais été déçu d’emblée de devoir jouer avec un maillot jaune et un short noir, mais bon, Reims n’avait-il pas troqué ses couleurs traditionnelles contre un maillot jaune serein pour ne pas être confondus avec des Bataves eux aussi en rouge et blanc, mais avec short noir.
Reims sera de ce jour mon club de cœur, et je faisais ainsi mes premières infidélités au clan familial attentif (sauf ma mère) aux performances du LOSC dont je n’avais cure. Mon père m’emmenait aux matches que je regardais indifférent, tremblant à la perspective d’apercevoir le résultat des stadistes dans la vitrine de La Voix Du Nord, depuis le bus qui nous ramenait à la gare.
Puis Reims tomba en deuxième division avant de remonter et d’accrocher des places d’honneur grâce à ses somptueux goleadors, les Onnis, Santamaria et autres Carlos Bianchi. Les cinquièmes ou sixièmes places dans les années 70 n’étaient pas synonymes de coupes européennes, loin s’en faut, dans une Europe du football qui snobait la France. Ce fut ensuite la relégation en deuxième division avec une équipe d’éternels espoirs mal entourés par quelques vieilles gloires.
Dix saisons en enfer vécues comme une perpétuelle humiliation par les supporters. Mais il y avait pire que l’enfer : la faillite et les sanctions administratives, financières et sportives qui, en 1991, jetaient le club dans des divisions perdues. C’est ainsi que j’avais vu mes héros à Tourcoing en 1993, comme j’avais eu le bonheur de voir Raymond Kopa en chair et en os venu défendre les couleurs de l’équipe B contre le CORT – l’équipe sur le déclin de Roubaix – Tourcoing jadis soutenue par les patrons du textile – en Championnat de France Amateur, en 1967. Kopa qui, tel Cincinnatus retourné à sa charrue après avoir sauvé Rome, était revenu en anonyme sur des terrains perdus, après avoir sacré Reims.
Passons vite sur la laborieuse remontada. 13 années à faire l’ascenseur, de la remontée laborieuse en National (1999) à l’accession inespérée en Ligue 1 (2012) avant rechute et ultime remontée d’un Stade de Reims réputé équipe surprise et poil à gratter des plus grands. Sauf qu’une surprise devenue habitude n’en est plus une et que, presque par atavisme, Reims peut maintenant s’apprêter à redevenir un grand d’Europe. Ou se faire sortir dès les premières joutes dans des enceintes hostiles au fin fond de ladite Europe. Mais n’insultons pas l’avenir tant les rouges et blancs ont su nous étonner ces dernières années, leur football champagne étant devenu un jeu de contre réaliste et tactique, rigoureux pour tout dire. Mais Reims a gardé ses couleurs, et ma mémoire restera toujours rouge (avec des manches blanches).
Décidément qu’elle verve ! On ne traité bien que ce que l’on aime ou ce que l’on hait a dit l’historien Lucien Febvre …