Elle s’appelle Ondine (Undine en V.O) Wibeau et elle est guide dans un musée historique consacré à l’urbanisme de Berlin. Le Berlin d’avant et d’après-guerre, le Berlin d’avant et d’après la RDA avec explications lumineuses sur toutes les conceptions architecturales très politiques des dirigeants est-allemands qui, sur les ruines du nazisme, n’en tiennent pas moins pour un nationalisme perceptible dans les bâtiments, dans les monuments. La fonction avant la forme pour une méga-cité qui n’était à l’origine qu’un vaste marais devenu cité lacustre puis ville-monde.
Un marais peuplé d’ondines ? ces créatures de la mythologie allemande attirant leurs amants par le fond lorsque ceux-ci ont la mauvaise idée de les quitter. Les ondines sont parentes avec les sirènes ou avec la vouivre d’un conte de Marcel Aymé. Jean Giraudoux, limousin amoureux de l’Allemagne, en avait fait une pièce de théâtre à succès et l’incorrigible Blondin ne pouvait se priver d’un mauvais jeu de mot sur son titre : « on dîne ? ».
L’Ondine en question, incarnée par la sensuelle Paula Beer, est justement délaissée par son amant dès la première scène et la tristesse qu’elle exprime dans ses premières minutes, à travers des expressions douloureuses, est très émouvante. L’inconscient finira noyé par ses soins après avoir osé lui être infidèle, mais ainsi veut la légende. Petzold sait filmer les visages et les corps, révéler leur beauté comme leur mystère.
Undine se révèle pleinement Ondine lorsqu’elle détruit accidentellement l’aquarium géant d’un restaurant où elle rencontre son nouvel amant, scaphandrier de métier chargé de vérifier la solidité des ponts traversant des rivières et des fleuves. L’eau se répand et un scaphandrier miniature rescapé du naufrage sera le symbole de leur amour fou marqué par l’élément liquide. Un scaphandrier et, plus tard, un vieux poisson antédiluvien, un silure, animal mascotte croisé dans les profondeurs. Les scènes tournées dans – sous – l’eau sont d’ailleurs les plus belles, nous éclaboussant littéralement de leur splendeur.
Le nouvel amant – Christoph – soupçonnera Ondine d’infidélité et sera victime – volontaire ? – d’un accident de travail qui le laissera invalide. Il se réveillera d’un long coma au moment même où Ondine, en Ophélie germanique, se noie après s’être fait justice au domicile de son premier amant. Christoph cherchera longtemps Ondine et leurs ultimes retrouvailles se feront, on s’en doute, sous le signe de l’eau, encore et toujours. On n’a pas l’impression de déflorer l’intrigue tant l’important se passe ailleurs, dans cette passion irradiante entre un humble mortel et une naïade à la beauté tragique et pourtant bien humaine.
Christian Petzold est un cinéaste de renom, l’un des grands de ce nouveau cinéma allemand – appelé encore l’école de Berlin – ce cinéma d’après la génération (Fassbinder, Herzog, Schroeder, Fleischman et autres Schroeter) qui a remis le cinéma d’outre-Rhin au premier plan après les années de silence post-nazi. Habitué d’un cinéma plus politique et social, c’est vers le fantastique qu’il nous tire ici, mais un fantastique qui reste néanmoins très réaliste.
Même s’il s’agit d’un drame, l’humour est toujours là, comme avec ce « Staying Alive » des Bee Gees qui sert de tempo à la réanimation des noyés, ou encore cette scène hilarante lorsque Christoph, brûlant de désir, demande à Ondine de lui réciter la présentation apprise par cœur du texte qu’elle a préparé pour les visiteurs du musée qui l’emploie. Où l’on prouve que l’amour passe par les voix, passe par les mots. On pourrait citer d’autres exemples, où la légèreté et une certaine fantaisie côtoient le tragique et l’affliction.
Ceux qui connaissent un peu Berlin apprécieront le style avec lequel Petzold filme la cité tentaculaire qu’on ne voit au début qu’à travers des maquettes de musée. L’aéroport, les rues, les gares, les trains de banlieue… Ceux qui n’y sont jamais allés pourront se laisser séduire par ce Berlin où coule la rivière Spree, et où les contes et légendes germaniques peuvent ressurgir et perturber la marche du monde et sa modernité.
C’est ici que le passé immémorial s’infiltre dans cet univers froid de béton comme pour lui restituer une âme. Et Ondine nage entre les deux mondes, entre deux eaux.
Je n’ai pas encore vu « Ondine »…mais « Barbara » et « Transit »…de Christian Petzold…des films remarquables…un réalisateur à aller voir « les yeux fermés ».
Ses films sont pensés jusqu’à la dernière seconde…le choix des acteurs formidable!!!
Du grand art…des vraies compositions où rien n’est en trop, rien ne manque.
Je suis devenue une inconditionnelle de Christian Petzold que j’avais découvert un peu par hasard…à la télé allemande…