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LESLIE WEST / LES VAGABONDS DE LONG ISLAND ET LA MONTAGNE DE CHAIR

Pappalardi And West. à Nantucket ?

Guitare héro américain légendaire, Leslie West est décédé juste avant Noël. L’ogre obèse de Long Island est mort au soleil de la Floride, des complications de son diabète. Lenny Kaye nous avait fait découvrir son premier groupe, les Vagrants, grâce à Nuggets, géniale compilation des trésors oubliés de l’ère psychédélique U.S. Puis il y eut Mountain, tentative de réponse américaine à la Cream anglaise. Avant West, Bruce and Laing, reformation de Mountain, carrière solo mais, surtout, une longue descente dans la drogue et la maladie.

On a pu parler de Blue Eyed Soul à propos de groupes américains comme les Young Rascals ou Tommy James And The Shondells, autant de combos partis d’un rhythm’n’blues assez basique pour cingler vers le mystérieux continent du psychédélisme. Les Vagrants (les vagabonds, les clochards), étaient aussi du lot, qui auront aussi dépassé leurs influences soul, même si ce n’est pas par hasard que le « Respect » d’Otis Redding fut leur seul et unique hit (mineur) en 1967. Pourtant, leur reprise n’était que la face B du hit potentiel « I Love You (Yes I Do) », produit par d’anciens Rascals.

Leslie Weinstein est donc né en octobre 1945 dans le quartier du Queen’s. Le jeune homme va bientôt peser ses 200 kilos et arborer une coupe afro « black panther » encore peu adoptée dans le New York du milieu des années 60.

En 1966, les Vagrants enregistrent leur premier single chez Southern Sound, « Oh Those Eyes » se signalant par un son caverneux et des riffs de guitare agressifs. West se contente de jouer de sa Les Paul, malgré une voix grave et puissante, au falsetto reconnaissable, dont il nous régalera par la suite, laissant pour l’heure chanter Peter Sabatino. Les Vagrants sont quand même remarqués par deux producteurs de Beach Party Film, compagnie adossée à l’American International Pictures et spécialisée dans le surf-rock et le film de plage. Pas vraiment le genre des Vagrants qui, signant chez Vanguard, sortent « The Final Hour » qu’ils peuvent jouer à l’Action House de Long Island, un club où ils jouent tous les soirs et où le label les a repérés. Chaque concert se termine par un « Exodus »instrumental que West interprète religieusement, absorbé, extatique. On peut penser que ses origines juives n’y sont pas pour rien.

« I Can’t Make A Friend », produit par Felix Pappalardi, futur bassiste de Mountain, est aussi puissant rythmiquement que riche mélodiquement. Pappalardi, avec son épouse Gail Collins, va partir à Londres s’occuper de Cream, mais il use de son entregent pour faire signer les Vagrants chez Atlantic / Atco, le label rhythm’n’blues d’Ahmet Ertegun qui s’ouvre à la pop music.

L’année 1967 commence bien avec « And When It’s Over », paru chez Atco. Le single, mélange subtil de soul et de psychédélisme, est produit par Shadow Morton, élève de Phil Spector s’étant fait connaître avec les Shangri-La’s avant d’aller chaperonner Vanilla Fudge. Un répertoire qui s’étend de plus en plus à la musique noire, témoin ce « Respect » dont ils donnent une furieuse version, presque hard, avant celle d’Aretha Franklin. Ils reprennent sur scène « Hold On I’m Coming » de Sam And Dave ou « Gimme Some Lovin’ » du Spencer Davis Group. Blue Eyed Soul, on a dit.

Cela aurait pu être leur heure de gloire, mais ce ne fut que leur chant du cygne. Pappalardi devait produire leur album, mais ils se sépareront avant, après un dernier single d’inspiration psychédélique « Sunny Summer Rain ». On peut découvrir toutes ces merveilles sur une compilation de singles (I Can’t Make A Friend 1965 – 1968), sortie en 1996, dix ans après The Great Lost Album (1987) chez Arista. Soit les Vagrants pour mémoire, eux qui n’auront jamais sorti un traître album. Un fichu combo quand même, qui nous aura entraîné de la musique noire à l’arc-en-ciel du psychédélisme.

La suite est plus connue avec Mountain, fondé en 1969 avec West à la guitare et au chant, Pappalardi à la basse, Steve Knight aux claviers et Corky Laing à a batterie. L’archétype du groupe hard-rock américain avec un premier album (Climbin’ en 1970) où l’on remarque surtout ce « Mississipi Queen » qui deviendra un classique du hard. Tous les compositeurs et paroliers de Cream (Pappalardi, Collins, Pete Brown et même Jack Bruce) mettent la main à la pâte pour l’un des albums matrice du hard-rock U.S. Mountain se rêve pourtant en Cream américain, mais West n’est pas Clapton et Bruce n’est venu que pour jouer les utilités. Quant à comparer Laing à Ginger Baker…

Plus ambitieux est pourtant Nantucket Sleighride (janvier 1971). Un concept-album sur des textes poétiques et des musiques plus sophistiquées avec toujours Pappalardi et Collins à la manœuvre. La chanson titre est dédiée à un jeune marin, Owen Coffin, mort dans une chasse à la baleine à bord de l’Essex quand « Tired Angels » est un hommage à la mémoire de James Marshall Hendrix, récemment décédé. Nantucket est une cité de Nouvelle-Angleterre d’où partaient les chasseurs de baleine, et les fantômes d’Herman Melville (Moby Dick) et d’Edgar Poe (Les Aventures d’Arthur Gordon Pym) se tiennent hiératiquement sur l’embarcadère, assistant aux naufrages les yeux embués de larmes. Ce n’est pas par hasard que Mountain tourne souvent aux USA avec Procol Harum, deux groupes amis pareillement obsédés par la mer et ses fantômes. Puis c’est le baudelairien Flowers Of Evil (novembre 1971), avec, comme le Wheels Of Fire de Cream – la grande référence – une face studio et une face en public, au Fillmore East, avec l’inévitable « Mississipi Queen », un long solo de West et une satanée version de « Roll Over Beethoven ».

1972. Exit Mountain, West et Laing se joignent à Jack Bruce pour un super groupe faisant pièce à Beck – Bogert And Appice. Aussi vain que médiocre, avec un hard-rock lourd du cul et des démonstrations de virtuosité lassantes. La montagne a accouché d’une souris. West, Bruce And Laing donc, avec deux albums studio : Why Dontcha, leur premier album comme le Whatever Turns You on lui faisant suite, tous deux aussi décevants. Sans parler d’un live alimentaire, Live’n’Kickin’, en 1974. Entre temps, West aura travaillé avec les Who sur leur album Who’s Next (1971). Une référence. Il restera longtemps proche du groupe et pourra se poivrer ou se camer, selon l’humeur, avec Entwistle ou Moon, à New York ou à Londres.

On peut passer sur le reste, la reformation de Mountain puis les albums solo, dont l’auto-ironique The Great Fatsby (1975) et beaucoup d’autres. Le martyr de l’obèse pour un West qui s’enfonce dans ses addictions (héroïne, cocaïne et morphine, la totale) et ses maladies (diabète puis cancer). Dans toute sa vie, il aura facilement absorbé son poids en poudre et devra se faire amputer de la jambe droite. Leslie Weinstein s’installe enfin à Daytona (Floride) et c’est son frère Larry (l’un des Vagrants) qui pourra annoncer son trépas au magazine Rolling Stone. Floride, terminus de l’éxodus. The West is the best.

Vanguard et Atco pour les Vagrants, Windfall Records / CBS pour Mountain et West Bruce And Laing.

27 décembre 2020

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