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BLUES BOOM

blues et folk festival de Newport

Après le jazz, le blues pour dix albums, peut-être pas les meilleurs mais en tout cas parmi les plus représentatifs du genre. Avec les mêmes avertissements que pour le jazz : c’est totalement subjectif et personnel. La plupart de mes albums viennent d’un disquaire de Bruges, qui animait parallèlement une émission sur le blues à la BRT. Une pensée pour lui chez qui on pouvait passer tout un dimanche après-midi en buvant des bières ou du café. Real cool cat !

1. ROBERT JOHNSON – King of the delta blues singers vol. 1 et 2CBS.

Le blues du delta du Mississippi d’abord et ses légendes, les Charlie Patton, Skip James, Sleepy John Estes, Bukka White ou Son House, sans parler des aveugles, les Blind Blake, Blind Lemon Jefferson ou Blind Willie Mc Tell.

Robert Johnson est bien le roi de ce courant rural du blues où les guitares n’étaient pas encore électrifiées. La légende veut qu’il ait vendu son âme au diable à un carrefour (crossroad) de Clarkdale (Mississippi) pour se voir doté de ce jeu de guitare virtuose et qu’il cachait ses doigts lorsqu’il jouait en public, peur qu’on s’aperçoive que ses mains étaient guidées par le malin ? Mystique vaudou à part, une trentaine de morceaux parmi lesquels une bonne dizaine repris par les Stones, Cream, Led Zep ou Canned Heat : « Crossroads Blues », « Me And The Devil Blues », « Sweet Home Chicago », « Stop Breakin’ Down », « Love In Vain »… La meilleure et la plus jouissive des manières pour s’initier au genre. Vive le roi !

2. SON HOUSEThe legendary Son House / Father of the blues – CBS .

Eddie J. « Son » House était aussi un pionnier du blues, du blues du delta. Enregistré une première fois dans les années 30 alors qu’il conduisait son tracteur dans les champs de coton, et revu en 1942 par l’ethnomusicologue Alan Lomax, House part à Rochester (état de New York) où il devient ouvrier et laisse tomber sa guitare. L’auteur de « Preachin’ Blues » (repris par Johnson) sera rattrapé par son passé quand trois jeunes critiques blancs viendront le remettre dans le circuit en 1961 et House reprendra la guitare et se produira au festival de Newport en 1964, avec Peter, Paul & Mary et Judy Collins. Pour Al Wilson, chanteur et pianiste de Canned Heat, il était le meilleur et « Empire State Express » comme le long « Levee Camp Moan » seront réenregistrés par lui. « Le blues n’est rien qu’une fraîche secousse pour les déprimés. Si vous n’avez jamais ressenti ça, les enfants, j’espère que vous ne le ressentirez jamais ». Bluesman et philosophe, pléonasme ?

3. JIMMY REEDThe ultimate Jimmy Reed – Bluesway ABC.

Avec Jimmy Reed et les siens arrive le blues moderne. Les métayers cueilleurs de coton du deep south ont investi les usines des grandes métropoles de l’est ou du Midwest. Detroit, Chicago, Saint-Louis, New York… Refusé par Chess, et ce sera sa grande humiliation, cet excellent guitariste et compositeur émérite a vu ses morceaux les plus connus repris par beaucoup de groupes du Swinging London (Rolling Stones, Animals, Pretty Things…). Une manière de revanche. Il est, avec Elmore James et Howlin’ Wolf, le père du Chicago blues et son style heurté et rageur préfigure le rhythm’n’blues comme le rock’n’roll.

On aurait pu choisir ses disques sur Musidisc, mais celui-ci contient la plupart de ses hymnes : « Hush Hush », « Honest I Do », « Shame Shame Shame », « Hush Your Mouth », « Bright Lights, Big City » ou le classique des classiques « Baby What You Want Me To Do ». Plus le « Big Boss Man » de Willie Dixon, le plus grand mélodiste du blues. Alcoolique chronique et sujet à des crises de delirium, Reed oubliait souvent les paroles de ses chansons et sa femme devait suppléer sa mémoire. Il meurt dans une crise d’épilepsie en août 1976. Everyday I have the blues…

4. MUDDY WATERSMuddy Waters at Newport 1960 – Chess.

Mc Kinley Morganfield peut être à bon droit considéré comme le chaînon manquant entre blues du delta et blues de Chicago, un courant dont il est le père. Son parcours ira lui aussi du Mississippi à l’Illinois et, à l’instar de Son House, c’est l’équipe de Alan Lomax qui viendra l’enregistrer dans les champs de coton pour le bénéfice de la bibliothèque du congrès. Il arrive donc à Chicago et essuie plusieurs refus de Leonard Chess avant de pouvoir enregistrer pour le label éponyme, en 1955.

Il deviendra pourtant l’un des piliers du catalogue avec une formation où s’illustrent James Cotton (harmonica) et Otis Spann (piano). Plusieurs de ses morceaux sont l’œuvre de Howlin’ Wolf, son rival de chez Chess (« I Wanna Put A Tiger In Your Tank », « Hoochie Coochie Man ») ou Big Bill Broonzy (« I Feel So Good »). Mais on retrouve aussi ses classiques, « Got My Mojo Working » ou « Baby Please Don’t Go » (souvent attribué à Big Joe Williams). Manquent « Rollin’ And Tumblin » et « Rolling Stone », ce classique dont Brian Jones s’est inspiré pour nommer son groupe. Muddy Waters est d’ailleurs vénéré en Angleterre où on a pu le voir, à Londres, où le vieux a livré une prestation inoubliable. Les eaux boueuses du delta ont trouvé leur chantre.

5. HOWLIN’ WOLFChicago Golden Years 26 – Chess.

Le loup hurlant est né Chester Arthur Burnett dans le Mississippi, lui aussi. C’est la perle du label Chess et l’un des grands noms du blues chicagoan. Le colosse (1m. 92 pour 125 kg) du blues moderne est l’un des premiers à avoir refusé de travailler comme ouvrier agricole et il a quitté ses parents pour partir sur les routes apprendre la guitare avec Charley Patton, puis l’harmonica avec Sonny Boy Williamson. Il est aussi l’un des tous premiers à avoir électrifié sa guitare. Disc-jockey dans l’Arkansas, il fonde ensuite son propre groupe, The Houserockers (avec James Cotton), avant d’être présenté par Ike Turner à Sam Philips, de chez Sun puis de signer sur le label Chess dont il deviendra l’un des artistes maison avec Willie Dixon.

S’il reprendra plusieurs morceaux signés par Dixon (« Little Red Rooster », « Spoonful », « Back Door Man »), il va aussi produire son propre matériel, des classiques du répertoire blues comme « Who’s Been Talkin’ » (absent sur ce disque), «The Killing Floor », « Louise », « Poor Boy » ou « Natchez Burnin’ ». Manquent aussi « Sitting On Top Of The World », repris par Cream ou « Smokestack Lightning », par les Yardbirds. Inutile de préciser que, comme Muddy Waters ou Jimmy Reed, Wolf aura une influence immense sur le Swinging London et son British Beat. Le loup garou de Chicago va vite devenir celui de Londres, avant de retourner dans l’Illinois pour y mourir d’un cancer du rein, en 1976, comme Jimmy Reed. 1976, une année noire pour le blues.

6. BIG BILL BROONZYFeelin’ low down vol. 2 – Blues Legacy / Vogue.

Broonzy a enregistré dès 1927 et il peut aussi figurer comme trait d’union entre le blues rural du delta et le blues moderne. On portera une attention toute particulière à ses textes qui font montre d’une conscience sociale et d’un humanisme constants, témoin ce « Black Brown And White », remarquable hymne antiraciste : « If you’re white, it’s allright / If you’re brown, stick around / But if you’re black, get back ».

Né Lee Conley Bradley dans le Mississippi, il est ouvrier agricole puis soldat durant la première guerre mondiale avant d’apprendre la guitare avec Papa Charlie Jackson et d’enregistrer « Big Bill Blues » chez Paramount. Ce sera le prélude à l’enregistrement de 300 chansons dont « Willie Mae Blues » ou « Feelin Low Down ». Il va partir en Europe, y épouser une Néerlandaise et jouer pour des comédies à Broadway avant de devenir un pilier de la scène folk new-yorkaise avec Sonny Terry, Brownie Mc Ghee, Pete Seeger ou Tom Paxton. Le folk après le spiritual et le blues chicagoan. Toujours avec la même ferveur, la même conviction, la même générosité. Great Bill !

7. SONNY BOY WILLIAMSONThe real folk blues / Chicago golden years 10 – Chess.

Le plus grand harmoniciste de blues dont la biographie est obscure. Willie Dixon, qui devait l’écrire, a fini par y renoncer tant Ellis, ou encore Aleck Miller (de son vrai nom) s’est ingénié à brouiller les pistes. D’abord, plusieurs noms et surnoms (the boy, little blue boy, footsie ou encore the goat…) pour un seul bonhomme né, au choix, en 1899, 1908 ou 1912.

Après des débuts tout aussi mystérieux avec des mentors comme Robert Johnson ou Elmore James, Miller est rebaptisé Williamson pour participer à King Biscuit Time, un programme de blues sur une radio de Helena (Arkansas).

Il signe chez Trumpet Records en 1951, une maison de disques qui fera faillite et sera rachetée par Chess en 1955. Suivront les succès du bluesman au chapeau melon qui transportait son harmonica (amplifié sur scène) dans une mallette. Avec des titres comme « Bye Bye Bird » (repris à l’identique, solo d’harmonica compris, par les Moody Blues), « Pontiac Blues », « Take It Easy Baby » ou « Eyesight To The Blind » (le « The Hawker » des Who sur Tommy ), Sonny Boy sera lui aussi embringué dans les folles nuits du Swinging London, jouant tour à tour avec les Yardbirds ou les Animals. Son heure de gloire sera de courte durée puisqu’il devra quitter l’Angleterre après une bagarre où il blesse un homme. Il mourra en mai 1965, crachant le sang tout en continuant de jouer de son harmonica jusqu’à l’ultime seconde, comme il est raconté dans le film de Scorcese sur le dernier concert du Band, The last waltz. Les morts solitaires font partie de la légende du blues, celle de J.B Lenoir comme celle de Sonny Boy Williamson, personnage fort en gueule, mauvais coucheur et colérique. Un vrai emmerdeur. Un bluesman, quoi !

8. JOHN LEE HOOKER This is hip – Charly Records.

Difficile de faire l’impasse sur le grand John Lee Hooker, l’artiste le plus connu, avec B.B King, du blues moderne. Natif de Clarksdale (Mississippi), Hooker passera par Cincinatti avant de s’arrêter à Detroit en 1943, où il est lui aussi l’un des premiers à adopter la guitare électrique.

À l’origine ouvrier mécanicien à Detroit, Hooker signe chez Chess et va composer des classiques du blues (« Boom Boom », « Dimples », « This Is Hip », « Crawling King Snake » ou « One Bourbon, One Scotch, One Beer ») repris aussi bien par les Animals en Angleterre que par les Doors ou Canned Heat aux États-Unis. Canned Heat avec qui il va enregistrer Hooker’n’heat (1971), l’album lui redonnant ce deuxième souffle qui le voit devenir la figure tutélaire des blues booms anglais et américain. On peut seulement regretter ici l’absence du somptueux « Don’t Look Back », repris par Them et qu’il réenregistrera avec Van Morrison.

Il se sera aussi investi dans les luttes pour les droits civiques et on lui doit l’inoubliable « Motor City’s Burning » (repris par le MC5) sur les émeutes de Claremont (comté de Los Angeles). Hooker s’établit en Californie à la fin de sa vie et il y mourra à 83 ans, âge canonique pour un bluesman.

9. WILLIE DIXONI am the blues – CBS.

Willie Dixon n’est pas né dans le Mississippi mais en Californie, à Vicksburg. Des démêlés avec la justice l’amènent à partir à Chicago où il devient boxeur avant d’être réquisitionné en Europe à la seconde guerre mondiale et d’apprendre la contrebasse à son retour. Dixon a sorti peu de disques, mais il est devenu le maître Jacques des studios Chess où il endosse les emplois de musicien, de producteur et de compositeur. C’est cette troisième casquette qui nous intéresse.

Il a composé, on l’a vu, pour Muddy Waters, pour Howlin’ Wolf, pour Jimmy Reed. Il a produit Chuck Berry, Bo Diddley, Sonny Boy Williamson ou Little Walter. Ici, on trouve la crème de ses compositions : « Back Door Man », « I Can’t Quit You Baby », « Spoonful », « You Shook Me », « Hoochie Coochie Man », « Little Red Rooster », qui ont fait le bonheur des Stones, des Doors ou de Led Zeppelin. Led Zeppelin dont le « Whole Lotta Love » est copié note pour note sur son « You Need Love », mais ce genre d’indélicatesse est monnaie courante et les bluesmen ont toujours été pillés par les pop stars.

Dixon est mort d’une crise cardiaque due à son diabète, après une amputation de la jambe. Il restera comme un grand du Chicagoan blues et l’homme à tout faire du label Chess. Malgré sa maigre discographie, il est LE compositeur d’un genre qui n’en compte pas tant que ça et où on reprend plutôt les trucs des copains ou des traditionnels dont la mémoire se perd dans la nuit des temps. Dans la nuit noire.

10. LITTLE WALTERChicago Golden Years 1 – Chess.

J’ai toujours eu un petit faible pour Little Walter et son harmonica. À ce stade, celui du dernier album choisi, j’aurais pu prendre Buddy Guy ou Elmore James ou tant d’autres, mais bon. Il est le Jimi Hendrix ou le Charlie Parker de l’harmonica, virtuose autant que sensible. Il suffit d’écouter « My Babe »pour s’en convaincre.

Il est né en Louisiane en 1930, ce qui en fait un jeunot à côté des anciens qu’il a accompagnés à l’harmonica, notamment Sonny Boy Williamson et Muddy Waters. Il signe ensuite chez Chess et Willie Dixon lui écrit ce « My Babe » trépidant. Mais Walter Jacobs (à l’état civil) compose aussi pour The Aces, son propre groupe, comme avec son compère Junior Wells. Il va aussi jouer pour Bo Diddley, Otis Rush et en première partie des Rolling Stones en 1964. Il mourra quatre ans plus tard, à 38 ans, à la suite d’un mauvais coup pris dans un club de Chicago. Alcool, bagarre et sexe, tel était le quotidien de tout bluesman en bon état de marche. Le petit Walter ne faisait pas exception.

Voilà, à la relecture, nulle trace de Ma Rainey, de Bessie Smith, des trois King (B.B, Albert et Freddie), d’Elmore James, de T. Bone Walker, de Buddy Guy, de Big Joe Williams et de tant d’autres. On a un peu honte, mais il fallait bien faire des choix. Et choisir, c’est éliminer, quitte à en devenir triste et cafardeux. Bluesy, pour tout dire.

3 mars 2021

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