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PAS BEAU L’AVION !

Dessin de Ed Cobb pour la pochette d’un album du Jefferson Airplane

À l’heure d’une transition écologique (et sociale) devenue urgente pour cause de réchauffement climatique, de catastrophes en série et de pandémies risquant de devenir tristement habituelles, l’aéronautique suscite plus que jamais la controverse. Un secteur en crise, mais largement dédommagé par l’État sans aucune contrepartie. On parle de plus en plus d’avion bashing ou de flygskam, expression suédoise pour dire la honte de prendre l’avion. Et si on avait raison ?

Cet article reprendra pour l’essentiel le dossier consacré à l ‘aéronautique (Aérien, ouvrir le chemin d’une transition écologique juste), paru dans le n°124 de Lignes d’Attac, janvier 2021.

L’aéronautique peut être considérée comme un vecteur essentiel de la mondialisation libérale et, depuis de nombreuses années, l’avion n’est plus l’apanage de la bourgeoisie en classe affaires. Tout le monde prend l’avion, des classes moyennes aux retraités. Enfin presque.

Si le boom de l’aviation est à situer après la seconde guerre mondiale, la déréglementation et la libéralisation du secteur aérien (special thanks to Ronald Reagan & Margaret Thatcher) est à dater des années 80, avec une forte accélération qui voit l’apparition des compagnies low cost, dans les années 90.

Il faut dire que le secteur aérien bénéficie d’une exemption de taxe sur le kérosène qui perdure encore aujourd’hui et qu’il a échappé par lobbying interposé aux mesures de réduction de gaz à effet de serre (GES) par pays dans l’accord de Kyoto (1997). Pourtant, l’avion est le véhicule roi de la pollution avec, pour l’année 2018, 1 milliard de tonnes de CO2 émis, à rapporter aux 40 milliards de tonnes toutes activités confondues. Sans parler des autres nuisances : méthane, oxydes d’azote, microparticules… En France, on peut chiffrer ces émissions à 22,7 millions toujours pour 2018 soit 5 % des émissions totales et 15 % pour le transport uniquement.

Les tenants de l’écologie de marché ou du capitalisme vert (greenwashing?) ont évidemment dans leurs tiroirs des solutions ingénieuses pour atténuer l’emprunte écologique de l’aérien. Il faut bien que tout change pour que rien ne change (Lampedusa) et que tout puisse continuer comme avant. Mais on ne fera pas l’économie d’une remise en question des acteurs (gouvernements, entreprises et syndicats) comme des particuliers, citoyens voyageurs, qui doivent aussi prendre conscience du marasme que constitue la poursuite effrénée et inconditionnelle des vols aériens.

C’est souvent là que le bât blesse à gauche, quand on argumente, au nom du progrès, que les classes moyennes, voire populaires ont enfin eu accès à la découverte du monde grâce à la démocratisation des coûts de l’aérien, et qu’on ne voit pas au nom de quoi cela resterait l’apanage de la bourgeoisie et des milieux d’affaire. Certes, l’argument est de poids au nom de la justice sociale et de l’égalité, mais ce type de raisonnement nous envoie droit dans le mur. Est-il devenu si important de prendre l’avion « quoi qu’il en coûte » écologiquement ? Ne peut-on imaginer une diminution des voyages touristiques et un système de quotas carbone individuel sur plusieurs années, rendant l’accès plus égalitaire au transport aérien ? C’est ce que proposent les députés François Ruffin et Delphine Batho.

Cela devrait s’accompagner d’une totale remise à plat de la fiscalité du secteur comme d’une suppression des liaisons de faible kilométrage et de courte durée au profit du transport ferroviaire.

Se pose aussi bien sûr la question de la nécessaire reconversion du secteur. Aujourd’hui, c’est sa survie même qui est en jeu avec 280 milliards de pertes estimées, une chute drastique de la construction et une crise chez les sous-traitants. Malgré l’argent « hélicoptère » jeté sur le secteur (15 milliards d’Euros dont 7 rien que pour Air France), de massives suppressions d’emploi sont à l’ordre du jour : 5000 pour Airbus rien qu’en France ; 7500 pour Air France d’ici 2022, et on ne parle même pas des compagnies low cost qui auront le choix entre licencier ou dégrader encore leurs services, si c’est possible (ou les deux).

Les activités en France sont concentrées en Île de France, en Nouvelle Aquitaine et en Occitanie. À Toulouse notamment, des syndicats, des universitaires et des associations (dont Attac et Copernic) se réunissent au sein d’un collectif « pensons l’aéronautique pour demain » qui a organisé un « Forum social et environnemental  de l’aéronautique ». Toutes les questions ont été examinées sous tous les angles (besoins sociétaux, emploi, écologie, social, techniques), avec à la clé quelques pistes pour en sortir sans trop de casse sociale : démantèlement ou recyclage des avions obsolètes, reconversion vers des secteurs d’avenir de la transition écologique (chemin de fer, isolation des bâtiments) ou vers des secteurs de haute technologie (télécommunications, médecine) dans la mesure où les salariés de l’aéronautique sont familiers des nouvelles technologies. Il s’agit aussi de sortir de la mono-industrie dans cette région et cela ne peut se faire que sous l’impulsion des citoyens, consommateurs, collectivités locales, ONG…

Enfin, le transport pouvant être considéré comme un bien commun, il s’agit de réformer la gouvernance des entreprises du secteur et les faire passer de simples entreprises commerciales au statut d’entreprises à mission (prévues par la loi Pacte), avec montée de l’État au capital et décisions et orientations prises en concertation avec les salariés, les usagers et les associations. Tout cela peut ressembler à un vœu pieu quelque peu utopiste, mais on ne peut plus se contenter de demi-mesures et la crise que subit actuellement le secteur peut servir de détonateur pour l’inviter à bifurquer.

On s’est certes opposé à la privatisation d’Aéroport de Paris et la pandémie nous a condamné à la sédentarité mais des voix s’élèvent toujours pour continuer comme avant. Que de tribunes, que d’expressions collectives, que d’appels dans les médias pour nous dire que rien ne sera plus comme avant. Plus jamais ça ! Le monde d’après ! Sauf qu’un peu plus d’un an après, très peu de choses ont changé avec retour au « business as usual » et aux fondamentaux. On a juste encore le droit de bosser et de consommer (et surtout de ne pas faire de vagues). C’est la fameux triptyque « travaille, consomme et ferme ta gueule ! » du slogans des gilets jaunes.

Il faudra aussi modifier en profondeur nos imaginaires. On a parlé de l’homo sovieticus, soit un individu formaté par un système politique totalitaire. On pourrait aussi parler d’homo capitalismus, avec un imaginaire dopé au marketing et à la publicité. Notre système dit libéral n’a pas fait que créer de graves dégâts sociaux et environnementaux, il a aussi façonné des imaginaires « olympiques », conditionnés par le toujours plus haut, toujours plus loin, plus fort et plus rapide. Rarement plus sensible ou plus intelligent. Il faudra donc aussi en rabattre sur notre besoin de partir et sur notre rapport au tourisme, repenser nos loisirs et, dans ce domaine aussi, relocaliser nos escapades et changer nos habitudes de déplacement, notre rapport au temps et à l’espace.

Tout cela prendra du temps, et la transition des mentalités comme celle de ce secteur industriel ne sont pas pour demain, en dépit de l’urgence. L’utopie ou la mort, disait René Dumont. Nous y sommes. Il n’y a souvent que contraints et forcés qu’on avance et ce moment souvent vécu douloureusement peut, doit être celui de la prise de conscience, avant d’être celui de l’action. Et ce qui est valable pour l’aéronautique l’est aussi pour presque tous les secteurs de l’activité humaine. Bref, du travail militant, de conviction, de désobéissance, de pédagogie, d’information en perspective.

Un dernier mot sur l’association NADA (Non à l’extension de l’aéroport de Lesquin Est) qui vient de se créer dans la région et dont les 3 comités Attac de la métropole sont partenaires. On en a déjà parlé dans un précédent article sur les GPII (Grands projets inutiles et imposés) mais l’opposition à ce qui constitue une aberration de plus – soit l’extension d’un aéroport alors que, on l’a vu, l’aérien se casse la gueule et pose problème – s’amplifie et se structure. D’autres associations (ANV COP21, Amis de la terre, Alternatiba, Extinction Rebellion, Greenpeace) sont de la partie et tout ce beau monde avait déjà organisé des actions de désobéissance civile pour protester contre cette monstrueuse excroissance d’un trafic aérien qui nous empoisonne (au sens propre) l’existence.

Un collectif bien parti pour faire chier le monde. Qu’il reçoive ici tous mes encouragements.

Pour aller plus loin, écouter l’émission Angle d’Attac sur Radio Campus (106.6) consacrée au sujet. Ce sera le samedi 17 avril entre 12 et 13h.

Sans oublier, le même jour, la journée contre la réintoxication du monde, avec de nombreuses actions prévues des collectifs cités plus haut, en lien avec la Confédération Paysanne.

16 mars 2021

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