Les critiques littéraires boudent John King, un auteur dont le style ne compte pas parmi les préoccupations principales. C’est quelqu’un qui ne prend pas de gants, qui écrit un peu comme on parle, sans trop se soucier de fioritures et de joliesses. De là à dire que King écrit avec ses pieds, il y a un gouffre. Son écriture simple et directe fuit les hyperboles, les fulgurances et les figures de style, l’essentiel allant au message, à la description d’un milieu, à la vie et aux rêves de celles et ceux qui l’habitent.
John King est né en 1960 à Slough, au sud de Londres, dans le comté du Berkshire. Tout a commencé pour lui par une trilogie avec, dans l’ordre, Football factory, La meute et Aux couleurs de l’Angleterre. Football Factory, paru en 1998, annonce la couleur : la geste et les opinions d’une bande de hooligans supporters du Chelsea FC avec évidemment des histoires de bastons, de bitures et de sexe. Ce qui sera un peu sa marque de fabrique. On peut taxer King de complaisance et d’une louche proximité avec les personnages qu’il décrit, mais il n’a jamais cherché à démentir, ne cachant rien d’une jeunesse passée dans les discothèques, les bistrots et les gradins des stades. Sauf que King a su réfléchir a posteriori sur sa jeunesse gâchée et qu’à force de sagesse et de compréhension, il est devenu un écrivain singulier doublé d’un sincère humaniste.
On a pu lui reprocher d’épouser les idées de ses personnages et de se complaire dans la phraséologie nationaliste et xénophobe. Il décrit une jeunesse déboussolée avec des parents meurtris par la guerre, une jeunesse à qui l’on ment et à qui on ne laisse d’autre choix que de devenir de dociles employés ou des ouvriers d’usine résignés, voire des chômeurs ou des délinquants. Il décrit toujours avec tendresse et sympathie ces pères fatigués et ces mères au bord de la crise de nerf qui luttent sans relâche pour élever leur progéniture.
King dit à longueur d’interviews qu’il a découvert la littérature avec des auteurs comme George Orwell ou Aldous Huxley, avant de dévorer Alan Sillitoe, écrivain populaire proche du mouvement des Angry young men dont les principaux romans, Samedi soir et dimanche matin et La solitude du coureur de fond, ont été adaptés à l’écran par Karel Reisz et Tony Richardson, soit, avec Richard Lester, les cinéastes les plus connus du Free cinema anglais. Sillitoe et Richard Allen, qui demeure son maître.
Sillitoe avait les mêmes préoccupations que King, la jeunesse de la classe ouvrière et ses efforts désespérés pour s’affranchir d’une destinée prévisible. Il écrivait aussi en témoin, pas en esthète, et n’était pas non plus un amateur de coquetteries littéraires.
D’Orwell, il retient le parti pris pour la classe ouvrière, contre la bourgeoisie libérale ou autoritaire, et se nourrit de la même passion pour la vérité ; une vérité de plus en plus masquée et contrefaite par les marchands, les médias et les agents du pouvoir qui ont tout intérêt à brouiller les cartes et à laisser le flou s’installer et les repères se brouiller.
Human punk et Skinheads, parus respectivement en 2003 et 2012, braquent les projecteurs sur ces deux mouvements de la jeunesse populaire si dissemblables en apparence. En apparence seulement, même si les punks s’attaquaient de front à l’establishment et vomissaient la culture officielle autant que les utopies hippies envolées dans l’éther. Ils étaient de farouches partisans d’un retour aux sources d’un rock’n’roll fruste et sincère, loin des impasses amphigouriques du rock progressif. Demandez à Johnny Rotten, né Lydon, comment il lui arrivait de faire le coup de poing dans les enceintes de Highbury Park, du temps où il supportait Arsenal. Comme Orwell, les punks étaient à la recherche de la vérité et plaçaient au-dessus de tout la sincérité, maudissant les artisans du faux, qu’ils soient politiciens, publicitaires ou spin doctors.
Dans Skinheads, King imagine un ancien skin parvenu à la cinquantaine et qui a ouvert une compagnie de taxis où il embauche tous les jeunes paumés ayant grandi comme lui dans la haine, la bagarre et l’alcool. Terry English, c’est son nom, réfléchit sur son passé et se remémore ces étés de la fin des années 60 où il est devenu un skinhead. Malade, il s’investit corps et âme dans la rénovation d’un bistrot qui a marqué son adolescence, là où le juke-box passait du rock steady et du ska : Desmond Dekker, Prince Buster, Jimmy Cliff ou Laurel Aitken. C’était bien avant le reggae, Bob Marley, les rastas et le retour en Afrique sous l’aile du dieu vivant Haïlé Sélassié. Non, une musique simple et carrée pour voyous. En dehors de ça, on pouvait sélectionner Slade, le groupe de Noddy Holder, ou Sweet et son « Ballroom Blitz ».
Là où les choses se gâtent, c’est quand King semble reprendre à son compte quelques couplets nationalistes, nostalgiques du Commonwealth et de la grandeur de l’Angleterre, et limite racistes, avec ces skins décrits comme de purs anglo-saxons au crâne parfait chassant Indiens, Pakistanais ou Jamaïcains, forcément dealers et mal intentionnés, dans des ratonnades qui s’apparentent presque à un jeu. Il s’en défend, au nom toujours de la réalité et de la vérité des faits, les excusant en faisant porter la responsabilité aux éducateurs, aux adultes et à la société, insistant sur la rédemption dont la plupart font preuve à l’âge adulte, admettant tous s’être trompés de colèretout en restant nostalgiques des soirs de match et des bitures entre copains qui dégénèrent.
On peut aussi se demander s’il reprend à son compte les professions de foi anti Union Européenne qui, certes pas exempte de toute critique, devient dans la bouche de ses personnages une sorte d’enfer destiné à contenir les aspirations légitimes à la domination du peuple britannique. Un peu inquiétant tant on ne perçoit pas trop la distance.
Pour King, les skins sont les continuateurs du mouvement mod, déjà nostalgique de la grandeur d’Albion, du Commonwealth et peu enclin à l’assimilation des minorités ethniques venus des quatre coins de l’empire. On se doit d’avouer qu’on ne partage pas cette vision des mods qui véhiculaient surtout une esthétique musicale et artistique tout en adulant le rhythm’n’blues et la soul music.
Mais King a eu 15 ans au milieu des années 70 et ses boussoles auront été David Bowie,Roxy Music et le Glam rock des Gary Glitter, Alvin Stardust et autres David Essex. Chacun ses vertiges.
Les grands moments de ses livres tournent toujours autour de ces bastons légendaires entre supporters londoniens. Les hooligans de Chelsea, de Tottenham, de West Ham ou d’Arsenal qui se détestent copieusement et s’affrontent dans les marges des stades, comme pour instaurer une compétition parallèle où on compte les blessés plutôt que les buts. On pense au superbe The death penalty (À mort l’arbitre) d’Alfred Draper, sorti en série noire.
Dans White Trash, dont on a déjà parlé ici, King conte l’histoire d’une infirmière, petite mère courage de la classe ouvrière anglaise, qui finit par engager une lutte à mort contre un mandarin, un grand bourgeois limite autiste et parangon du mondialisme libéral. Un roman efficace et lucide qui met bien à jour ce qu’on aime finalement chez John King, cet amour du peuple, de sa solidarité, de sa fraternité par-delà toutes les tendances de la société moderne qui vise à l’invisibiliser, à le culpabiliser et finalement à la détruire.
On ne connaît pas ses deux derniers romans, Prison house (2018) et le non traduit The liberal politics of Adolph Hitler (2016). Un titre déjà provocateur pour un auteur controversé. Mais on ne peut s’y tromper, il suffit de voir une photographie du gars pour deviner quelqu’un de gentil, ferme dans ses convictions mais pas du tout arrogant ou agressif comme le laisseraient penser certains passages de ses livres.
On ne peut en tout cas rester indifférents à son attention à la souffrance des classes populaires et à la bataille au quotidien qu’elles livrent pour leur survie, ne suscitant guère que la condescendance, dans le meilleur des cas, ou le mépris d’une bourgeoisie de plus en plus féroce et à l’aise dans un monde conçu pour elle.
Et puis, un homme qui aime à ce point Joe Strummer et les Clash ou Paul Weller et Jam – surtout leur « Down In The Tube Station At Midnight » – et qui ne récolte que la haine, l’indifférence ou le mépris de l’intelligentsia littéraire de son pays ne peut pas être vraiment mauvais.
Long live King ! Au bénéfice du doute.
16 mai 2021
Je ne connaissais pas. Merci.