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BIG JIM MORRISON: UN DEMI-SIÈCLE INCOGNITO

le logo du Rock’n’roll Circus, là où tout le monde croit naïvement que Big Jim est mort

Le 3 juillet 1971 mourait Jim Morrison, poète et chanteur des Doors. 50 ans aujourd’hui. Morrison aura été le quatrième du club des 27, après Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin et bien avant Kurt Cobain. L’une des plus grandes voix du rock, compositeur inspiré et génie poétique, il avait aussi un physique de théâtre et était l’incarnation de la pop star, jusqu’à la caricature. Bref, Rimbaud et Elvis Presley dans la même culotte, ou peu s’en faut. Et si Jim Morrison n’était pas mort ? Conspirationniste un jour…

L’action se passait à l’été 1971 et Big Jim était attablé au Rock’n’roll Circus en compagnie de Marianne Faithfull. Sam Bernett, ci-devant propriétaire du Gibus, les couvait du regard. Bernett avait été le manager de Johnny Hallyday et avait ensuite animé des émissions de variété sur les stations périphériques avant d’ouvrir des clubs à Paris comme La Locomotive, le Bus Palladium ou le Gibus, justement. Des clubs où la jeunesse des années 60 pouvait s’éclater au son de la musique pop.

Bernett s’était joint au couple et il écoutait les lamentations de Morrison qui regrettait amèrement sa vie de pop star. Il en avait plus que marre des fans, des maisons de disque, des groupies et des managers qui lui suçaient le sang. Obèse et barbu, il n’avait plus du tout l’air de l’éphèbe chevelu en pantalon de cuir dont rêvaient toutes les filles. Il buvait des cercles et des tonneaux et ne crachait pas non plus sur l’héroïne quand l’occasion s’y prêtait. Justement, son dealer était présent au Circus et Marianne et lui s’étaient absentés un moment pour se piquer.

À peine revenus à leur table, Bernett les informait qu’il avait fait une triste découverte dans les toilettes de l’établissement. Un jeune homme barbu et chevelu trouvé la tête dans le lavabo l’aiguille encore dans le bras. Mort par overdose. Jim ne se formalisa pas trop de la nouvelle qui avait mis Bernett en ébullition. Il sourit à Marianne d’un air entendu et prit le propriétaire à part, lui demandant de le suivre aux toilettes.

La proposition avait stupéfié Bernett. Il s’agissait de faire croire à la mort accidentelle de Jim, le junky trouvé dans les WC servant de cadavre aux fins de certifier le décès. On mettrait ses papiers dans les poches du malheureux et le tour serait joué. Juste avant des investigations éventuelles, Morrison serait loin, parti incognito dans le premier avion en partance pour les États-Unis. Direction donc Roissy dans un taxi garé à République. Seul Bernett et la belle Marianne seraient dans la confidence et ils avaient promis de garder le silence.

Sitôt Morrison parti, des videurs, sur ordre de Bernett, s’emparèrent du corps du mort et le placèrent dans le coffre d’une voiture qui mit le cap sur les appartements parisiens de Jim, ou plutôt ceux de Pamela Courson, sa compagne. Ils sonnèrent à sa porte et, personne ne venant ouvrir, ils ouvrirent la serrure avec un passe et placèrent le corps au fond de la baignoire. Ils ouvrirent les robinets et patientèrent ensuite jusqu’à ce que l’eau recouvre la totalité du visage du pseudo Morrison. Ils rentrèrent au petit matin en rendant des comptes à leur patron sur l’air de « tout s’est bien passé, Sam ! ». La nouvelle se répandit qu’on avait trouvé le corps de Jim Morrison, le chanteur des Doors, noyé dans sa salle de bains, après, d’après les premières constatations, une prise de produits toxiques. La police était sur les lieux et une enquête allait être ouverte. La dépouille mortelle allait reposer pour l’éternité au Père-Lachaise, comme chacun sait.

L’AFP avait diffusé la triste nouvelle, reprise par tous les quotidiens et les magazines rock en étaient à se demander si cette tragique disparition n’était pas justifiable d’un numéro spécial. Extra !

Big Jim était arrivé à l’aéroport de Los Angeles. Sa première pensée était pour les membres de son groupe : Ray Manczarek, Robbie Krieger et John Densmore. Puis il imagina la tête de Jac Holzman, de Mark Abramson, de Bruce Botnick et de tout le staff des disques Elektra. Il aurait tant voulu les voir afficher, ces hypocrites, des gueules bouffies pleines de larmes qui hoquetaient de sanglots. Même ses copains des Doors, il n’était pas sûr de la sincérité de leur chagrin. Il s’était tant de fois engueulé avec eux et les avait tant de fois humiliés qu’il ne serait pas plus étonné s’ils voyaient sa mort comme un soulagement.

Il fallait maintenant jouer fin et disparaître sans laisser de traces. Il connaissait Marlon Brando pour l’avoir croisé quelques fois, à Hollywood, et c’était l’occasion de lui demander un signalé service. Brando l’invita donc à séjourner incognito sur son îlot du Pacifique, histoire d’attendre que la tension retombe. Big Jim ne pouvait s’empêcher de rire en pensant à cette sorte d’Atlantide où, selon la légende, vivaient loin des foules les rockers morts, Hendrix, Eddie Cochran ou Gene Vincent. Dans son cas, le mythe était presque réalité. Il prit un malin plaisir à lire les nécrologies qui lui étaient consacrées et, plus tard, dévora les biographies sorties sur lui, celles de Hervé Muller (qu’il se fit traduire), Geoffrey Cannon ou de Jerry Hopkins en particulier. Il faillit quitter l’île et vendre la mèche pour aller une fois de plus injurier ses ex partenaires qui avaient osé sortir d’autres disques sous le nom des Doors, mais Brando l’en dissuada comme il le retint d’intervenir quand des albums de démos sortirent, signés des Doors, sans même que l’on entende sa voix.

Il quitta l’îlot en 1976 pour retrouver Marianne Faithfull à Londres et, en pleine période punk, il avait pris soin de se raser la tête et d’arborer épingles à nourrice et lames de rasoir. Il alla même jusqu’à participer à une audition des premiers Sex Pistols, mais Malcolm Mc Laren lui fit comprendre qu’il avait une trop belle voix pour son groupe. Las, il revint aux États-Unis, à New York pour écrire, sous pseudonyme, quelques articles sur les groupes du CBGB et du Max’s Kansas City. Il signait sous le nom de James Douglas, et seule Patti Smith vint lui demander un jour s’il avait choisi par hasard les prénoms de Jim Morrison.

Dans les années 80, Morrison passa par San Francisco où, à cours d’argent, il se fit embaucher comme serveur dans la librairie de Lawrence Ferlinghetti, City Lights. Il lui proposa ses derniers poèmes, mais le poète Beat les jugea médiocres, ce qu’il ne supporta pas. Il quitta l’établissement juste après l’affront et, après qu’il eût avoué à son patron qu’il était le vrai Jim Morrison, celui-ci appela un médecin qui diagnostiqua une psychose évolutive et le plaça en hôpital psychiatrique. Là, il en vint à se prendre pour le Mc Murphy de Vol au-dessus d’un nid de coucous, imitant Jack Nicholson dans le film de Milos Forman jusqu’à provoquer une saine révolte des pensionnaires qui faussèrent compagnie à leurs gardiens.

Morrison alla trouver refuge dans la secte de Philip K. Dick, qui l’accueillit chaleureusement et fut le seul à croire qu’il était vraiment l’ex chanteur des Doors. C’était juste une question d’espace – temps mal réglé et, de toute façon, la mort n’existait que dans le cerveau des straights.

Il retourna à Hollywood, longtemps après, pour apprendre qu’un cinéaste du nom de Oliver Stone allait tourner un biopic sur lui. Il se présenta à l’équipe de tournage, révélant sa vraie identité, ce qui eut pour effet de le faire interner à nouveau. Il commençait à en avoir l’habitude.

Il sortit au bout de quelques semaines et après avoir convaincu les médecins qu’il s’agissait à nouveau d’une bouffée délirante et qu’il se nommait en fait Yves-Patrick Eudes-Adrilien, du nom du mort du Rock’n’roll Circus dont il avait gardé les papiers. Quand je pense que tout le monde me croit mort depuis 20 ans, ricana-t-il in petto avant de quitter une seconde fois l’établissement.

Une seconde fois, car il n’y en eut pas de troisième. Assagi et bien décidé à ne plus rien révéler de son identité passée, Jim s’associa avec un vieil écrivain alcoolique du nom de Charles Bukowski pour ouvrir un Hard-rock Café en franchise. Ils buvaient tous les deux comme des trous et les gens accouraient du monde entier pour voir l’illustre écrivain se poivrer méthodiquement derrière le comptoir. Morrison prit ombrage de la célébrité de son associé et il décida de rebaptiser l’établissement Morrison Hotel, ce qui ne laissa pas d’intriguer.

L’association prit fin quand Morrison avoua à Bukowski qu’il était l’ex chanteur des Doors, ce à quoi Bukowski répondit, goguenard, qu’il était en fait la reine d’Angleterre. L’humiliation fut trop forte et Morrison décida d’empoisonner Bukowski en versant de la strychnine dans sa chope de Budweiser, ce qu’une autopsie hâtive ne révéla pas.

On était déjà en 1994 et Morrison venait juste d’avoir 50 ans. Il traîna encore un moment dans la baie et ouvrit un établissement dont la raison sociale, L.A Women, ne cachait rien de la nature vénale. En proxénète, Big Jim, rebaptisé John Lee Pimp pour la circonstance, ne fit pas fortune mais put satisfaire à toutes ses perversions. Il ferma la boutique à l’âge de la retraite et alla se placer de lui-même à la maison de retraite des anciens étudiants de l’UCLA.

Il fit un dernier voyage en Europe, à Paris, pour se recueillir avec volupté sur sa propre tombe, au Père-Lachaise.

Maintenant, à 77 ans, l’âge où on n’a même plus le droit de lire Tintin, Jim passe le plus clair de son temps à attendre le soleil tout au long des jours étranges d’une parade molle dont il attend patiemment la fin. Toujours vivant, absolument vivant !

17 juin 2021

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