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T.V EYE

Programme de Bouton rouge (février 1968) découpé dans un vieux Télé 7 jours (site Gonzaï).

Après la presse spécialisée et la radio, passons à la télé pour un dernier passage en revue. Le rock a mis longtemps à avoir une fenêtre à la télévision française. D’Albert Raisner, qu’on peut considérer comme le pionnier, jusqu’aux chaînes spécialisées actuelles, un petit tour – nostalgique comme toujours – sur ces étranges lucarnes qui parfois nous montraient et nous faisaient entendre nos pop stars favorites. Lors, nos yeux ne faisaient plus qu’un avec l’image renvoyée par l’écran de notre téléviseur. « Got a T.V eye on you !», comme hurlait Iggy Pop.

Tout commence à l’automne 1963 avec l’harmoniciste du trio Raisner, Albert de son prénom. Les émissions, dans le droit fil de Salut les copains (le magazine et l’émission de radio), sont enregistrées au Moulin de la galette et des jeunes gens des deux sexes entourent l’animateur et ses invités dans une sorte de petit cirque où la piste accueille les étoiles. Des chanteurs et chanteuses yéyé pour la plupart, et parfois quelques bonnes surprises avec des actualités venues de Londres où on peut voir les Beatles à leur descente d’hélicoptère ou les Rolling Stones hystérisant les petites filles. Entre chaque séquence, Albert Raisner nous joue un petit air d’harmonica et tout le monde est content. Rien de bien méchant cela dit, c’est encore l’ORTF et le ministre de l’information, parfois alerté par Mme Yvonne De Gaulle, veille. C’est Âge tendre et tête de bois, d’après le titre d’une chanson de Bécaud, qui va durer jusqu’en 1966, jusqu’au crépuscule des idoles yéyé.

En 1967, on aura aussi dans le genre Rosko, le président, dans une émission qui se veut plus résolument rock, Start, présentée avec Annick Beauchamp. Elle sera remplacée par Drucker et son lamentable Tilt, sur ordre de tante Yvonne que les harangues et la vantardise de l’américain indisposaient.

À la même époque, on a aussi Dim Dam Dom, de Daisy de Galard (la femme d’Hector, directeur du Nouvel Observateur), toujours sur la deuxième chaîne. Pas vraiment rock, mais on peut y voir quand même les Who en studio enregistrer leur « Pictures Of Lily » ou encore les Bee Gees dans les rues de Londres chantant leur « Holiday ». Pas si mal.

Toujours sur l’ORTF, c’est Pierre Lattès qui prend la suite avec Bouton rouge. La première a lieu à l’automne 1966 et n’a guère de points communs avec Âge tendre, et Lattès n’est pas Raisner. Plutôt un intello passionné de son et de jazz. Son émission est produite par les directeurs des programmes de l’époque, André Harris et Alain de Sédouy, et on peut y voir, la première année, les Yardbirds, le Jefferson Airplane ou Ronnie Bird mis en scène par Philippe Garrel. La deuxième saison sera encore plus riche, avec Pink Floyd, Soft Machine, Julie Driscoll et Brian Auger, John Mayall, Zappa ou Beefheart, d’autant que Lattès n’hésite pas à convoquer des vieux bluesmen de passage à Paris, comme Champion Jack Dupree ou T. Bone Walker. La formule est simple : un groupe en studio, pas de spectateurs et Lattès qui triture ses consoles et manipule la table de mixage. Il sera aussi producteur, notamment pour le Gong de David Allen (Camembert électrique), et devra mettre un terme à son émission en Mai 1968, après un coup de torchon sur la télévision donné par une nouvelle direction aux ordres (de Peyrefitte).

Dans le même genre, on aura Forum Musiques qui prendra la suite, sur la même chaîne, en octobre 1968. Cette fois ils sont deux : Philippe Koechlin, rédacteur en chef de Rock & Folk, et Philippe Paringaux, le rock-critique qui monte du même journal. Comme Lattès, les deux amis adorent Pink Floyd et Zappa qu’ils invitent, mais ils font aussi place au Blues Boom (Ten Years After, Fleetwood Mac ou Chicken Chack), avec un certain goût pour la variété pop d’un Polnareff ou d’un Dutronc.

Philippe Koechlin, cofondateur de Rock & Folk, présentera seul Tous en scène, une émission sur la deuxième chaîne, à la fin des années 1960, avec pas mal de variétés françaises mais aussi des groupes de rock, dont Led Zeppelin, en 1969, dont ce fut la première apparition en France. La direction sifflera la fin de la récréation lorsqu’un invité sur le plateau fera une blague vaseuse sur la religion le jour de Pâques 1970. On ne rit pas (pas encore) avec ça à la télévision et l’église est encore puissante avec ses relais de bigotes et de pères la pudeur. Le pauvre Koechlin (et Maurice Dumay le producteur) sont mis à l’index et leur sympathique émission doit plier les gaules.

Patrice Blanc-Francard (dit aussi Franc-Ringard ou Blanc-Canard) n’a pas attendu les démêlés de Koechlin avec la calotte pour présenter les premiers numéros de Pop 2, à l’automne 1969, là aussi sur la deuxième chaîne. L’émission est produite par Claude Ventura et Maurice Dumay (encore lui) et on peut y voir un Blanc-Francard nonchalant présenter ses invités d’une voix traînante, l’air un peu endormi. Il est affublé d’un bonnet vissé sur sa longue chevelure et de lunettes de premier de la classe. On se demande toujours, à le voir, si l’herbe n’était pas un peu trop forte.

On commence par les actualités où on peut voir le meilleur du rock de l’époque : les Beatles, ensemble ou séparés, les Rolling Stones, les Kinks, les Who, Dylan et quelques escapades en Californie. Sur le plateau, on peut voir successivement tous les groupes du rock progressif (Pink Floyd, Soft Machine, Zappa, Beefheart), mais aussi du rock plus grand public, à commencer par Led Zeppelin, Procol Harum, les Byrds, Rod Stewart et les Faces, Jethro Tull ou les Pretty Things (souvent filmés à la Taverne de l’Olympia). La revue de presse est un grand moment, ainsi que l’interview, surtout quand Blanc-Francard se fait vertement tancer par un Captain Beefheart ombrageux qui trouve ses questions intrusives : « are you from the CIA ? ». Le grand moment de Pop 2 sera ce concert du Velvet Underground (ou plutôt Lou Reed, John Cale et Nico) au Bataclan en 1972, suivi des interviews de Yves Adrien, Jean-Pierre Lentin et Paul Alessandrini. Pop 2 prendra fin dans le chaos sonore (sonique?) et la confusion pour un dernier numéro, en janvier 1973, consacré au MC5 en concert au Bataclan. Les Hell’s angels parisiens envahissent la scène, le public vocifère contre eux, la police tape dans le tas et le groupe semble s’en foutre royalement, attendant patiemment son cachet pour se procurer sa dose d’héroïne. Triste, pour un groupe étincelant qui vit là ses dernières heures. C’en est fini de Pop 2 et des présentations hilarantes de Blanc-Francard sortant parfois d’un wagon désaffecté, d’une bouche de métro ou d’une décharge publique. De n’importe où autant dire, mais son émission n’était pas n’importe quoi. « Salut, c’est Pop 2 », comme il disait en introduction.

On retrouve Pierre Lattès pour Rockenstock, sur la première chaîne, qui ne deviendra TF1 qu’en janvier 1975. On est ici en 1973, soit juste au moment de l’arrêt définitif de Pop 2. L’heure est au rock décadent et au Hard-rock, et Lattès fait venir Bowie, Mott The Hoople, Roxy Music, les New York Dolls côté Glam rock, plus Led Zep, Deep Purple, Black Sabbath ou Grand Funk côté hard. L’émission est sobre et Lattès se montre rarement, préférant s’effacer devant ses invités. En éternel amateur de jazz, il fait aussi bonne place au rock progressif et symphonique, avec Yes, ELP, Genesis ou Van Der Graaf Generator, sans oublier l’école de Canterbury (soit les fils de la machine molle) et le jazz-rock avec Mc Laughlin, Weather Report, Corryel, Correa, Jarrett et consorts.

Son concurrent de l’époque n’est plus sur la deuxième chaîne, mais sur la troisième. Un dénommé Arnaud Leys, inconnu au bataillon, qui propose dans son émission Melody des concerts d’une durée quasiment complète, et on se souvient en particulier d’une bonne heure consacrée à King Crimson période Starless et d’une autre avec Robert Wyatt période Rock bottom. Un grand bonheur.

Antenne 2 est lancée en janvier 1975 et Jacques Chancel et Marcel Julian ont mitonné la grille des programmes durant l’été 1974. Michel Lancelot est préposé aux variétés, comme on dit encore à l’époque, et il fait venir un ancien cameraman de 5 Colonnes à la une, Freddy Hausser, pour Juke-box, une émission consacrée au rock qui ne laissera pas un souvenir impérissable.

Toujours sur Antenne 2, Antoine de Caunes fera Chorus sans rien de notable non plus, sauf que son émission préfigure les Rapido et autres Enfants du rock dont il sera la cheville ouvrière. De Caunes adore Springsteen, nul ne l’ignore, et il nous régale de Punk-rock et de New wave avec ses favoris, Elvis Costello, les Ramones, Talking Heads ou Clash. On est quand même preneurs.

Venons-en justement à ces Enfants du rock, émission produite par Pierre Lescure avec Patrice Blanc-Francard et filmée par Don Kent. C’est d’abord Bernard Lenoir qui, dans Rockline, nous donne des nouvelles de Londres, puis viennent les actualités et le concert présentés par De Caunes (Houba Houba) avant le Sex machine des compères Manœuvre et Dionnet et, en fin de programme, un baisser de rideau avant-gardiste (Haute tension) consacré déjà à l’Electro et à la vidéo. Le tout entre 21h et minuit tous les samedis soirs. Le rock est maintenant jugé d’intérêt public.

Et c’est précisément là où ça se corse. Avec l’arrivée de MTV et des chaînes spécialisées, tout est devenu rock ou plutôt, plus rien ne l’est. Le rock a perdu tout pouvoir subversif. On peut maintenant voir aussi bien Madonna que Michael Jackson ou Prince avec les hardos californiens de Van Halen ou les rappeurs de Public Enemy, le tout présenté par des bateleurs qui se mettent en avant et dont la modestie n’est pas le fait. Il faut avoir de l’estomac pour apprécier tout ce chambard et on préfère écouter des disques. D’autant que la radio n’est pas plus intéressante (voir article précédent).

Ce seront ensuite les robinets à clips sur le modèle MTV et les chaînes spécialisées dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « culture pop », Canal Jimmy et autres. Même si Canal + (je veux parler du Canal « impertinent » des Lescure et De Greef, pas de celui du triste Bolloré) de son côté et surtout Arte entretiennent la flamme. Arte surtout, avec les émissions de Olivier Cachin ou de Martin Messonnier dans les années 1990, sans parler des biographies du samedi soir consacrées aux légendes de la pop et du rock, lesquelles font hélas trop souvent place aux commentaires et interviews des « hommes qui ont vu l’ours » au détriment des documents d’archives et des concerts d’époque. Mais l’intention y est.

Voilà, encore une fois, on aura sûrement oublié des choses par ci par là, mais l’essentiel y est. Là où le rock a tout de suite eu droit de cité à la télévision dans les pays anglo-saxons avec les émissions de la BBC et de Granada TV et plus tard de Channel 4 telles Ready steady go !, Thank you lucky star et Top of the pops, ou les shows télévisés américains de Ed Sullivan et des deux Dick (Cavett et Carson), le rock en France a toujours dû passer par la petite porte, souvent à des heures indues pour un public exigeant, tout le contraire de ce qu’on peut encore voir maintenant sous l’étiquette pop.

Et terminons avec cette citation de Ian Hunter et Mott The Hoople, fichu combo londonien de haute mémoire : « I get T. Rex when I need TV ». « All the young dudes carry the news …» (air connu).

2 novembre 2021

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