On cause pas beaucoup cinéma dans ce blog. Rappelons qu’il était à l’origine consacré au rock, au football, à la littérature et au social (devenu de plus en plus politique au fil du temps). Mais on a déjà parlé d’expos, de presse ou de théâtre. Alors pourquoi pas ?
À ma droite, Gérard Gropardieu, comme on dit à Groland, colossal acteur qui tient un film – Robuste – grâce à son corps, à sa présence et à l’émotion qu’il dégage. À ma gauche, Bouli Lanners, le Belge qu’on aime bien, que ce soit l’acteur ou le réalisateur. L’un et l’autre humains, attendrissants et sensibles. De Lanners, L’ombre d’un mensonge qui est son cinquième long métrage, et on avait déjà pu apprécier de lui Eldorado ou Les Géants.
Bouli Lanners futur Depardieu ? On ne lui souhaite pas !
ROBUSTE de Constance MEYER, avec Gérard DEPARDIEU et Déborah LUKUMUENA.
D’abord l’histoire brossée à gros traits, et on est sûrs de ne pas « spoiler » le film tant il ne s’y passe pas grand-chose du point de vue du scénario, ce qui n’est pas sans provoquer parfois un ennui diffus. Une star de cinéma vieillissante appelée Georges (on devine qui ça peut être), vit seul et dépassé par le monde qui l’entoure. Il s’empiffre à longueur de journées et, la nuit, il souffre d’insomnies et de crises de tachycardie. Son garde du corps, factotum, secrétaire et bien d’autres choses, Lalou, doit le quitter quelques semaines pour aller dans son pays enterrer son père. Incapable de rester seul, l’acteur demande à son agent de lui trouver un remplaçant. Ce sera une remplaçante, une championne de lutte spécialiste de la sécurité (des individus et des périmètres), en surpoids elle aussi.
L’idée du film, ou plutôt la fausse bonne idée de la réalisatrice (dont c’est le premier film) est de saisir tout l’intérêt de cette rencontre de deux univers a priori étrangers l’un à l’autre. Aïssa (la remplaçante) est une sportive, une fonceuse, une force de la nature peu encline aux états d’âme et à l’auto-apitoiement. Son amant, ou son « boyfriend » plutôt, a l’air d’un type assez léger qui l’aime à sa façon et l’une des scènes les plus intéressantes du film est l’intrusion de Georges dans un restaurant chinois où Aïssa dîne avec son petit ami ; l’acteur débarquant là comme un chien dans un jeu de quilles et obligeant celui-ci à avouer qu’il n’aime pas vraiment cette femme.
Beaucoup de scènes semblent facultatives, notamment ces combats de lutte et ces séances d’entraînement qui ne visent qu’à mettre en évidence l’amitié entre Aïssa et une jeune sportive aussi ténue et fine qu’elle est forte et massive. Plus les sempiternelles fugues d’un acteur qui s’ennuie ; un ennui profond qui crève l’écran. Hélas.
Le grand mérite du film est de nous proposer le portrait touchant d’un acteur vieillissant, malheureux et complètement largué. Un grand gosse (un gros gosse plutôt), un gamin perdu qui transpire, qui halète, qui souffle, qui souffre. Il loupe ses rendez-vous, rate des tournages (ce qui lui vaut des procès avec dommages et intérêts), manque à ses obligations. Il veut juste qu’on lui foute la paix ou – variante – qu’on le laisser crever. Seule la cuisine et la bouffe ne sont pas négligées, pas plus que ses fugues nocturnes où il part se saouler dans tous les troquets de passage. Et sa moto qui lui vaut des accidents, et des agressions. Et sa piscine où il s’ébroue comme un hippopotame. Une sorte de débâcle à la fois physique et mentale, avec parfois quelques fulgurances poétiques dont il est encore capable, comme des éclairs fugaces dans un ciel de plomb.
On a beau savoir les pires choses sur lui, son exil fiscal, ses propos de café du commerce, sa grande gueule qu’il ferait bien de fermer, ses côtés voyou et brute épaisse, ses relations contestables et ses admirations indéfendables (suivez mon regard) ; on ne peut s’empêcher de l’aimer le gros Gérard (puisque aussi bien c’est lui, autant le nommer une bonne fois pour toutes).
L’intérêt du film, si on veut bien lui en trouver un, c’est cette cohabitation des corps, car son corps à elle est aussi problématique : peu féminin, hors norme, difficile, en dehors des canons de la beauté. Deux corps qui d’abord s’évitent, se flairent, se reniflent pour finalement s’apprivoiser, intégrer leurs volumes, s’épauler, s’apprécier, lui apprenant d’elle et elle apprenant de lui. Il en fait sa baby-sitter, sa nurse et sa petite sœur, voire sa mère.
La dernière scène est, comme attendu, une scène de tournage dans un château avec un dialogue amoureux entre l’acteur et une jeune femme qui lui donne la réplique. Là, on voit Depardieu, son gros bide, ses bajoues, son gros pif et ses jambes éléphantesques qui devient un être de grâce et de poésie. Quand la bête souffrante et écumante se fait homme, acteur émouvant, sensible et terriblement humain. Car c’est aussi ça Depardieu. Une institution branlante mais un monument du cinéma français quand il daigne se tenir debout.
Quant au film, sa vision est dispensable, malgré de bons moments.
L’OMBRE D’UN MENSONGE de Bouli LANNERS, avec Bouli LANNERS, Michele FAIRLEY – Clovis CORNILLAC…
L’île de Lewis, une petite île écossaise, pas très loin d’Inverness. Au Nord de l’Écosse ou au sud de nulle part, comme on veut. Phil, le personnage principal incarné par Bouli Lanners, travaille dans une ferme à poser des piquets et à réparer des clôtures avec le petit-fils du propriétaire ; de temps en temps, il sort le cadavre d’un mouton qui s’est noyé. On apprend par la suite que Phil est Belge et qu’il s’est enfui de chez ses parents à la suite d’une ultime dispute avec son père. Il a décidé de s’installer sur cette île dont il a entendu parler ; cette île battue par les vents et par la pluie et qui est pour lui synonyme de terre vierge, de terra incognita, de nouveau départ, de liberté.
Les premières images nous font penser aux romans de Michel Déon ayant pour cadre l’Irlande. La pluie, le vent, l’église, le révérend, le patriarche gentleman-farmer, son fils, son petit-fils et sa fille Emily. Sa fille incarnée par la mystérieuse Michele Fairley, une actrice irlandaise qu’on a pu voir dans des séries comme Games of throne ou 24 heures chrono. Un visage taillé à coups de serpe, pommettes saillantes et regard d’oiseau de proie. Une beauté sombre, difficile. Elle s’habille en noir, chapeau compris, pour assister aux offices protestants et tient le rôle de maîtresse de maison à la ferme. Les gens du village l’appellent « le glaçon » pour une réserve qui tient de la froideur.
Phil est victime d’un AVC et s’est effondré sur la plage, comme un animal marin rejeté par la vague. On apprend longtemps après que c’est son deuxième et qu’il en avait déjà fait un en Belgique. Emily se signale à l’hôpital d’Inverness comme étant sa référente et elle servira de chauffeur à un Phil devenu amnésique. Il reprend son boulot et ses habitudes, sauf qu’il a hérité d’un chien dont il n’a aucun souvenir et, surtout, qu’il a maintenant une femme qui veille sur lui. Il n’en garde le souvenir que de la fille de son patron, pas très bienveillante naguère à son égard, pas spécialement chaleureuse envers lui.
C’est là qu’intervient cette ombre d’un mensonge dont on ne dira rien de plus, sous peine de dévoiler une intrigue subtile et pleine de mystère. Ajoutons que le frère de Phil, Benoît, rapplique de sa Belgique natale pour inciter son frère à repartir avec lui. C’est Clovis Cornillac qu’on apprécie moyennement mais qui est ici convaincant. Des frères ennemis, en conflit ouvert et n’ayant pas eu le même rapport avec un père autoritaire et taiseux.
Au fond, une putain d’histoire d’amour ! Émouvante et tendre, à l’image du réalisateur qui trimballe sa carcasse couverte de tatouages comme une âme en peine, un cœur en exil. Lanners a un côté Pierrot lunaire en même temps qu’animal, grosse boule de chair velue qui appelle l’affection. C’est un tendre et ça se voit, un hyper-sensible sous des dehors bourrus, un nounours triste et inconsolable. Son cinéma est comme lui, affectif et sans apprêt, fraternel, délicat et pudique.
Les images sont superbes et une mélancolie poisseuse s’en dégage avec la mer gris-bleue, les nuages sombres et bas, les verts pâturages, les falaises abruptes et les moutons blancs. On entend presque chanter Ferrat : « raconte-moi la mer, dis-moi le goût des algues / et le bleu et le vert qui dansent sur les vagues ». Air connu.
Il ne se passe pas grand-chose non plus sur l’écran et les péripéties sont rares mais, là où on peut le déplorer pour Robuste, on en est presque à s’en féliciter pour L’ombre d’un mensonge, avec une sorte de grâce qui plane tout du long d’un film nous laissant à la fin au bord des larmes.
Merci pour tout, « Wooly » Bouli !
La version anglaise du film a pour titre Nobody has to know, titre encore plus explicite.
6 avril 2022
Excellent Didier. Tu devrais contacter toutes les publications qui ont des critiques de nouveaux films et leur proposer celles-ci comme exemples de ce que tu peux faire pour eux avec les films qui sortent, et devenir ainsi un critique officiel de cinéma.
Et que dit-on de Depardieu à l’aune des derniers développements ?