PRÉSIDENTIELLES 3 / LES SURPRISES DU CHEF (D’ÉTAT) part. 2

Troisième volet de la série sur les Présidentielles et deuxième partie des surprises, notamment quant aux vagues sondagières en regard des résultats réels. On terminera sur un article plus sur le fond entre les deux tours sous le titre « ils en ont parlé !». Après tout, à ce stade, on n’a pas une vocation d’influenceur et on s’en voudrait de vouloir prescrire « le bon choix », comme disait Giscard. On se reporte donc en 1995 pour la première victoire de Chirac.

En 1995, la surprise vient de l’élimination au premier tour d’Édouard Balladur. Toute la droite libérale et les milieux d’affaire, avec TF1 en caisse de résonance, le soutenaient et le préféraient à un Chirac jugé instable et versatile, surtout après ses déclarations emphatiques sur la fracture sociale, en référence à un livre d’Emmanuel Todd. Chirac socialiste ? Ou du moins travailliste après avoir été souverainiste, néo-conservateur et ultra-libéral ? Cette bonne blague, mais on ne va plus rire longtemps.

Pour ce qui est du duel à droite Chirac – Balladur, en juillet 1994, les sondages donnent Balladur à 60 % et Chirac à 40. Le premier ministre de cohabitation de Mitterrand se sent pousser des ailes et peut annoncer sa candidature, trahissant ainsi son « ami de 30 ans ». Le cave se rebiffe et Chirac tire la gueule. En avril 1995, le rapport s’est inversé et Balladur est à son tour donné à 41 % quand son ex ami en est à 59. Dans tous les cas de figure, Balladur et Chirac battent largement Jospin, rescapé des congrès sanglants d’un Parti Socialiste qui s’est rétamé aux législatives de 1993 comme aux Européennes de 1994. Le roi François n’était plus candidat. Balladur est même celui qui creuse le plus l’écart. Jacques Delors, un temps pressenti pour éviter une défaite annoncée à la gauche, a finalement renoncé.

Au premier tour, la surprise est que Balladur est éliminé avec 18,50 %. La gauche reprend espoir, d’autant que Jospin est passé en tête avec 23 % quand Chirac est à 21. D’autant plus qu’il y a de la réserve à gauche avec la nouvelle figure du PCF, Robert Hue (près de 9%), Arlette Laguiller avec un honorable 5,30 % (des bourgeoises du XVI° avouent en gloussant avoir voté pour elle) et Dominique Voynet à 3,30. Mais Le Pen est à 15 % et De Villiers à 5. Les plus optimistes croient encore à un vote révolutionnaire des Balladuriens mais il n’en est rien. Sa suffisance lâche le fameux « Je vous demande d’arrêter » mais soutient Chirac sans ambiguïté.

Chirac qui l’emporte, mais ni les doigts dans le nez, ni dans un fauteuil : 52,60 contre 47,30 pour Jospin qui prend date pour l’avenir. Mal lui en prend, on le verra. Deux ans plus tard et sous l’influence de ses « spin doctors », Chirac dissout l’Assemblée nationale où sa majorité est selon lui insuffisante, pour donner à sa politique « un nouvel élan ». La droite est battue et la gauche plurielle peut gouverner pendant 5 ans. Ce qui s’appelle se tirer une balle dans le pied ou marquer contre son camp. Il se dit que Chirac ne voulait pas vraiment gouverner. Il adorait se faire élire, mais les dossiers lui faisaient mal à la tête.

2002 est l’élection qui aura le plus déjoué les pronostics, et pas dans le bon sens. Il y a pléthore de candidatures à gauche, chaque famille, chaque chapelle s’étant sentie obligée d’investir son candidat. 16 candidat-e-s au total, record battu.

À gauche, on a le Lambertiste Daniel Gluckstein, Olivier Besancenot pour la Ligue et Arlette Laguiller pour L.O. La famille trotskiste au grand complet. On a Noël Mamère, candidat des Verts et Corinne Lepage pour l’écologie modérée. On a Chevènement pour les « Républicains des deux rive s ». On a toujours Robert Hue pour le PCF et, enfin, Christine Taubira pour la famille radicale.

À droite, moins de candidats et, parmi eux, Boutin, Mégret et Madelin qui se ramassent avec des scores entre 1 à 4 %. Il n’en va pas de même pour la gauche avec Chevènement, Mamère et Laguiller au-dessus de 5 % et Jospin qui finit troisième derrière Chirac à 20 et Le Pen à 17. Seul Bayrou est à 7 %. Jospin, lui, fait 16 % et abandonne la politique en direct, le soir du premier tour. Au second, sans surprise, Chirac, même « vieilli, usé et fatigué » (dixit Jospin), l’emporte haut la main, la gauche ayant massivement voté pour lui.

On se souvient que début avril, les courbes avaient tendance à se rapprocher entre un Jospin en baisse et un Le Pen en hausse. L’affaire Papy Voise, un petit vieux douteux agressé à son domicile par des « sauvageons », a fait le reste dans une élection où le social (« l’État ne peut pas tout », « mon programme n’est pas socialiste ») a laissé la place à l’insécurité.

La famille libérale rafle la mise avec Raffarin (dont le parti du même nom représente les 4 % de Madelin) nommé premier ministre, de sinistre mémoire. On crée l’UMP dans la foulée pour dépasser les clivages à droite où on se promet un long règne « si on ne fait pas trop de conneries ». C’est bien là qu’est le problème.

Chirac et Jospin ont promu le quinquennat et c’est donc 5 ans plus tard, en 2007, qu’ont lieu les Présidentielle. Chirac se retire sur son Aventin après deux mandats. Pour le reste, on prend les mêmes : Le Pen, De Villiers, Bayrou, Voynet, Besancenot et Laguiller (de droite à gauche). Mais on a aussi des petits nouveaux : Sarkozy en candidat naturel de la droite, Royal en vestale de la gauche, Buffet pour le PCF et José Bové candidat de l’écologie radicale et de l’altermondialisme. Pour l’anecdote, on a Schivardi pour la ruralité et le Lambertisme réunis et Nihous qui remplace Saint-Josse pour la ruralité et la chasse aux lapins.

D’après les sondages, Royal a des chances de battre Sarkozy et Bayrou et son Modem font un tabac. On craint aussi Le Pen. En vrai, les petits candidats de gauche se vautrent et seul Besancenot tire son épingle du jeu avec 4 %, ce qui fait dire aux stratèges de la LCR qu’ils sont devenus majoritaires à gauche. Les autres s’étalonnent entre 0,30 (Schivardi) et 2 % (le PCF qui a pourtant tout fait pour récupérer le vote des collectifs unitaires anti-libéraux).

Sinon, Nano-Sarko est en tête avec 31 %, à 6 longueurs de Royal dont la campagne a été calamiteuse, les éléphants du P.S n’ayant eu de cesse que de la faire trébucher. Bayrou est à 18,50 et ne se sent plus pisser ; la seule bonne surprise est de voir Le Pen à 10 %.

Après un débat de second tour où Royal est à la rue, Sarkozy l’emporte avec 53 % contre 47 pour sa rivale. Pas vraiment un triomphe, mais la « petite crotte » (dixit Chirac) n’en a pas moins fêté sa victoire au Fouquet’s devant tout le CAC 40 et ne s’en est pas moins payé une croisière sur le yacht de son ami Vincent Bolloré. 5 ans de malheur ! 

Pour 2012, on change le casting. Seuls Sarkozy et Bayrou (et Cheminade) étaient là cinq ans avant. C’est Hollande, vainqueur de la primaire, qui représente le P.S, fifille Le Pen le F.N ; Nathalie Arthaud prend la succession de Laguiller pour L.O et Philippe Poutou remplace le camarade Besancenot pour ce qui est devenu le NPA. Autre petite nouvelle, Eva Joly pour EELV qui a remporté la primaire contre Nicolas Hulot, déjouant déjà les pronostics. Petits nouveaux encore, Dupont-Aignant représente la droite souverainiste et Mélenchon la gauche radicale et le Front de gauche, soit le Parti de gauche, la Gauche unitaire (sortie de la LCR) et le PCF qui, chat échaudé, a préféré se reporter sur un candidat d’union.

Parmi ceux qui ont renoncé et avaient leurs chances, Borloo, Villepin, Juppé et bien sûr Strauss-Kahn, à la suite du scandale du Sofitel. Parmi ceux qui ont renoncé et n’avaient aucune chance, une kyrielle de candidatures avortées, la plupart battues aux primaires qui, fait nouveau, sont devenues un premier tour avant le premier tour.

Sans surprise, Sarkozy et Hollande sont au second tour, devançant une Le Pen à 18 %, un Mélenchon à 11 et un Bayrou à 9. Le reste, négligeable, s’étalonne entre 0 et 2 %. On a longtemps annoncé Hollande largement vainqueur mais l’écart n’en finit pas de s’amenuiser. Après un débat de second tour où il se montre à son avantage, Hollande l’emporte à 51,60 % contre Sarkozy à 48. Lui président, « Mon ennemi c’est la finance » va pouvoir s’en aller renier tous ses engagements dans les jupes de Merkel et à la grande satisfaction de l’Union Européenne. Et accessoirement discréditer la gauche pour les années à venir.

Après Ayraud et deux premières années mollassonnes (mariage pour tous quand même), c’est Valls et El Khomri avec les lois sécurité globale, la déchéance de nationalité, la loi travail et la répression. Le ton est donné pour 2017.

2017. On ne va pas s’étendre sur cette élection, trop récente pour qu’elle ne soit pas encore en mémoire.

C’est une nouvelle fois, après 1974, Le Canard Enchaîné qui fait l’élection avec l’affaire Fillon et ses casseroles. Il a gagné la primaire à droite devant Juppé et Sarkozy et on le voit déjà à l’Élysée.

Hollande ne s’est pas présenté et, à la surprise générale, Hamon emporte la primaire de gauche devant Montebourg et Valls (qui ne le soutiendra pas). Côté Verts, Jadot remporte la primaire mais se rallie au dernier moment à Hamon. Bayrou, lui, s’est rallié à un petit jeune qui monte, ancien banquier de chez Rotschild et ministre de l’Économie de Hollande, un certain Emmanuel Macron.

Côté petits candidats, les habitués Cheminade, Arthaud et Poutou plus deux souverainistes, Asselineau et Dupont-Aignant et l’ineffable Lassalle, dissident du Modem.

Hamon fait 6 %, malgré le renfort des écologistes. Méluche est à 19,60, talonnant un Fillon à 20 %. La surprise du chef est de voir Macron à 24 % qui peut disputer la finale face à une Le Pen à 21 et l’emporter dans un fauteuil au second tour devant une fifille devenue complètement fofolle lors du débat de l’entre deux tours.

On connaît la suite et, cinq ans après, Jupiter qui a les faveurs du pronostic après crise sociale, pandémie et guerre. La Le Pen est donnée deuxième et Méluche troisième, tous deux en légère hausse. Mais 5 points les séparent. À la baisse, quasiment tous les autres, du néo-fasciste Zemmour à Roussel le démago en passant par Pécresse « entre Thatcher et Merkel » et Jadot le Vert à moitié vide. Le vote utile rafle tout, à droite et à l’extrême-droite comme à gauche. Une gauche qui totalise 25 % des voix, soit dit en passant.

Mais cette série visait à démontrer que « rien ne se passe comme prévu ». Alors… Votez !

28 mars 2022