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LES CHERCHEURS D’OR GRIS

Dessin de Berth dans Siné Mensuel (avec leur aimable autorisation).

Le livre de Victor Castanet, Les fossoyeurs – Révélations sur le système qui maltraite nos aînés (Fayard) a mis en évidence ce qui avait déjà été identifié comme le scandale des EHPAD : maltraitance des résidents, personnel pressurisé, économies tous azimuts et service dégradé à tous les étages. C’est le cas d’Orpéa, clairement désigné dans ces pages. Encore plus inquiétant dans ce contexte : à Roubaix, le CCAS et la Mairie ont décidé de céder à une « association à but non lucratif », en fait de privatiser deux Ehpad de la ville. Des Ehpad situés dans les quartiers les plus pauvres de l’une des villes les plus pauvres de France. Récit d’une mobilisation.

Un petit rappel des faits. Le Conseil d’administration du CCAS (Caisse Centrale des Activités Sociales) de Roubaix a décidé de céder à une association deux Ehpad de la ville. La décision a été entérinée par le Conseil municipal de février. Les arguments ? Les établissements accuseraient un déficit financier chronique accentué avec la pandémie : de moins en moins de résidents et un manque de médecins coordinateurs. Soit.

Le plus croustillant de l’affaire est que les mêmes qui ont demandé un audit à la société KPMG, le fameux audit se prononçant sur le manque de viabilité des Ehpad en l’état, sont ceux qui s’apprêtent à les reprendre, trois cadres du CCAS qui ont monté une association ad hoc pour permettre cette reprise. Des bienfaiteurs, assurément, sauf qu’il y a là clairement un conflit d’intérêt.

Le maire, Guillaume Delbarre, a d’ailleurs lui aussi ses casseroles pour des montages financiers douteux d’une campagne électorale qui ont amené son premier adjoint à démissionner. Lui pas qui, droit dans ses bottes, assure qu’il n’était pas en charge des aspects pécuniaires de ladite campagne. Circulez donc, y’ a rien à voir. Une sale affaire qui aurait pu l’amener à plus d’humilité, sans lui demander de faire profil bas. Mais ce serait mal le connaître.

La décision doit être mise en œuvre au 1° juillet, et le CCAS comme la mairie comptent sur la docilité des personnels et des résidents, et surtout sur la passivité des citoyens de Roubaix et d’ailleurs. Ils se sont lourdement trompés au moins sur le dernier point, car une mobilisation grossit au fil des réunions, des rassemblements, des demandes d’interpellation, des tractages et des signatures de pétitions.

Tout commence dans les locaux de l’Union locale de la CGT de Tourcoing, où des retraités s’emparent de la question. D’autres militants, de Solidaires, d’Attac ou du PCF les ont rejoints. Chacun propose son analyse de ce qu’on nous présente comme inéluctable et les interrogations reviennent en boucle : «un Ehpad ou un établissement de santé doit-il être rentable ? », « pourquoi la ville cherche à s’en débarrasser ? », « quelles alternatives pour le personnel ? », « quel est le but des repreneurs, dont les « buts non lucratifs » sont contestés » ? « Qu’en pensent les résidents qui sont en situation de fragilité et pourraient mal vivre les changements annoncés ? ». Très vite, on décide de porter l’affaire sur la place publique après des diffusions de tract et des visites informelles dans les 2 Ehpad concernés pour prendre le pouls du personnel. Un personnel vacataire ou fonctionnaire territorial à qui on offre le choix de suivre l’activité et de mettre leur statut entre parenthèses ou de le garder en attendant de se voir proposer des postes ailleurs. Tu parles d’un choix !

C’est la naissance du collectif du 29 mars contre la privatisation des Ehpad de Roubaix.

La place publique, ce sera le parvis de la mairie le soir du Conseil municipal du 31 mars où une soixantaine de personnes, dont des personnels des Ehpad, s’introduisent dans les bâtiments en demandant d’assister au conseil municipal où une élue a relayé notre demande de voir mise la question des Ehpad à l’ordre du jour. Après discussions, le maire accepte l’irruption citoyenne dans le conseil, à condition qu’elle soit silencieuse. Et de dérouler l’ordre du jour comme si de rien n’était, les Ehpad étant relégués en fin de parcours. On demande bruyamment de passer à la question qui motive notre présence et le maire rappelle notre vœu de silence (ou je fais évacuer la salle). On part de nous-mêmes et un article dans la presse locale relatera l’incident avec la conclusion du maire lui-même minimisant la présence citoyenne en parlant de « quelques énergumènes de la CGT ». On sent à peine le mépris de classe en même temps qu’on sent pointer une légère inquiétude concernant la suite des événements qu’on entrevoyait plus tranquille et loin des regards citoyens.L’Humanité publiera aussi un article sur l’événement.

La suite ? C’est le Collectif contre la privatisation des Ehpad de Roubaix tenu à bout de bras par quelques militants avec des citoyens décidés à informer les populations et à empêcher que la décision soit mise en œuvre : garder les Ehpad dans le giron du CCAS ou les rapprocher de l’Hôpital de Roubaix avec transfert de statut de la fonction publique territoriale à la fonction publique hospitalière.

Les visites dans les Ehpad sont autant d’audits informels réalisés en lien avec les personnels qui sont les vrais experts de leur situation professionnelle et des besoins sociaux des Ehpad. Des diffusions de tracts ont lieu dans les quartiers pour populariser une lutte qui prend et s’étend.

Des réunions d’organisation se succèdent, tous les jeudis soirs, et on y prend les décisions sur les suites à donner à la lutte. D’abord une pétition en ligne (avec des exemplaires papier) contre la privatisation, car c’en est une, des Ehpad. Ensuite une interpellation des membres du Conseil d’administration du CCAS et des membres du Conseil municipal afin de solliciter des rendez-vous et de leur expliquer notre démarche pour qu’ils puissent à leur tour se faire les relais de nos revendications dans les instances ad hoc.

La dernière réunion a demandé la transmission de l’audit réalisé par KPMG ou du moins les documents qui ont amené la décision de reprise. Nous irons jusqu’à la Cada si ces documents ne nous sont pas remis. D’autres démarches juridiques seront entreprises en lien avec l’avocat de la CGT et, au besoin, avec l’association Anticor. Nous exigeons la tenue d’un Conseil municipal extraordinaire sur la privatisation des Ehpad.

D’autres institutions pourront être saisies, notamment l’A.R.S et le Conseil départemental, principal financeur, qui demandait au CCAS de baisser son budget de 15 %, avec les conséquences sur la décision prise de se séparer des Ehpad. CQFD. D’autant que ce type des restrictions budgétaires induit une pression managériale qui s’exerce sur les personnels administratifs, sociaux et soignants.

Les pétitions comptent à ce jour 200 signatures en ligne et une centaine de signatures papier, et l’objectif est d’atteindre rapidement les 500.

Le 1° mai aura été, à Roubaix, un moment de visibilité de cette lutte et nos démarches auprès du Conseil municipal commencent à porter leurs fruits, puisqu’une délégation – la plus large possible – sera reçue ce vendredi 6 mai par le groupe Roubaix en commun, soit l’opposition au maire qui réunit socialistes, écologistes et communistes.

Chacun est conscient, dans le collectif, qu’il a à relayer la lutte auprès de ses voisins, amis et connaissances afin que celle-ci s’étende, se popularise et puisse être victorieuse. Seul le nombre et les appuis dans les instances municipales pourront nous faire gagner. Nous entendons donc multiplier les contacts et prolonger la lutte, virtuellement, sur les réseaux sociaux.

En outre, des professionnels de la santé et du social syndicalistes nous disent clairement que l’exemple de Roubaix se multiplie dans la région, dans d’autres communes de l’agglomération lilloise, et que cela témoigne d’une politique générale de recul des services publics et des services sociaux sur tout le territoire. « La santé n’est pas à vendre », comme on entend dans les manifestations. Le monde n’est pas une marchandise, comme disait l’autre.

Voilà, on ne sait pas si les efforts militants et citoyens suffiront à inciter la municipalité à revenir sur une décision inadmissible d’un point de vue politique, social et sanitaire. En tout cas, l’arc de force – citoyen, syndical, associatif et politique – nous aura permis de mener une belle lutte reposant sur l’intelligence collective et la solidarité avec nos anciens contre les politiques technocratiques et mercantiles d’un système néo-libéral qui s’exerce à tous les échelons du territoire.

Les gens qui ont pris l’habitude de se voir, de discuter et de militer ensemble n’oublieront pas ces moments et seront prêts à se mobiliser pour d’autres causes et d’autres combats. Celui-ci demeurant bien sûr prioritaire dans la période.

Une mobilisation exemplaire dans l’unité qui réconcilie la pensée et l’action dans la diversité des opinions, des pratiques et des traditions militantes. Quelque chose qui nous rend cet optimisme de la volonté dont parlait Gramsci et favorise la politisation pour les échéances électorales à venir.

Roubaix ville lumière ?

2 mai 2022

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