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PUNK-ROCK : 45 ANS ET DES POUSSIÈRES

Les Pistols au Paradiso d’Amsterdam en 1977 – Wikipedia

Après Lester Bangs la fois dernière, prophète du punk, il nous a semblé pertinent de revenir sur cette période de chaos. Disons plutôt un moment, que l’on peut dater de l’automne 1976 à l’été 1977. 1977 qui restera la grande année punk, comme 1967 avait été l’année hippie dix ans auparavant. Un petit voyage à Londres et à New York, les scènes où l’action (et il y en a eu) s’est jouée. La scène punk à travers quelques groupes mémorables qui ont botté le cul des baba-cools et écrit un nouveau langage musical tout de bruit et de fureur.

La pop music avec ses tendances hard-rock, blues boom, acide rock ou rock progressif s’était enlisée dans la grandiloquence et la pompe. Des bâillements nous venaient à la lecture de la presse rock du milieu des années 1970 : Yes, les Stones, le Jefferson Starship, Emerson Lake & Palmer, Genesis, Pink Floyd, Led Zeppelin, les Stones ou Jethro Tull. Le grand cirque pop déployait son chapiteau dans toutes les villes du monde aux simples fins de passer la monnaie (« money », comme ils chantaient).

La résistance s’organisait. D’abord à Londres, comme d’habitude, avec la scène pub-rock des Doctor Feelgood, Eddie & The Hot Rods, Ducks Deluxe et autres Kilburn & the Highroads (Ian Dury). Rien de transcendant, mais des classiques du rock’n’roll revisités, un peu comme les groupes du Swinging London en avaient usé avec le blues des pionniers. C’est à la fin 1974 qu’on avait entendu parler de ces groupes et les deux albums de Ducks Deluxe (Ducks Deluxe et Taxi to the terminal zone) comme le premier Feelgood (Down by the jetty) avaient fait un bien fou. L’Open market de Marc Zermati, juste à côté du trou des Halles, en s’y trompait pas qui les passait en boucle.

On avait déjà senti un vent de fraîcheur avec le rock décadent, mais Bowie et Roxy Music étaient déjà repartis dans les travers de leurs aînés, victimes d’une pop starisation dès le milieu des années 1970 qui n’épargnait pas non plus les Rod Stewart ou Elton John. Beaucoup de strass et de paillettes, mais déjà un alanguissement général dans la sophistication, l’emphase et l’académisme. Le Punk-rock allait gifler toutes ces icônes maquillées.

Aux États-Unis, les bruits de l’ombre nous provenaient de New York, relayés dès 1974 par Paul Alessandrini dans sa chronique des avant-gardes dans Rock & Folk. Il nous parlait des folles nuits du CBGB et du Max’s Kansas City avec des noms qu’on ne connaissait pas, ou pas encore : les Ramones, Television ou Patti Smith. Des noms qu’on pouvait aussi lire, si on lisait l’anglais, dans Creem Magazine et qui apparaissaient sous la plume de Lester Bangs ou des chroniqueurs électriques de la bible de Detroit.

Dans sa rubrique White trash, Yves « Sweet punk » Adrien nous rappelait les grandes heures du Swinging London et réhabilitait des groupes comme les Troggs ou les Pretty Things qui se faisaient une nouvelle jeunesse à l’ombre des décadents. Réhabiliter la merde, disaient d’aucuns. « Je chante le rock électrique ». Adrien s’était fait aussi le thuriféraire des groupes américains les plus radicaux : Flamin’ Groovies, Stooges, Velvet Underground, Fugs et autres Steppenwolf. Les extases hippies et les festivals pop étaient loin derrière et c’était maintenant d’électricité, d’outrage, d’énergie et de puissance qu’on nous entretenait. Les New York Dolls débarquaient en France en collants résilles et Lou Reed, Nico et John Cale se produisaient ensemble au Bataclan. Le rock du watergate nous faisait vibrer au son lourd des trois guitares du Blue Öyster Cult. Tout pouvait recommencer ? On y croyait.

D’autant que Philippe Garnier nous permettait de juger sur pièces avec ses chroniques envoyées depuis toutes les villes américaines de province. From Ploucville (USA). Il nous parlait des groupes de Boston, de Cleveland, de San Francisco et bien sûr de son Los Angeles d’adoption. On connaissait maintenant Devo, Pere Ubu, les Real Kids, Willie « Loco » Alexander , les Modern Lovers, X, le Dwight Twiley Band, les Fleshtones et l’oncle Garnier ne manquait pas d’interviewer les Cramps ou de retracer la vie et l’œuvre de naufragés de l’ère psychédélique, de Roky Eriksson à Doug Sahm. Bref, a real cool time.

Avec « my friend Jack », on achetait des disques par brassée chez l’Ours, à Music Action et on écoutait tout ça le soir venu, quand un concert quelconque ne nous faisait pas quitter nos chambrées. On avait vu tout ce qu’il y avait de visible dans ces années-là, Porte de Pantin ou dans des salles plus intimes.

En juin 1976, on avait entendu parler d’un concert des Sex Pistols au Chalet du lac, à Vincennes. Nous n’y étions par allés et nous avions passé notre vie à le regretter. Johnny le pourri et ses Pistols allaient propulser à la face du monde leur rock impudent et provocateur, et on se ruerait à l’Open market pour dégotter leurs premiers singles chez EMI (« Anarchy In The UK » et « God Save The Queen »). Pour nous, la guerre était déclarée.

Lames de rasoir en pendentifs, épingles de nourrice un peu partour et cuirs luisants, nous étions allés à Londres pour voir de quoi il pouvait bien s’agir. Des petits Vince Taylor que le ridicule ne tuerait pas. Nous avions raté les Flamin’ Groovies qui nous rejouaient les grandes heures de la Beatlemania, mais nous n’avions pas manqué Damned, les Stranglers ou le Tyla Gang (un groupe né de la dissolution des Ducks Deluxe comme Brinsley Schwarz ou les Motors). Les Damned au Victoria Theatre et les Stranglers à la Roundhouse (avec les Dictators en première partie) dans une ambiance pourrie où l’agressivité et la haine étaient diffuses. Rien à voir avec les concerts tranquilles avec shilom et patchouli.

Un peu plus tard, nous avions remis ça et, entre l’achat de sacs de 45 tours chez Rock On et des virées chez Grany’s et dans les magasins de fringue, on allait tous les soirs au Music Machine, au Dingwall’s ou au 100 Club, repères des punks anglais (et aussi des Teddy-boys avec lesquels des bagarres éclataient parfois). Les Jam nous impressionnaient par leurs influences mods qu’ils faisaient revivre et Clash tirait le punk vers la politique et le social, là où il était devenu de bon ton d’adopter les discours catastrophistes et nihilistes en vogue. « No future ».

Greil Marcus sortira un livre resté fameux sur ces années-là, Lipstick traces, où il fait le parallèle entre le mouvement punk, les dadaïstes et les situationnistes. Un exercice de haute voltige intellectuelle impeccablement réussi par un grand théoricien du rock. D’autres livres sont sortis sur le Punk, dont ceux de Pacadis ou de Eudeline, moins brillants et plus narcissiques. Sans compter les revues et les fanzines, de Bazooka, du Regard moderne ou de Sordide sentimental.

Le punk était devenu à la mode et il nous fallait passer à autre chose, sous peine de récupération par les magazines grand public, la radio FM et la télévision robinet à clips.

Après quelques ultimes pitreries aux États-Unis et avec Ronald Biggs (auteur du hold-up du train postal exilé au Brésil), les Pistols se séparaient dans la débandade à l’été 1977. Sid tuait Nancy au Chelsea Hotel et la légende noire du punk-rock pouvait s’écrire. Les hippies avaient eu Brian Jones, Jim Morrison, Jimi Hendrix et Janis Joplin. Nous aurons Sid Vicious, Lester Bangs et bientôt Johnny Thunders. On se contenterait de ça.

Dès l’automne 1977, on parlait de New wave avec le Punk qui se tintait de Reggae, de Ska, de Pop, de Hard ou de Rock progressif. Clash tenait la vedette des concerts Rock against racism quand d’autres punks se radicalisaient à l’extrême-droite. On avait Elvis Costello et XTC pour le meilleur ; Sting ou Joe Jackson pour le pire. Puis Madness, les Specials et toute une vague néo-skinhead qui enflammait les discothèques, à défaut des rues.

Thatcher était arrivée au pouvoir, renversant les travaillistes incapables de juguler la crise, le chômage, la pauvreté institutionnalisée et les tensions ethniques. On pouvait entrer de plain-pied dans l’enfer libéral et les punks se voyaient marginalisés dans les années 1980 par une nouvelle classe montante arrogante et pleine de morgue. Place était faite pour les groupes « romantiques » à la Spandau Ballet, Duran Duran ou Depeche Mode (des ped’s moches, on disait). Pouacre !

En France, les folles nuits du Palace pouvaient commencer avec un Yves Adrien à cheveux coupés et costards trois pièces, période Façade. Les derniers punks à chien hantaient encore le Gibus et les radios libres passaient les hymnes punk presque par nostalgie.

Aux États-Unis, le Punk s’embourbait dans un mouvement « arty » prétentieux. Il fallait bien que cela se termine comme ça, au pays d’Andy Warhol. Reagan remplaçait Carter et les loups de Wall street et les Yuppies allaient reléguer les punks au rang d’aimables antiquités. Restaient quelques survivances, comme les Cramps et les inamovibles Ramones.

En tout cas, c’est égal, on a bien rigolé, juste avant de s’enliser dans la crise et les menaces de troisième guerre mondiale. Gaba ! Gaba ! Hey !

9 mai 2022

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