Il vient juste de sortir, ce livre (1) qui s’attache à tisser des liens entre le football et le rock. Un phénomène essentiellement anglais, mais pas que… « Deux passions populaires, deux univers voisins », sous-titrons-nous. Persiste et signe. Si vous n’aimez ni le foot ni le rock, passez votre chemin. Si vous n’aimez que le foot ou que le rock, peut-être ne serez-vous qu’à demi intéressés. Mais si vous êtes animés des deux passions, ce bouquin est pour vous ! On se contentera ici d’en résumer les chapitres, en espérant que ça donne envie aux fidèles lecteurs de cette chronique d’en savoir un peu plus.
L’avant-propos décrivant la succession chez un même individu de deux passions, celle de l’enfance – le football – et celle de l’adolescence – le rock – avait déjà été publiée intégralement sur ce blog et on ne peut qu’y renvoyer. Deux passions en apparence inconciliables ou rivales, mais qui cohabitaient plutôt harmonieusement à l’âge adulte.
Le premier chapitre se situe en France. Un paragraphe d’un livre de Maxime Schmidt (Face B) nous sert de prétexte à évoquer le grand Stade de Reims quand le Red Star et son public d’ouvriers et de loubards nous permet de jeter un regard nostalgique sur cette jeunesse perdue des blousons noirs fans de « Gégène » Vincent tels que décrits par le sociologue Jean Monod dans son ouvrage de référence, Les barjots (10/18).
On franchit la Manche et on arrive à Liverpool avec les groupes du Merseybeat et les Reds du Liverpool F.C. N’oublions pas que le « You’ll Never Walk Alone » de Gerry & The Pacemakers a toujours été l’hymne des Reds, même si les Beatles n’ont jamais été très foot ; Mc Cartney ayant des tendresses pour les rivaux d’Everton et Ringo supportant les Gunners d’Arsenal. Le Daily Worker ira jusqu’à écrire que « le Merseybeat est le son de 30000 personnes au chômage », et on va comparer l’effervescence musicale dans la cité portuaire à celle de la Nouvelle-Orléans aux premiers temps du Jazz. Gros plan sur Bill Shankly, déjà évoqué ici, l’entraîneur socialiste qui a mis les Reds sur le toit de l’Europe.
Liverpool et Manchester. Là aussi, deux équipes rivales : le Manchester United catholique et bourgeois et le Manchester City protestant et prolo. Un focus sur Georgie Best, l’ailier chevelu de Man U qui, à lui seul, incarne les deux passions. Un flash-back aussi sur la catastrophe aérienne de Belgrade qui vit l’équipe de Matt Busby décimée. C’est lui qui la ressuscitera avec l’équipe qui va gagner la coupe d’Europe 1968 contre le Benfica d’Eusebio. Ce Man U là a longtemps fait de l’ombre aux Blueskies de City et à leur attaque canon de la fin des années 1960 avec Francis Lee, Colin Bell et Mike Summerbee ; Manchester City qui prendra sa revanche en devenant le plus grand club anglais de notre ère. Côté pop, un petit tour des groupes de Manchester des sixties avec les Hollies de Graham Nash et Herman’s Hermits du mignon Peter Noone.
Après un petit tour en province pour évoquer les groupes et les clubs de Birmingham (Aston Villa, West Bromwich, plus les Moody Blues, les Move ou le Spencer Davis Group) ou de Newcastle (les Magpies supportés par les Animals), on peut débarquer dans le Londres du Swinging London.
Un Londres qui brille de mille feux avec les groupes phares de sa banlieue sud (Rolling Stones, Yardbirds, Pretty Things), ou de ses faubourgs du nord (les Kinks, le Dave Clark Five ou les Zombies). L’occasion d’un tour des clubs de Londres qui a déjà été fait ici : Tottenham, Arsenal, Chelsea, Crystal Palace, Queen’s Park Rangers et West Ham, parmi les plus connus.
Queen’s Park Rangers qui était le club favori des Mods, ce mouvement de jeunesse émergeant au beau milieu des sixties avec ses parkas, ses costards, ses scooters italiens et son goût pour le Rhythm’n’blues. Roger Daltrey, des Who, supportera longtemps le club de l’ouest londonien (du quartier de White City) avant de jeter son dévolu sur Arsenal. Les Small Faces, de East London, devaient plutôt en pincer pour West Ham et les Troggs pour Southampton, bien que l’histoire ne le mentionne pas vraiment.
Deux pop stars vont beaucoup faire pour rapprocher les deux univers : Rod Stewart, l’Elvis Presley de Muswell Hill (comme l’appelaient les frères Davies par dérision) avec sa passion pour le Celtic de Glasgow de Jock Stein (et aussi Manchester United) et Reginald Dwight alias Elton John qui, las de son statut de pop star, prendra la direction du club de Watford F.C et l’amènera des divisions perdues anglaises à la Première ligue. Elton traversera l’Atlantique pour reprendre les Los Angeles Aztecs où George Best finira péniblement sa carrière.
Birmingham encore, où les métallos de Black Sabbath se rangeaient derrière Aston Villa quand Robert Plant et John Bonham, de Led Zeppelin, se partageaient entre West Bromwich et Wolverhampton, dont Plant fut un temps président d’honneur. Les « noirs et ors » de Wolverhampton qui fut également le club fétiche des Skinheads de Slade, et deux chapitres sont consacrés au phénomène Skinhead et au Hooliganisme, qui finit par faire disparaître le foot anglais de la carte européenne. À noter pour rester dans le Hard-rock l’attachement indéfectible du bassiste de Iron Maiden Steve Harris aux Hammers de West Ham.
On en vient aux États-Unis, avec Ahmet Ertegün, le Turc fou de jazz et de rhyth’m’blues, qui va lancer le Soccer dans le pays. Sans succès au départ, mais son Cosmos de New York va se payer des dieux des stades en semi-retraite : Pelé, Beckenbauer, Carlos Alberto, Chinaglia et tant d’autres. Sur l’autre côte, les Aztecs de L.A offriront une retraite dorée à Best, on l’a vu, mais aussi à Cruyff, à Neeskens ou au péruvien Cubillas. Ne parvenant pas à rivaliser avec le Baseball, le football américain ou le Basket, le Soccer va péricliter jusqu’à disparaître et renaître de ses cendres avec un championnat MLS (Major League Soccer), réunissant les U.S.A et le Canada. C’est maintenant là que les dieux des stades viennent mourir, quand ce n’est pas en Chine ou dans les Émirats.
On reste aux U.S.A avec les White Stripes de Detroit qui, involontairement, auront écrit avec « Seven Nation Army » l’hymne des stades du XXI° siècle, autre chose que « I Will Survive » ou « We Are The Champions » tout de même.
On sait que Bob Marley adorait le reggae, la ganja, rastafari et le football. Souvent, les Wailers se faisaient des petits matchs durant le peu de loisirs que leur laissaient les tournées. Fou du foot brésilien et africain, Marley était un attaquant racé qui aurait pu faire une belle carrière professionnelle. C’est lors d’un match amical opposant les Wailers plus quelques journalistes de Rock & Folk au Variété F.C, en 1977, que la blessure à l’orteil qui va dégénérer en cancer se révélera.
Du reggae au punk, il n’y a qu’un pas (one step) et les Punks, même s’ils n’en feront pas toujours mention, auront souvent un passé de supporters. Johnny Rotten, des Sex Pistols, avec Arsenal, comme Joe Strummer des Clash avec Chelsea. Les Clash furent d’ailleurs dans leur jeunesse des Hooligans, Simonon faisant le coup de poing sur les gradins de Tottenham et Jones à White city. À front renversé, un joueur de West Ham, Stuart Peace, fut un grand fan des Stranglers. N’oublions pas Joy Division, fans de Manchester City (au moins pour Ian Curtis) et New Order, auteurs d’un album intitulé Best & Marsh, supportant eux Manchester Utd.
On passe un peu vite à la New wave avec un Elvis Costello grand amateur de football et supporter des Reds ou Morrissey derrière Manchester United, avant d’en arriver à la Brit Pop et à cette rivalité centrale entre Oasis et Blur, Oasis ou les prolos du nord fans de Manchester City et Blur les petits-bourgeois de Londres supporters de Chelsea. Un peu caricatural, mais il y a de ça. On peut aussi évoquer Jarvis Cocker et Pulp derrière Sheffield Wednesday ou Wedding Present, supporters de Aston Villa bien qu’étant de Leeds. Leur premier album s’intitulait George Best.
La dernière partie du livre est consacrée aux écrivains John King (auteur de Football Factory, de Human Punk et de Skinheads notamment) et David Peace (auteur de Rouge ou mort et de 44 jours). On en a assez parlé sur ce blog et on ne va pas trop s’y attarder.
Sauf pour dire que King a su à merveille peindre les milieux du supportérisme et les Hooligans avec des romans réalistes jetant un regard cru sur la jeunesse anglaise. Peace, lui, est un génie qui a écrit l’histoire de Bill Shankly et des Reds comme si c’était la bible, avec rage et ferveur et dans un style flamboyant et obsessionnel. Dans 44 jours (Damned United), il fait de même avec Brian Clough à travers les trois clubs qu’il a entraînés : Derby County, Leeds United et Nottingham Forest . Gloire à lui ; gloire à eux.
On termine par une petite fantaisie dont la maison n’est pas avare. Le onze des écrivains qui ont aimé le foot et se sont exprimés sur lui. Peter Handke dans les buts. Frank Tenaille, Albert Camus, Pier Paolo Pasolini et Manuel Vazquez Montalban en défense. Antoine Blondin et, René Fallet en milieux défensifs ; Kapuscinski et Riva en milieux offensifs. Montherlant et Ian Rankin en attaque. Sur le banc : William Burroughs, Nick Hornby, Borges et Casarès (Peace et King hors compétition).
Le livre se clôt sur un épilogue / tour du monde qui nous conduit en Amérique du sud, en Afrique, en Asie et dans le monde arabe. Où Maradona rencontre Kusturica et où les hardos de Sepultura supportent l’Atletico Mineiro. Sans parler des révolutions arabes, des griots africains, des paris asiatiques et de la guerre du football qui opposa les armées du Honduras et du Salvador.
Voilà, peut-être cet article vous a-t-il donné envie de lire ce livre ou de le parcourir, c’était le but. Et, comme disait l’équipe de Hara Kiri, « si vous ne pouvez pas l’acheter, volez-le ».
(1) : Rock’n’foot – Didier Delinotte – Camion Blanc éditeur – juin 2022.
26 juin 2022
Excellent, Didier, merci.