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MEMO FROM TURNER

Nik Turner en 1974, au temps de sa splendeur (enfin, splendeur n’est peut-être pas le mot)

Il a été le chanteur et saxophoniste du groupe Hawkwind, avant de voler de ses propres ailes dans des combos improbables où Space rock et musique industrielle se côtoyaient sans heurts. Mort un 11 novembre, il aura écrit avec Hawkwind une page singulière de la déjà longue histoire du rock anglais. Son histoire ci-dessous encore, hélas, sur le mode obituaire. La route du rock est jonchée de cadavres.

Nik Turner, leader de Hawkwind – à la fois chanteur et saxophoniste – vient de nous quitter à un âge canonique pour un grand consommateur d’alcool, de speed et de tant d’autres substances plus ou moins licites. Le groupe est intéressé par l’espace, la science-fiction et les paradis artificiels et leur aspect marginal et inquiétant d’anciens hippies convertis à l’exploration du futur a pu faire d’eux des légendes finalement très politiques si on veut bien considérer leur message et leur mode de vie. Disons leur présence au monde, pour aller vite.

Hawkwind, c’est d’abord l’histoire de Dave Brock (guitariste et chanteur) né en 1942 à Isleworth, d’abord joueur de banjo dans une formation de jazz New-orleans avant de fonder, en 1964, le Dharma Blues Band qu’il rebaptise en Famous Cure. Le groupe tournera notamment aux Pays-Bas dans le sillage d’un cirque où les musiciens sont considérés comme une attraction en valant bien une autre. « Sweet Mary », leur premier simple en 1967, aurait fait un tabac dans ce pays. À voir. On ne sait même pas s’il est jamais sorti. Sans permis de travail, les musiciens sont rapatriés dans leur pays et jouent dans la rue, passant le chapeau au bon cœur du chaland qui passe. Très vite lassés par l’accueil qu’on leur réserve (ils sont réputés sales, chevelus et malodorants), le groupe ou ce qu’il en reste part pour une tournée de musiciens de rue à travers le pays, voyageant dans un bus à impériale. Famous Cure change plusieurs fois de nom pour devenir Group X, puis Zoo et enfin Hawkwind, alors que le groupe se sédentarise et a décidé de rejoindre le peloton des groupes anglais en pleine mutation psychédélique.

On y trouve notamment Mick Slattery, compagnon d’infortune du Dharma Blues Band, plus John Harrison et Nik Turner, déjà présenté, les deux derniers ayant rejoint des communautés hippies d’Amsterdam avant de poser leur maigre bagage à Notting Hill (Lardbroke Grove), comme tant d’autres. Si le mouvement hippie a définitivement fait naufrage aux États-Unis après la Manson Family et Altamont ; les derniers résistants s’étant reconvertis en activistes politiques, le mouvement subsiste en Angleterre où on a surtout retenu d’eux la consommation de LSD et d’hallucinogènes divers. C’est ainsi que Hawkwind forge son style, à coup d’amphétamines, de littérature S.F et d’Héroïc Fantasy. Ils sont tous de grands lecteurs des auteurs anglais Norman Spinrad et Michael Moorcock.

Huw Loyd et Dik Mik Davis ont rejoint le groupe pour l’enregistrement de leur premier album éponyme paru chez Liberty en août 1970 et produit par Dick Taylor, fraîchement débarqué des Pretty Things. Un bon brouillon de ce qu’ils vont faire avec un « Paranoïa » en deux parties qui rendrait des points à Black Sabbath. Le groupe a donné à l’île de Wight un concert parallèle, gratuit, pour ses fans. Huw Loyd est parti après une mauvaise expérience – bad trip – au LSD, à ce même festival.

Dans un vieux numéro de Best de 1971, à la rubrique « Et pourtant ils existent », on peut lire une sommaire présentation du groupe et on peut surtout voir un Nik Turner hilare avec une cigarette dans le nez. Turner ne sera jamais avare de ce genre de facéties.

Pour le deuxième album, In search of space (octobre 1971), le style s’affine et toutes leurs influences sont présentes : espace, onirisme, fantaisie et mystère. La musique oscille entre Progressive rock et Hard-rock et les chansons racontent des histoires absurdes dans la lignée du psychédélisme anglais. Un genre créé par eux seuls qu’on appellera Space rock. Toutes les pochettes, remarquables par leur graphisme et leur esthétique, sont dues au dessinateur Barney Bubbles. Côté personnel, Thomas Crimble a été remplacé par l’ex Amon Düül Dave Anderson et Del Dettmar a pris la place de Lloyd avec le renfort de Terry Hollis à la batterie. Dik Mik a amené un audio-générateur, une sorte d’ancêtre du synthétiseur dont le groupe se sert pour produire les sonorités les plus bizarres. Sur scène, les bruitages associés aux soli de saxophone de Turner à la limite du free-jazz donnent à leur musique quelque chose d’aérien et de vertigineux et le poète londonien Robert Calvert (qui organise les concerts de la Roundhouse) les aide dans l’écriture de leurs textes hallucinés. Tel sera « Silver Machine », leur single de 1972 qui va se classer à la troisième place des charts. Une sorte d’envol de la locomotive sacrée (titre d’un roman de Richard A. Lupoff) mis en musique avec un son sculpté sur les forges de Vulcain. Au chant, on trouve Lemmy Kilminster, ancien roadie d’Hendrix qui lancera Motörhead et bientôt, c’est la danseuse Stacia qui, les seins nus, régalera l’assistance.

C’est Dave Brock lui-même qui produit Doremi Fasol Latido (décembre 1972) et Lemmy a pris la basse quand Simon King est à la batterie. Anderson et Ollis sont partis. Enregistré aux studios Rockfield (Pays De Galles) de Dave Edmunds, l’album est décevant, malgré un titre (« The Watcher) signé Lemmy et le percutant « Brainstorm » de Turner. Parmi les titres bonus de la réédition CD de 1996, on trouve le très politique « Urban Guérilla » ainsi que « Ejection », dont les textes sont dus à Calvert. Mais Hawkwind semble avoir atteint son zénith, et la suite est nettement moins flamboyante.

Le groupe s’est fait une réputation de collectif original et déglingué, avec beaucoup d’espace et de S.F (leur musique doit beaucoup aux machines et aux bricolages sonores) et un peu de sexe (la danseuse). Parfois, Michael Moorcock, le roi de l’héroïc fantasy, vient déclamer ses poèmes hallucinés sur scène et toute cette folle ambiance se retrouve sur Space ritual (mai 1973), un double album live (avec 3 inédits) qui sera le seul à se classer dans les charts. Il a été enregistré en 1972 au Liverpool Stadium et au Brixton Sundown de Londres. 18 titres parmi les plus connus du groupe et deux créations de Michael Moorcock lui-même : « Black Corridor » et « Sonic Attack ». Burroughs est aussi à l’honneur avec ce « Orgone Accumulator », signé Calvert et Brock, qui fait référence aux théories de Reich sur une sorte de machine apte à provoquer des orgasmes à volonté. La plupart des morceaux sont longs et lourds, avec le saxophone devenu fou de Turner et les synthétiseurs omniprésents, plus une rythmique qui rendrait des points aux pires planteurs de clou du Hard-rock. On reste partagé entre une certaine fascination pour ce pandémonium halluciné et un certain agacement devant ce qui peut paraître comme un cirque où tout est permis. D’ailleurs, les origines circassiennes de Hawkwind ont été retracées plus haut et le spectacle comme le clinquant ont toujours été constitutifs de l’identité de Hawkwind ; discrétion loin d’être assurée.

L’étoile du groupe va pâlir avec ce « Urban Guérilla », un single qui semble provocateur en plein conflit irlandais avec ses attentats terroristes qui répondent à des exécutions sommaires. En septembre 1974, Hall of the mountain grill (jeu de mot sur l’œuvre de Grieg In the hall of the mountain king) est plus que décevant. Dettmar est parti au Canada jouer de la « hache électrique » (sic), après une tournée américaine, Dik Mik est resté à Rome comme décorateur après le passage du groupe en Italie et Calvert entreprend une carrière solo. La relève n’est pas vraiment là malgré l’apport de Simon House aux claviers et de Alan Powell à la batterie. Le groupe en est presque réduit au trio Turner, Brock et Lemmy, toujours là. On trouve quand même une rareté, « Lost Johnny », ce morceau signé Mick Farren et Lemmy, plus ce « The Psychedelic Warriors » qui sera leur dernier single à se prévaloir d’un petit succès.

Une partie de l’histoire de Hawkwind va ensuite s’écrire à la rubrique judiciaire. Lemmy est emprisonné pour possession d’amphétamines à la frontière canadienne, un récidiviste. D’autres subiront le même sort. Les incessantes tournées américaines ne déplacent plus beaucoup de monde. Lemmy part fonder Motörhead avec Larry Wallis et Lucas Fox et le contrat de Hawkwind, du fait de sa mauvaise réputation, n’est pas reconduit chez United Artists. Le groupe va signer chez Charisma, le label du rock symphonique. Avec l’aide de Peter Hammill et de Van Der Graaf Generator, Hawkwind va pouvoir sortir Astounding sounds, amazing music (1976), basé sur des nouvelles de science-fiction, décidément leur point d’ancrage, mais il y a longtemps que Hawkwind fait figure de survivants d’un autre espace-temps.

Nik Turner part fonder Sphinx, avant Inner City Unit. Paul Rudolph (ex Fairies) et Alan Powell sont virés par un Brock qui ne souffre plus la moindre critique. D’autant qu’après un concert raté à Paris, Robert Calvert devient fou et laissé aux bons soins de l’institution psychiatrique, sans le secours de ses pairs. Est-il bien utile de raconter la suite d’une aventure joyeuse qui a pris une tournure sordide et glauque ? Un moment, Hawkwind devient Hawklords avant de redevenir Hawkwind qui n’est plus que la chose de Brock (avec Simon King). Ils sortiront encore 25 albums jusqu’à nos jours, souvent instrumentaux et électroniques, genre electro pour rave-parties. Passons…

Quant à Turner, il a sorti 5 albums (entre 1980 et 1985) avec Inner City Unit, un genre de Hawkwind à la sauce punk et rien moins que 8 albums (entre 1993 et 2001) avec Anubian Lights, un groupe s’intéressant à l’égyptologie, aux OVNI et à l’ésotérisme pour une sorte de fusion entre le Space rock d’Hawkwind et la musique industrielle de Throbing Gristle dont le leader Genesis P. Orridge a été invité sur Space ritual 1994.

D’anciens Hawkwind, comme Dell Dettmar ou Allan Powell, ont rejoint Turner pour cet album qui témoigne de son attachement à l’Hawkwind des débuts, celui où il brillait au devant de la scène, avec ses déguisements des plus extravagants et sa gestuelle d’une folle drôlerie. Il nous a quittés le 11 novembre 2022. Turner overdrive, surmultiplié.

16 novembre 2022

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