Difficile de parler d’une coupe du monde sur le plan sportif sans avoir vu aucun match, à part le magnifique but du Brésilien Richardison contre la Serbie aperçu dans un bistrot à l’insu de mon plein gré. Après tout, il y a bien des critiques littéraires qui parlent de livres qu’ils n’ont pas lu, des critiques de cinéma qui ne voyaient pas certains des films qu’ils chroniquaient (même si c’est plus difficile). Alors on se lance, sur la base des résultats et des commentaires glanés sur le fil Internet de L’Équipe. D’autant que, outre le football, on note encore, en plus des joyeusetés du pays déjà évoquées, l’hypocrisie de la FIFA comme de la FFF. Et de certains joueurs…
Il y a comme ça des Hugo Lloris, qu’on croyait plus conscient politiquement, qui vous disent qu’ils ne porteront pas le brassard arc-en-ciel One love (au nom de la chanson de Bob Marley) pour dénoncer la répression des homosexuels et LGTBQ+ au Qatar. Il ressort les mêmes arguments que le sinistre Le Graët, président de la FFF et accusé de harcèlement sexuel, à savoir qu’il faut respecter les us et coutumes du pays (qui sommes-nous pour juger?) et surtout qu’il faut respecter le pays hôte à partir du moment où on a accepté de venir jouer cette coupe du monde. C’est un peu comme ceux qui vous disent qu’on savait depuis longtemps qu’on allait jouer au Qatar la phase finale et que c’est un peu tard pour s’indigner maintenant et laisser retomber la responsabilité sur nos pauvres joueurs harcelés par des médias inquisiteurs. Comme c’est facile…
La palme du genre revient au président de la FIFA, Gianni Infantino, qui glorifie le Qatar, pays démocratique, social et écologique, presque socialiste sinon libertaire. Un discours lunaire qui laisse planer le doute sur sa santé mentale. Ou alors c’est du cynisme et c’est encore plus grave.
Il y a aussi un type, un citoyen que d’aucuns baptiseront du nom infamant d’énergumène qui n’hésite pas à traverser le stade avec des slogans pro-ukrainiens d’un côté et pour les femmes iraniennes de l’autre. Il s’appelle Mario Ferri, est Italien et ses exhibitions du côté du Qatar pourraient lui valoir la distinction de lanceur d’alerte. Puisqu’on est en Iran, on peut aussi parler de cette brave équipe nationale qui a refusé d’entonner l’hymne national de leur pays pour stigmatiser la répression d’état qui s’exerce contre les femmes et le peuple insurgé. Gageons que leur retour au pays s’annonce difficile. Des menaces ont déjà été proférées pour leurs familles.
Et puis il y a ces sélections nationales qui s’étaient engagées à porter le brassard One love : Angleterre, France, Allemagne, Danemark, Suisse, Suède, Norvège, Pays-Bas, pays de Galles et Belgique. Beaucoup se sont dégonflées, à l’image des Français, l’Allemagne l’a porté, ce qui ne l’a pas empêché de se faire battre d’entrée par le Japon alors que la France battait l’Australie puis le Danemark… Avant la Tunisie ? Comme quoi il n’y a pas de morale dans le sport.
On nous parle aussi de ces arbitres femmes (arbitresses?) qui n’ont pas été autorisées à arbitrer un seul traître match car, selon les officiels, elles ne sont pas suffisamment aguerries et doivent encore progresser. Notre Stéphanie Frappart, qui a dirigé moult matchs de Ligue 1, appréciera, elle qui n’a été retenue que pour faire le quatrième arbitre d’un match de poule*. Les machos tiennent la rampe, hein Le Graët ? Bref, on ne veut pas d’arbitres femmes mais on n’hésite pas à payer des immigrés pour animer les fan-zones. Respect, on vous dit !
On nous dit aussi que le régime a fait des progrès et que les touristes supporters louent à longueur d’interviews la gentillesse des qataris, la bienveillance des autorités et cet « air de liberté » (comme disait d’Ormesson à propos de Saïgon sous la botte américaine) qui flotterait sur le pays. C’est sûr que ce n’est pas le moment pour nos amis du Qatar de montrer le vrai visage de la répression et de l’autoritarisme. On trouve même des préservatifs dans certains magasins tenus par des femmes voilées, s’étonnent nos journalistes. C ‘est dire ! Selon notre bon président, le Qatar est en progrès constant et on ne vas pas trop débiner un pays qui nous achète des armes et qui fait briller le PSG. Le Qatar n’est quand même pas le Venezuela ou Cuba. Pas confondre, il se situe encore dans l’axe du bien. Et puis, ne mélangeons pas le sport et la politique, comme il dit. Il sera le premier à essayer de redorer son blason en volant au secours de la victoire si l’équipe de France atteint les demi-finales, mais passons. Un festival d’hypocrisie et de tartufferie ; de real politic et de cautèle, mais parlons un peu de football, si vous n’en êtes pas totalement lassé.
À l’heure où j’écris ces lignes, les matchs de poule viennent de se terminer et on va entamer les 1/8° de finale. Que peut-on dire de cette première phase au vu des résultats, des 16 équipes qualifiées mais aussi des 16 équipes éliminées. Lesquelles ont fait la plus forte impression ? Lesquelles ont le plus déçu ? Et les joueurs pris individuellement, quels noms retenir ? Et si c’était encore ceux qui n’ont rien vu qui en parlaient le mieux ?
Une fois n’est pas coutume, le pays hôte a été sorti au premier tour, mais qui pouvait espérer autre chose de cette équipe du Qatar ? L’Équateur subit le même sort et les équipes d’Amérique latine ont souffert, à part le Brésil. Sinon, dans ce groupe, les Pays-Bas se qualifient facilement avec Depay et les anciens de l’Ajax (Van Dijk, De Jong ou De Ligt) et, plus laborieusement, le Sénégal des Marseillais Gueye ou Dieng (et de l’ex Rémois Boulaye Dia). Sûrement pas de sérieux candidats au titre, mais on peut se tromper.
Dans le groupe B, les Iraniens sont passés à la trappe en dépit d’une victoire contre des Gallois qui finissent bons dernier, malgré les Ramsey, Gareth Bayle ou Davies. Les Coupes d’Europe leur réussissent beaucoup mieux. Petite surprise, la qualification des États-Unis avec le Lillois Weah et l’Angleterre relativement facile, mais sans briller après un nul contre les cousins américains. Les Foden, Rashford et Grealish ont été convaincants, mais la défense n’est pas de fer.
On croyait la France affaiblie avec les forfaits de Pogba, N’Golo Kanté, Kimpembe, Benzema… Elle a gagné ses deux premiers matchs et on croyait aussi que, sur sa lancée, elle n’allait faire qu’une bouchée de la Tunisie. C’était compter sans l’inévitable Khazri, figure de proue d’une vaillante équipe tunisienne, mais ça ne leur a pas suffi. Victoire à la Pyrrhus. On croyait aussi que le Danemark se qualifierait avec la France dont ils étaient devenus la bête noire. Éliminés aussi, et c’est l’Australie (on dit aussi les Wallabies en football?) qui passe. Encore une surprise ! La France va se farcir la Pologne en huitièmes. Pas gagné.
L’Argentine d’un Messi vieillissant (mais il y a Fernandez et Alvarez) se qualifie après avoir perdu son premier match contre l’Arabie Saoudite (aussi improbable que le Japon battant l’Allemagne). Et pourtant ! Sinon, la Pologne de Lewandowski a réussi à se hisser en 1/8° de finale grâce au goal-average et le Mexique peut rentrer au pays. Aïe caramba ! Le Qatar et l’Arabie Saoudite au vestiaire, ça valait le coup d’organiser un mondial dans le désert.
Un zéro pointé pour le Canada (c’est pas du Hockey sur glace) et l’élimination des petits belges dans le groupe E. Les Diables rouges nous avaient habitué à mieux. Il faudra se méfier des Croates avec leur trio Modric, Brozovic, Perisic, que je verrais bien dans le carré de tête. Et bravo au Maroc des Aguerd, Boufal et Hakimi (on a les mêmes à la maison, dans notre championnat de Ligue 1). Dommage qu’ils n’aient pas sélectionné Abdelhamid, le vaillant capitaine rémois.
Le groupe F est encore le plus fou. Le Japon du néo-rémois Ito a commencé par battre l’Allemagne, puis l’Espagne, deux grands favoris. Ils n’ont été battus que par le Costa Rica de Navas. Résultat de la manœuvre, l’Espagne de Morata, Torres et Gavi se qualifie au goal-average quand la grande Allemagne des Muller, Sané, Kimmich, Gündogan ou Neuer peut rentrer chez elle, comme en 2018. Ach ! On va bientôt pouvoir dire que, dès le début, c’est toujours les Allemands qui perdent.
Quid du groupe G ? L’Uruguay n’aura pas beaucoup utilisé ses stars vieillissantes (Godin, Suarez, Cavani) et le relève n’était pas tout à fait prête, mais ce fut une question de seconde et le deuxième but coréen (de l’ancien Girondin Hwang) en fin de match les condamne. Le Ghana des frères Ayew n’a pas brillé et le Portugal des Neves, Bernardo Silva, Fernandes et du vieux Christiano Ronaldo passent à l’aise, malgré une ultime défaite contre la Corée du Sud. Ils auront fait comme la France avec la Tunisie. Personne n’aura fait carton plein finalement.
Personne sauf le Brésil ? Résultat non parvenu à l’heure où on met sous presse, comme on dit dans les journaux sérieux, pour le match Brésil – Cameroun mais il serait étonnant que les Camerounais battent les Casemiro, Richardison ou Rodrygo. Dommage que les couleurs Auriverdé se soient confondues avec Bolsonaro, hein Neymar ? (encore blessé). On peut parier que la Suisse va l’accompagner car il faudrait une victoire des Serbes pour les propulser en 1/8° de finale. Un match qui revêt un caractère politique avec les nombreux réfugiés Kosovars qui composent la Nati et les revendications serbes sur le territoire du Kosovo. L’aigle bicéphale va planer sur la rencontre.
Vivement que ça se termine, que je ne me sente plus obligé de ne pas regarder les matchs. Vais-je tenir jusqu’à la finale ? Le suspense reste entier. À la fois prochaine avec la troisième et dernière chronique qataresque. Et qu’on n’en parle plus !
* finalement, notre Stéphanie nationale a pu arbitrer des matchs de phase finale.
2 décembre 2022
Probablement que certains te trouveront trop cynique, mais moi je pense que tu as complètement raison.
Je crois que c’est la première fois de ma (déjà longue) vie, que je lis un commentaire de football ! Bravo Didier, à presque 75 ans il était temps que je m’y mette ! Evidemment j’ai boycotté les matches à la télé, mais comme le dit Ruffin : facile de boycotter ce que tu ne fais jamais ! Jean-François