Partira, partira pas ? Le sort de Kylian M’ Bappé aura été le feuilleton de l’été, entre les sécheresses, les inondations et les incendies de forêt dans la fournaise générale. Autres sujets de conversation dans les bistrots, la bonne coupe du monde de nos Bleues et la rétrogradation en amateurs du F.C Sochaux, club emblématique du championnat de France. Avant d’en venir aux transferts, la prochaine fois, un petit historique de ce club légendaire.
Malgré toutes les garanties apportées par Romain Peugeot, un rejeton de la famille, le F.C Sochaux, qui s’est pris les pieds dans les dernières marches vers le podium de la Ligue 2, jouera la saison prochaine en Régionale 1, s’il n’est pas repêché en National après les interventions de l’ancien président Jean-Claude Plessis. Le gendarme du football, la DNCG, avait envisagé le sauvetage après que le club se fût séparé de ses meilleurs joueurs pour rétablir une trésorerie au rouge, mais la LNF n’a pas donné suite aux propositions mises sur la table. Ainsi Annecy est-il repêché (ça fera plaisir à tous les amateurs de football) quand Sochaux est condamné aux enfers de l’anonymat des championnats régionaux. C’est ainsi.
Les pères des gens de ma génération, pour peu qu’ils se soient intéressés au foot, ont souvent parlé du Sochaux d’avant-guerre, l’équipe qui – dans les années 1930 – avait remporté deux championnats (1935 et 1938) et une coupe de France (en 1937). Une équipe des jaunes et bleus où évoluaient des joueurs légendaires comme Di Lorto ou Courtois, meilleur buteur du club toutes générations confondues.
Le FCSM (FC Sochaux Montbéliard) était l’un des plus vieux clubs professionnels français, porté sur les fonts baptismaux par les patrons des usines Peugeot dès 1928. Le F.C Sochaux gardera son statut professionnel jusqu’aux récents événements et palinodies judiciaires qui le voient descendre les échelons à vitesse accélérée.
Après guerre, le Sochaux ne brille plus au firmament des clubs français, laissant les titres au LOSC, à Strasbourg, à Nice ou au Stade de Reims. S’ils restent en première division, les Sochaliens finissent souvent dans le ventre mou du classement, en milieu de tableau, avant de se voir relégués en Division 2 pour la première fois de leur déjà longue histoire, et remonter aussitôt en 1963.
Dès lors, Sochaux fera partie des ténors de la Division 1, valeur sûre du championnat de France.
Ainsi, les Lionceaux prennent part à la finale de la Coupe de France en 1967, avec des joueurs estimables comme l’international Claude Quittet, Bourdoncle, Andrieux, Dewilder ou Lemaire, plus l’ancien lensois Maryan Wisniewski sur l’aile. Ils sont battus par l’Olympique Lyonnais mais redorent leur blason passablement terni après plusieurs saisons à flirter avec la relégation.
Il faudra attendre la fin des années 1970 pour retrouver une grande équipe sochalienne. Les lionceaux terminent aux places d’honneur la saison 1979 – 1980, ce qui les autorise à disputer la coupe de l’UEFA avec une équipe de grande valeur : Rust dans les buts ; Bezaz, Bonnevay, Ruty, Croci en défense ; Colin, Genghini et Djadaoui au milieu ; Stopyra, Anziani et Patrick Revelli, le vieux Gaulois, en attaque. Plus les Yougoslaves Ivezic ou Durkalic et le tout sous la houlette de l’ex Strasbourgeois René Hauss.
Ils iront jusqu’en demi-finale, défaits par les Néerlandais de l’AZ (Alkmar – Zenden) 67 qui perdra à son tour la finale contre les Anglais d’Ipswich Town. « Comtois, rends-toi, nenni ma foi ! » (ce qu’auraient répondu les assiégés de Dole en 1636 aux troupes du Prince de Condé, d’après certains historiens), telle aurait pu être la fière devise des Sochaliens de cette époque emmenés par Bernard Genghini, l’homme aux coups francs magiques au même titre qu’un Michel Platini. Un parcours européen où Sochaux triomphe du Frem Copenhague, des Hibernians de Edimbourg, du Boavista Porto, de l’Eintracht de Francfort et des Suisses des Grasshoppers de Zurich et du Servette Genève. On appelle cela une épopée, chez les journalistes sportifs.
Ce sera le zénith pour des Sochaliens qui feront ensuite l’ascenseur entre Division 1 et Division 2, après une finale en Coupe de France perdue contre le F.C Metz, avec des joueurs comme le Yougoslave Hadzibegic (celui-là même qui ratera le penalty fatidique éliminant son équipe en coupe du monde, contre l’Italie en 1990. Certains commentateurs y verront la vraie raison du démantèlement de la Yougoslavie l’année d’après), le buteur Pierre-Alain Frau et son alter ego Pagis. Il y aura aussi Stéphane Paille, concurrent d’Éric Cantona au poste d’avant-centre de la sélection nationale. La dernière grande équipe de Sochaux.
Ou disons l’avant-dernière, car il y aura une nouvelle finale de Coupe de France, en 2007, gagnée cette fois par les Sochaliens contre l’Olympique de Marseille. Ce jour-là, les Lionceaux sont menés 2 à 0 contre l’O.M des Nasri, Cissé et Ribéry. C’est Jérôme Leroy, aidé par son compère Le Tallec, qui renverse le match à lui tout seul, ou presque, en plantant deux buts en fin de match. Sochaux l’emportera aux penalties.
Rien d’exceptionnel pourtant dans cet effectif mené par l’entraîneur Alain Perrin, mais la gniaque, la combativité et le fightning-spirit d’une équipe modeste capable de se transcender comme elle le fit en Coupe d’Europe avec ses grands anciens. À part l’international marocain Ziani et le Sénégalais Diagano, on aurait peine à citer des noms qu’aura retenu l’histoire du football. Marvin Martin peut-être, étonnant footballeur appelé « le nouveau Zidane » et qui, après blessure, ne retrouvera plus jamais son niveau. Il y aura aussi un autre Martin, Florian, qui fera le tour de France des clubs, de Lorient à Niort en passant par Paris (F.C) et Valenciennes.
En coupe Europa, les Lionceaux ne renouvelleront pas leurs exploits passés, battus au premier tour par les Belges d’Anderlecht. Ce sera leur chant du cygne, ou leur râle du lionceau pour rester dans la métaphore animalière. S’en suivra une valse des entraîneurs avec notamment Guy Lacombe, Bijotat, Santini… Plus les inévitables ex-yougoslaves Bazdarevic ou Hadzibegic toujours fidèle au poste.
Car les choses vont aller de mal en pis pour Sochaux qui est relégué en 2014 avec pourtant des joueurs talentueux comme Bouzebouz ou Camara. Mais Sochaux ne pourra plus enrayer la spirale négative et, à chaque saison, montrera des velléités de montée avant de revenir dans le ventre mou du classement.
Le Stade Bonnal se désemplit et c’est un autre Sénégalais, Omar Daf, qui prend les rênes du club. La Peuge est au plus mal et les dépenses sont comptées. On ne recrute plus cher et on vend au plus offrant. Ce qui faisait la force du club, la solidarité ouvrière se retrouvant sur le terrain avec une exemplaire cohésion, n’est plus qu’un vague souvenir et l’équipe se délite après une dernière saison prometteuse où Sochaux talonne Bordeaux durant toute la première partie de la saison. Ni les uns ni les autres ne monteront et, si les grands clubs ne meurent jamais, certains agonisent pendant des décennies. Olivier Guégan sera limogé à 5 journées de la fin et c’est Monsoreau, un ex-espoir du club, qui présidera aux derniers jours de son équipe de cœur.
Les jaunes et bleus sont interdits de recrutement dans un premier temps, avant de devoir mettre la tête sur le billot. Les actionnaires chinois, qui avaient repris le club au début des années 2000, ne répondent plus et opposent une fin de non recevoir. Romain Peugeot propose d’y laisser sa chemise mais ses généreuses intentions n’ont pas l’heur de convaincre en hauts lieux. On connaît la suite, exposée sommairement au début de cet article.
La vieille Peugeot a fait place à Stellandis et la voiture électrique a supplanté les déjà condamnés véhicules à essence. Les travées du Stade Bonnal vont continuer de se vider et la ville de Montbéliard ne sera plus connue que comme une sous-préfecture du département du Doubs célèbre pour sa race bovine.
Sic transit… Comme d’ailleurs les Sangliers des Ardennes, Sedan, lui aussi rétrogradé dans les profondeurs abyssales du football amateur à la suite d’une autre décision contestable de la DGCN approuvée par la LNF. Sochaux, Sedan… Après d’autres chefs-d’œuvre en périls qu’ont été les équipes parisiennes du Racing ou du Stade Français, sans parler du F.C Rouen remonté en National cette saison.
On oubliera pas de sitôt les maillots jaunes et shorts bleus du F.C Sochaux, pépinière de talents, de jeunes espoirs du football français, et refuge hospitalier de nombreux joueurs yougoslaves (au temps où ce pays existait encore) en fin de carrière. Sans parler des joueurs maghrébins et africains, toujours nombreux dans ce club à l’âme ouvrière ouverte sur le monde.
Chacun était le bienvenu à Sochaux, à condition de travailler dur et de mouiller le maillot. Voilà comme on met fin à 95 ans de football professionnel, dans l’indifférence générale et avec la complicité des hautes instances du foot français. Les lionceaux ne rugiront plus dans la jungle d’un football moderne où prolifèrent les vautours et les hyènes. Doubistes sehr krank !
13 août 2023
PS : dernière minute, Sochaux est repêché en National, après avoir liquidé la totalité de son effectif. Une belle jambe !