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NOTES DE LECTURE (54)

ALEXANDRE DUMAS – LE COMTE DE MONTÉ CRISTO 1 et 2 – Marabout et Le livre de poche.

Dumas père, photo Nadar.

J’ai passé une bonne partie de mon été à lire – je ne dis pas à relire – le chef-d’œuvre de Dumas. Plus de 1300 pages au total et, même si sa lecture en est captivante, on est quand même soulagé d’être arrivé au bout de ce marathon littéraire.

L’histoire est archi-connue, même par celles et ceux qui n’ont pas lu le roman : Dantès, un marin, est emprisonné à la suite d’une cabale contre lui menée par un magistrat qui veut sauver son père, compromis dans un complot bonapartiste. Il purge 14 années de prison au château d’If où il fait la connaissance de l’abbé Faria, voisin de cellule avec qui il communique. Faria ne cesse de parler de son trésor enfoui dans une grotte de l’île de Monté-Cristo et, une fois mort, Dantès prend sa place dans son lit et, pris pour mort, est balancé à la mer par les gardiens. Il survit miraculeusement, se rend acquéreur du somptueux trésor et devient le comte de Monté-Cristo, qui a décidé de récompenser les bons et de punir les méchants, à l’image d’un dieu de vengeance.

Monté-Cristo monte à Paris et est devenu un dandy richissime, un Pic de la Mirandole aussi savant qu’érudit après la fréquentation de Faria. Sa promise, Mercédès, a épousé son cousin Fernand, celui qui avec le banquier Danglars l’avait fait emprisonner. Caderousse, un complice, a ouvert une auberge dans le Gard et ne perdra rien pour attendre.

Le premier volume, outre le complot, la prison et le trésor, est consacré à la récompense des bons, l’armateur Morrel qu’il sauve de la banqueroute et son fils, engagé dans les spahis, qu’il tient pour son propre fils. La seconde est le récit de la vengeance. Dantès prend mille visages et mille identités : Simbad le marin, Lord Wilmore, Monté-Cristo… Il pousse les uns au suicide, les autres à la banqueroute et les derniers au malheur, en ange exterminateur, en puissance divine qu’il est devenu. Son malheur passé lui donne les moyens de sa vengeance (il est immensément riche, s’est entouré de domestiques dévoués et a ramené sa bien-aimée, Haydée, de Grèce), qu’il assouvit avec lenteur et raffinement, distillant la souffrance comme pour un élixir. Un supplice chinois qu’il applique en esthète.

Toutes et tous tombent les uns après les autres. Les baronnes, les politiciens, les journalistes, les banquiers et les viveurs de cette société balzacienne (on est sous Louis-Philippe) tombent dans les pièges tendus par le deux ex machina qui, comme une araignée, les attire dans sa gigantesque toile à la dimension du monde. Un coup de pied dans la fourmilière ou un coup de torchon. Seul l’amour, l’amour qu’il porte à Haydée et l’amour de Maximilien, le fils de Morrel mettra un terme à l’hécatombe et, devant cette souffrance et ces vies ruinées, Monté-Cristo finit par prendre peur de lui-même et de ses pouvoirs, s’en remettant à dieu et se repentant : « attendre et espérer », telle est sa devise et la dernière phrase du livre.

C’est un roman obèse, avec des chapitres qui s’enchaînent sans toujours une grande cohérence. Les situations et les personnages (énormément de personnages secondaires) sont multiples, beaucoup trop nombreux pour qu’on s’y retrouve. Pour corser le tout, les personnages ont presque tous changé d’identité ou de nom à la faveur des circonstances. Il y a aussi le volet italien, marseillais et corse de l’affaire, avec des figures que nous retrouvons 15 ans après, puisque Dantès devenu Monté-Cristo est sorti au bout de 14 ans de forteresse.

Et puis, on ne comprend pas comment le brave Dantès, homme de bonté, est devenu Monté-Cristo. La douleur et la souffrance ne font pas tout. À plusieurs reprises, le récit manque de crédibilité et on va de rebondissements en coups de théâtre où les masques tombent les uns après les autres, à la manière du roman populaire à la Eugène Sue. On ressuscite même à la fin Valentine, la promise de Maximilien, pourtant empoisonnée dans les épisodes précédents, mais Monté-Cristo est un demi-dieu omnipotent et omniscient. Et Dumas se permet tout.

La préface nous dit que le roman – sorti à l’époque en 4 volumes – a d’abord été joué au théâtre et qu’un caricaturiste avait dessiné un jeune homme entré voir la pièce et devenu un vieillard en sortant. Au-delà du trait d’humour et de la saillie, on peut y déceler une certaine lassitude devant tant de richesse et de virtuosité.

L’écriture est remarquable, les dialogues ciselés et on ne s’ennuie pas à suivre toutes ces péripéties que Dumas nous fait vivre comme un magicien ferait ses tours. C’est aussi le roman où Dumas se pique le plus de politique et d’économie, empruntant parfois la plume d’un Balzac pour décrire la généalogie des fortunes et la scélératesse des possédants. Presque un roman social, derrière un feu d’artifice de fiction.

C’est Dumas et on ne l’oublie pas, même si le maître aurait gagné à plus de concision, à plus de sobriété. Mais, on le répète, ce n’est ni Balzac, ni Stendhal, ni Flaubert, ni Zola : c’est Dumas, pour notre plus grand plaisir.

MARC VILLARD – ROUGE EST MA COULEUR – Rivages Noir / Payot.

On reparle polar avec Marc Villard, un polareux gauchiste comme on les aime, même s’il n’est pas l’un de ceux qui ont le mieux retenu les leçons du grand Jean-Patrick Manchette.

Une collection lancée par l’hebdomadaire Télérama dans les années 2000, en hommage au polar français. Un court roman d’abord, dont le titre figure ci-dessus, et une quinzaine de nouvelles. Si le rouge est sa couleur, le noir lui va moins bien.

Un roman d’une centaine de pages dont le décor est Chateau-d’Eau / Barbès, avec trafic de drogue, flics pourris, junkies et prostituées. Villard a été critique de rock au Monde de la musique et il connaît ses classiques, truffant son récit de références à Lennon ou à Janis Joplin, entre autres.

Zoé est une junkie en voie de sevrage, mais elle deale encore pour un propriétaire de salle de concert. Son père, David Nolan, a été témoin de l’assassinat de son collègue au cours de la tentative d’arrestation d’un gros bonnet. Laissé en congé à la suite de l’affaire qui lui a fait perdre son meilleur ami, il reprend le collier et le fil de l’enquête pour s’apercevoir que ce sont des flics d’une brigade anti-stups clandestine qui ont fait le coup.

S’ensuit une guerre à mort entre le justicier Nolan et les ex junkies recyclés en policiers anti-drogue. L’affaire finit mal et Zoé, devenue batteuse de jazz à la suite de séances pour junkies repentis (les « junkies anonymes »?) mourra sous les balles de son père alors qu’elle était réfugiée dans le chalet familial du côté de Grenoble. Sale affaire.

Mais Villard n’est pas toujours convaincant avec un humour un peu téléphoné et une certaine complaisance dans le sordide. Les dialogues font mouche, mais sont pauvres. Les situations sont assez convenues et on peut attendre mieux du scénariste du film Neige (de Juliet Bertho) ou de l’auteur de Corvette de nuit. S’il s’inscrit bien dans la tradition du polar français post 68, il n’égale pas l’originalité et le talent d’un Thierry Jonquet, par exemple.

Pour le reste, une quinzaine de nouvelles, on l’a dit, d’une valeur inégale. Toujours les mêmes histoires de cités glauques, de came, de travelos, de putes, de crack, de lolitas délurées, de parents abrutis, de flics tordus, de coups fourrés, de folie suicidaire et de meurtres. Le genre « alcooliques, chômeurs, consanguins ». Les mêmes histoires, avec des variantes, mais on ressent comme une lassitude, même si les références musicales amusent et si certaines phrases sont autant de fulgurances poétiques. Comme des roses sur un tas de fumier. Et puis, on cite des noms de vedettes, de stars du basket, du rap ou du cinéma bien oubliés aujourd’hui, ce qui date les récits et les fige dans le temps.

Voilà, du polar français lambda, vite torché et sans génie. Quant au « sordidisme » des situations, un terme inventé par la critique littéraire américaine à propos d’auteurs comme Selby, l’écrivain new-yorkais y apportait un souffle romantique qu’on aurait du mal à trouver ici. L’ai-je bien descendu ?

TONINO BENACQUISTA – LES MORSURES DE L’AUBE – Rivages Noir.

Même collection, même éditeur, même profil. On pourrait citer aussi des gens comme Daeninckx, Prudhon, Quadruppani, l’autre Vilard (jean-François), Raynal ou Pouy. Du col Mao à la série noire. Un genre.

On a ici un roman solide, bien torché avec un humour omniprésent , des personnages attachants et une intrigue originale. Pour résumer, on a deux glandus dont le métier et d’être pique-assiettes – écornifleurs dans des réceptions et des fêtes et qui se font kidnapper par un inconnu leur demandant de mettre la main sur un type étrange rencontré par nos deux anti-héros dans un cocktail.

Antoine part donc en chasse de l’individu dont la tête est mise à prix tandis que son copain Bertrand est gardé prisonnier dans la cave du commanditaire. S’ensuit une histoire invraisemblable où se mêlent le vampirisme et la violence dans une descente aux enfers guidée par l’absurde.

C’est en fait le père de Jordan et de sa sœur – les deux vampires noctambules – qui a décidé de retrouver ses enfants. Beaumont est un psychanalyste qui, après s’être servi de leur mère pour sa fortune, une fille de famille dépressive mais richissime, est parti aux États-Unis où il s’est acoquiné avec Tim Leary et est devenu le psy du tout Hollywood.

Sa réputation est devenue telle qu’il a été recruté comme psychiatre particulier d’un grossium qui règne sur une armée du crime comparable à la mafia. Ce sont d’ailleurs deux américains payés par l’organisation qui doivent abattre Beaumont et enterrer ses secrets, lui qui les a consignés dans un manuscrit qu’il a l’intention de faire publier, comme une garantie contre ses persécuteurs.

Au final, Antoine se retrouve dans un avion qui atterrit au Bangla Desh quand son ami, dont Beaumont n’a jamais voulu révéler l’adresse où il est séquestré, est devenu secrétaire d’ambassade à Bangkok ; c’était son rêve. On ne cherche pas trop à comprendre une histoire un peu folle où les événements s’enchaînent comme dans un cauchemar, à la manière du Afterhours de Scorcese.

Une verve célinienne mise au service d’une histoire prenante avec le sens de la formule, le goût de l’air du temps et la sagesse d’une certaine philosophie de la vie. Finalement, nos deux resquilleurs se sont révélés des héros faisant la nique à l’internationale du crime et les méchants ont tous été punis. C’est très moral.

Mais c’est surtout un hymne à la nuit à travers les clichés du cinéma populaire qui nous est chanté là. Une nuit parisienne où Bram Stocker embrasserait Carco et où les belles de nuit et les noceurs s’évanouiraient au petit matin en attendant l’heure bleue. Grazie mille Tonino !

ÉMILE ZOLA – LE DOCTEUR PASCAL – Le livre de poche.

On change de genre avec le dernier volume de la saga des Rougon-Macquart, ce Docteur Pascal dont Zola disait qu’il était « la conclusion de toute mon œuvre ». Si c’est lui qui le dit…

On a pas lu tous les Rougon-Macquart et le pape du naturalisme n’a jamais été de nos auteurs favoris, mais il y a chez lui ce grouillement de l’humanité, cette sensualité animale, cette curiosité de la vie qui forcent le respect.

Ici, on a donc le docteur Pascal Rougon – tout le monde l’appelle Pascal, comme s’il n’appartenait pas à la lignée – qui s’est passionné pour la génétique et les lois de l’hérédité qu’il applique à sa propre famille. Il a passé son temps à disséquer les caractères et les traits de ses congénères, jusqu’à en établir une sorte de photographie parfaite, une « histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second empire » (ce qui était le sous-titre de l’œuvre colossale qu’avait entrepris Zola).

Sa mère et sa nièce, toutes deux confites en dévotions, essayent de lui faire abandonner cette vaste entreprise au nom des secrets de famille, ne surtout pas révéler les tares et les vices congénitaux dans un déni bourgeois où compte seulement le paraître. Martine, la servante, se joint au duo et on a ainsi les trois grâces combattant le mal, le matérialisme. Mais Pascal tient bon, en homme des lumières, socialiste et rationaliste, amoureux de la vérité et de la science. Il veut comprendre les leçons du passé pour construire un avenir différent. Marx n’est pas loin.

Il y a tout un chapitre où se trouve résumée à gros traits la saga des Rougon-Macquart à travers tous les personnages des romans et de la saga familiale : Lantier, Eugène Rougon, Octave Mouret, Sacard, l’Abbé Mouret, Gervaise, Nana… Tout est balayé en une trentaine de pages par un Pascal dont les révélations dévastent littéralement sa nièce, Clotilde.

Et puis on le sentait venir : Pascal et Clotilde filent le parfait amour, au grand désespoir de Félicité, la mère. Pascal délaisse ses grandes théories et même la médecine et Clotilde n’est plus confite en bondieuseries, comme si ces deux passions n’étaient que des dérivatifs à leurs frustrations. Les morts s’enchaînent : l’oncle Macquart, brûlé dans son lit, la tante Dine, enfermée à l’asile et le cousin Charles, le beau dégénéré qui meurt d’hémophilie. Tout va bien pour le couple, mais, à la suite d’une indélicatesse de leur notaire, l’argent vient à manquer. Le couple est aux abois.

Félicité Rougon réussit à éviter ce qu’elle considère comme une future mésalliance et elle culpabilise Clotilde qui doit aller soigner son frère Maxime, un fils de Sacard. Pascal la laisse partir, qui s’imagine s’approprier indûment sa jeunesse, lui qui est vieux et sans le sou.

Puis c’est la mort de Pascal, d’une angine de poitrine alors que Clotilde vient d’avoir un enfant et a voulu accourir vers lui pour montrer le fruit de leur amour. Les étagères du docteur sont vidées par Félicité et Clotilde ne parvient à sauver que l’arbre généalogique.

L’honneur est sauf pour la famille, mais c’est la honte qui est sur eux. Les dernières pages sont un hymne à la vie, à l’avenir, à la science et au bonheur futur. C’est Zola qui parle, lui qui fut à sa manière un socialiste utopiste.

C’est Zola, parfois bavard, avec un style nerveux sous-tendu par un constante exaltation. On peut s’en irriter, mais on ne peut ignorer celui qui faisait à travers ses livres, de la sociologie et de la politique, connaissant comme personne la nature humaine, la lutte des classes, les rapports de domination et les inégalités sociales et économiques. Il est en cela précurseur du roman du XX° siècle, celui d’Aragon, de Guilloux, de Giono ou de Vailland. Dans le mille, Émile !

10 octobre 2023

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