Johan Neeskens est décédé à Alger le 6 octobre 2024. Joueur fin et inspiré, il était l’archétype du milieu défensif moderne, aussi à l’aise dans ses interceptions que dans ses relances. L’autre Johan (avec Cruyff) qui, durant de longues années, aura été un titulaire indiscutable de l’Ajax Amsterdam et de la sélection néerlandaise dont il était le pilier. L’Oranje mécanique. L’occasion de se souvenir du grand Ajax des années Cruyff – Neeskens (1969 – 1974), tous les deux exilés au Barça avant les États-Unis et ultime retour au pays.
D’abord Neeskens avant de passer à l’Ajax, à la tornade rouge. Il débute dans le club de sa ville natale, Heemstede, avant que d’être recruté à 19 ans à l’Ajax Amsterdam. L’Ajax est le nouveau grand d’Europe, taillant des croupières aux Madrilènes, aux Munichois, aux Mancuniens et aux Milanais.
C’est le football total, option défendue par Rinus Michels, son entraîneur et qui sera maintenue par Stefan Kovacs par la suite. Football total, ça veut dire que les joueurs ne restent pas cantonnés à leur poste de prédilection, mais que tout le monde attaque lorsqu’il faut attaquer, et que tout le monde défend lorsqu’il s’agit de défendre. Ainsi, les arrières latéraux peuvent se transformer en vrais ailiers quand les attaquants se retrouvent parfois en défense. Le rôle des milieux de terrain s’en trouve renforcé car eux sont partout, en défense centrale comme à la pointe de l’attaque. Johan Neeskens est ce ces joueurs-là et, avec les frères Muhren et Haan, il compose un milieu virevoltant, chatoyant et diablement efficace.
Avec cet Ajax-là, Neeskens remportera deux championnats et deux coupes des Pays-Bas, trois Coupes d’Europe des clubs champions, une Super-coupe d’Europe et une coupe Intercontinentale, en seulement quatre ans de présence.
En 1974, soit un an après son ami Johan Cruyff, il part au Barça mais il aura du mal à s’imposer dans une équipe loin d’être pénétrée des fulgurances tactiques des Michels et Kovacs. Il remporte quand même tardivement une Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe et une Coupe du roi, compétition qui oppose chaque année le vainqueur du championnat à celui de la coupe. Un maigre bilan. Néanmoins, les supporters catalans le baptiseront « Segon Johan », en référence à Cruyff, soit Johan le second.
Il quitte le Barça à la fin des années 1970 pour poser ses valises aux États-Unis, à Ellis Island et à New York. Plus exactement le Cosmos de New York, club phare du Soccer américain créé par les frères Ertegun, propriétaires du label Atlantic. Les Turcs n’hésitent pas à casser leur tirelire en recrutant les plus grands joueurs européens, même si pas au mieux de leur forme et accusant le poids des ans : Neeskens mais aussi Beckenbauer, Rijsbergen, Chinaglia. Européens puis Sud-américains avec Pelé, Carlos Alberto ou le Colombien Cabanas. Une dream team avant la lettre où même Cruyff viendra jouer quelques matchs exhibition avant de partir pour Los Angeles rejoindre George Best.
Neeskens se distingue dans la grosse pomme par son abattage physique et la qualité de son jeu, éternelle dynamo, infatigable, pour permettre aux artistes de s’exprimer à leur meilleur. Mais il n’est pas un porteur d’eau pour autant, lui dont le bagage technique est impressionnant.
Il jouera au Cosmos de 1979 à 1984 avant de retourner au pays, à Groningen où il évoluera au milieu des années 1980 puis encore aux États-Unis, en fin de carrière : Thunder du Minnesota d’abord, puis Fort Lauderdale (Floride) avant de terminer sur les rotules en Suisse, comme un exilé fiscal, à Baar puis à Zoug. Un globe-trotter du ballon rond.
Avec les Oranje, ce seront 49 sélections entre 1970 et 1981 pour un total de 17 buts, pas si mal pour un milieu de terrain. Deux finales de Coupe du monde (1974 et 1978) où les Néerlandais devaient à chaque fois l’emporter n’étaient la guigne et l’arbitrage et une troisième place à l’Euro 1976.
Comme entraîneur, Neeskens débute en Suisse où il avait joué les prolongations de sa carrière de footballeur. Puis c’est l’Allemagne et le Singen 04 avant retour au pays natal à Nimègue. Il terminera en Afrique du Sud au Mamelodi Sundowns, un club de la banlieue de Pretoria.
Jusque la fin des années 1960, le club phare des Pays-Bas était sans conteste le Feyenoord de Rotterdam, vainqueur de la Coupe d’Europe des clubs champions aux dépends du Celtic Glasgow en 1970 et collectionnant les titres de champion des Pays-Bas et de vainqueur de la coupe.
Pourtant, l’Ajax a déjà fait parler de lui avec un parcours intéressant en Coupe des villes de foire (future coupe de l’UEFA) et avec une victoire remarquée contre le Liverpool F.C de Bill Shankly en 1967 pour un quart de finale de Coupe d’Europe des clubs champions. Les lutins de l’Ajax ridiculisent les Reds (5 à 1 à Amsterdam et 2-2 à Anfield Road). L’écrivain David Peace décrit ce match comme un cauchemar avec un épais brouillard pour une rencontre que l’arbitre menace plusieurs fois d’interrompre. (David Peace – Rouge ou mort – Rivages).
C’est déjà l’émergence du grand Ajax, cette équipe qui sera complète pour jouer une finale perdue, deux ans plus tard, contre le Milan A.C des Rivera, Rosato, Prati ou Riva. L’expérience a parlé, mais le monde du football s’accorde pour reconnaître que les jeunes néerlandais ont été meilleurs. C’est un peu leur drame à ce stade : un football léché, une technique redoutable, une condition physique qui ferait pâlir d’envie les footballeurs des pays de l’est, mais pas vraiment de schéma tactique rigoureux et une certaine naïveté qui les empêchent de percer le plafond de verre.
Ce sera chose faite en 1971 avec deux victoires en demi-finale contre l’Athletico de Madrid et une première Coupe d’Europe obtenue contre les Grecs du Pantathinaikos. Le 11 de l’Ajax ne bougera plus : Stuy dans les buts, Suurbier – Hulshof – Blankenberg et Krol en défense, Arnold Muhren, Haan et Neeskens au milieu et, en attaque, Swaarte – Cruyff et Keizer. Plus des remplaçants de luxe comme le cadet des Muhren, Gerrie ou Johnny Rep. L’Ajax remporte la Coupe intercontinentale contre les Argentins de l’Independiente.
Rebelote en 1972 avec la même équipe. Après avoir sorti le Bayern et le Real, les terreurs du moment, l’Ajax bat l’Inter de Milan en finale et ridiculise le Milan A.C en Super coupe (6-0) à l’aller. Les tifosi milanais détestent cet Ajax-là.
D’autant que ce n’est pas terminé et que c’est encore un club italien qui fait les frais de la tornade rouge. L’Ajax bat la Juventus de Turin en 1973 et remporte sa troisième coupe à grandes oreilles. L’année d’après, il seront battus par le CSKA Sofia en huitièmes de finale, mais Cruyff est parti au Barça, Keizer a raccroché les crampons. Puis ce sera l’exode : Neeskens lui aussi au Barça, Arie Haan à Anderlecht, Rudy Krol à Naples. Plus tard, Suurbier à l’A.S Cannes, Rep à Bastia avant Saint-Étienne ou encore Arnold Muhren à Ipswich avant Manchester United. Les renforts ne sont pas à la hauteur et il faudra une reconstruction totale pour que l’Ajax grimpe encore sur le toit de l’Europe.
D’abord une Coupe de vainqueurs de coupe contre le Lokomotiv Leipzig en 1987 avant une défaite en finale contre Malines dans la même compétition l’année d’après. Une finale de l’UEFA perdue avec la règle des buts à l’extérieur contre Torino et enfin le retour en grâce avec une victoire en C1 contre le Milan A.C en 1995. Le Milan A.C des Baresi, Maldini, Donadoni et du trio néerlandais Rijkgaard, Gullitt et Van Basten. En 1996, l’Ajax sera battu en finale par d’autres italiens, ceux de la Juventus.
L’Ajax de l’époque avec les Van Der Saar, De Boer, Davids, Seedorf, Overmars, Bergkamp ou Kluivert. Une nouvelle génération qui ferait presque oublier celle des années 1970. Louis Van Gaal, le sorcier des bancs de touche qui sévira au Barça, a remplacé les Michels et Kovacs.
Mais l’Ajax ne retrouvera plus son lustre et les années qui suivent seront laborieuses. On verra même l’ex grand d’Europe se traîner dans les profondeurs du classement du championnat néerlandais l’année dernière. Grandeur et décadence. Mais un renouveau est toujours possible et les talents continuent de pousser sur les rives de l’Amstel.
Une dernière anecdote, la rivalité entre Feyenoord et l’Ajax est légendaire aux Pays-Bas et les rouges, blancs et noirs de Feyenoord ont une sale galerie de supporters fascisants qui traitent les Amstellodamois de « juifs », le club ayant été fondé par la communauté juive. Ce n’est pas pour rien que les fascistes triomphent là-bas. On préférait nettement les lutins chevelus de l’Ajax.
26 octobre 2024
J’ai raté l’info de sa mort. Le plus marquant souvenir que j’ai de lui, c’est un détail : la façon dont il tirait les penalties : 0 feinte et patate dans la lucarne. Si le gardien touchait la balle, il y laissait les doigts…