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NOTES DE LECTURE 71

OSCAR WILDE – LES PENSÉES – Le cherche midi

Oscar Wilde, Irish dandy (photo Wikipedia)

Avant ses pensées, on a droit à une biographie d’Oscar Wilde, né à Dublin en 1854 d’une artiste fantasque et d’un médecin porté sur la boisson. Très jeune, il choque par ses provocations et son accoutrement avant de gagner Londres et d’obtenir des succès au théâtre. Ses poèmes sont publiés et il part aux États-Unis où il donne des conférences. On vient le voir comme une bête de foire : le vrai dandy britannique arrogant et fanfaron.

À Paris, il rencontre Sarah Bernhard et André Gide, Mallarmé, Verlaine et Pierre Louys avec qui il va écrire un opéra. Rien ne lui résiste et on l’invite partout pour son humour corrosif et son sens de la formule.

Puis c’est l’affaire de Sir Alfred Douglas et le procès en homosexualité que lui intente le père du jeune homme, le marquis de Queensberry. « Celui que vous accusez est un autre ». Deux ans dans la geôle de Reading d’où il écrit ses derniers poèmes après avoir sorti son chef-d’œuvre, juste avant son incarcération, Le portrait de Dorian Gray. Wilde n’est plus le même après cette triste expérience et il mourra peu après, au tout début du siècle à venir , à 46 ans.

Les pensées de Wilde sont plutôt attendues : méchantes, paradoxales, cyniques, anticonformistes, misogynes, romantiques et misanthropes. Wilde sacrifie tout à la beauté, à l’art, à l’artifice et à la sophistication. Il ne déteste rien tant que la société, le travail, les gens sérieux, les règlements, le mariage, le conformisme, la nature, le réel et tout ce qui peut nuire à la fantaisie et à la liberté de l’individu. On pourrait facilement le taxer d’individualiste et de réactionnaire, mais quelle signification pour lui ? Dandy jusqu’au bout des ongles, narcisse rêveur détestant son temps, cette ère victorienne pudibonde et hypocrite qu’il abhorre. On aurait aimé pouvoir sélectionner quelques pensées, mais rien ne se démarque vraiment du reste et si tout y est drôle et enlevé, on a souvent un peu trop l’impression de l’entendre parler pour la postérité, avec un rien de fatuité. Toujours à la recherche du bon mot, cela doit être fatigant à la longue.

La partie la plus intéressante de ce petit livre est encore ce témoignage d’un gardien qui l’a côtoyé à Reading et qui décrit Wilde tel qu’il était là-bas en enfant triste ivre de mélancolie et plein de grâce, comme un saint laïc étranger au monde et à ses semblables. Une image qui forme contraste avec le dandy insolent qu’il était dans sa jeunesse, mais les deux Wilde se rejoignent dans cette mélancolie incurable dissimulée dans la gaîté à l’âge tendre comme dans la bonté à l’âge mur.

Une pensée quand même : à la douane, aux États-Unis, on lui demanda ce qu’il avait à déclarer. « Je n’ai à déclarer que mon génie », dit-il. Avec tant de conviction qu’on s’interdit de rire. Wilde thing !

ALAIN-FOURNIER – LE GRAND MEAULNES – Éditions Emile-Paul Frère / Le livre de poche

Le genre de livre qu’on vous oblige à lire à l’adolescence et qui vous ennuie dès les premières pages. On lui donnera une seconde chance. Et on fera bien. On sait que l’auteur est mort au front, aux premiers tirs échangés dès septembre 1914, durant la première guerre mondiale, et que ce classique du romantisme sera son testament.

François, un enfant qui vit à la campagne dans l’école où ses parents sont instituteurs, est fasciné par un nouveau pensionnaire, le grand Meaulnes. Augustin Meaulnes est plus âgé que lui, intrépide et ayant soif d’aventures. Ses tentatives ratées de fugue lui font une mauvaise réputation, mais il s’obstine et embarque François dans ses rêves d’évasion. Un roman qui ressemble un peu au Battling le ténébreux de Vialatte, même si on est un peu en-deça.

La première escapade tourne court avec arrêt nocturne dans une ferme près de Vierzon, mais l’essentiel est de poursuivre leur rêve commun. Puis François n’est plus que le narrateur des aventures du grand Meaulnes qui s’invite dans une noce de village donnant lieu à un bal costumé. Mais la fête se finit tristement car, après avoir rencontré une jeune fille, Frantz le futur marié en mal de confidences lui annonce que sa promise ne veut plus de lui. C’est Yvonne de Galais, celle-là même qui a sympathisé avec Meaulnes.

Retour à l’école. C’est maintenant l’hiver et Meaulnes retrouve François avec qui il poursuit une bande de voleurs dans le domaine, un château à la sortie du village. L’aventure au coin de la rue. La bande se compose d’élèves menés par deux bohémiens, les saltimbanques que Meaulnes avait connu à la fête. Après l’échauffourée, Meaulnes et François sympathisent avec eux qui leur parlent du domaine perdu.

Les deux bohémiens ne sont que le fiancé de la fête et un comédien. Le fiancé porte un bandeau autour de la tête après une tentative de suicide. Ils donnent des représentations de leur petit cirque et fascinent Meaulnes et son camarade. Ils décident de repartir à la recherche du domaine perdu, cette propriété où Meaulnes s’était invité à la noce. Faux-départ et ils se retrouvent au-delà des prés communaux.

Puis Meaulnes retourne chez sa mère à Paris et François est tenté d’abandonner leur rêve alimenté par des lettres qu’il reçoit de Paris où Meaulnes confond la jeune fille du domaine avec une femme qui vient s’asseoir sur le même banc que lui, le soir. Mais leur rêve est en fuite et l’aventure semble terminée. Le rêve et l’aventure qui n’existent que pour le rêveur ou l’aventurier.

Delouche, un écolier qui essaie de remplacer Meaulnes sans y parvenir, vient à parler lui aussi du domaine perdu qu’il décrit comme un château-fort en ruines où vit une famille aristocratique. Il n’en faut pas plus pour fouetter l’imagination de François et faire renaître le rêve. D’autant qu’une parente chez qui il passe des vacances lui parle du domaine des sablonnières et de cette fameuse fête de mariage où la promise s’est enfuie dans leur charrette. Meaulnes est informé de l’histoire et il renonce à un voyage prévue de longue date. La jeune fille en question serait partie à Paris, est-ce la fille du banc ?

Meaulnes revient au pays pour épouser Yvonnes de Galais, la sœur de Frantz, mais il s’ennuie avec elle, quitte le domicile conjugal et part à la recherche du frère. Yvonne accouche d’une fille et meurt peu de temps après et elle a fait ses confidences à François : Meaulnes cherchait son rêve et n’a pu se satisfaire d’une vie de couple.

François, devenu instituteur, retrouve dans un casier le journal tenu par Meaulnes qui raconte ses aventures parisiennes et ses retrouvailles avec une certaine demoiselle Blondeau dont il se persuade qu’elle est le jeune fille du mariage, la promise ayant pris la fuite. Il l’aime toujours mais se sacrifie pour Frantz et les deux amants tragiques peuvent se retrouver. François lui présente sa fille mais Meaulnes semble ailleurs, comme perdu dans ses rêves trop grands pour lui.

On aura compris que ce livre parle, d’une façon un peu vieillotte, de l’impossible rêve, de l’aventure empêchée et du romantisme. Il y avait un livre de ADG (son vrai nom était Alain Fournier) qui s’appelait Le grand môme, un polar amusant se déroulant au même endroit, dans le Cher. Les coups de revolver y abondaient mais le vrai Alain-Fournier n’aura connu que les shrapnels allemands. Autre époque.

BALZACFERRAGUS / LA FILLE AUX YEUX D’ORGarnier / Flammarion

On a déjà parlé ici de L’histoire des Treize et on a trouvé un fort volume réunissant les deux autres livres composant cette suite romanesque. L’occasion de revenir sur ce cher Balzac, l’un des auteurs les plus prolifiques avec peut-être Simenon et San Antonio, dans des genres différents.

Une longue introduction nous apprend que Balzac a laissé en court de chemin l’idée des Treize, cette franc-maçonnerie de surhommes nietzschéens, brigands « en gants jaunes et carrosse ». Il se contentera de l’histoire de l’ancien forçat Ferragus, de l’explorateur réchappé des guerres napoléoniennes Mérivaux (La duchesse de Langeais) et du dandy De Marçay pour La fille aux yeux d’or. Autant d’individus qui s’entraident surtout pour satisfaire leurs plaisirs et déroger à la loi. Pour Balzac, la véritable histoire des Treize ne peut se conter qu’entre gens avertis, le soir à la veillée. Manière d’avouer que, s’il s’est un temps passionné pour cette histoire, le soufflet est vite retombé.

Commençons donc par Ferragus. D’abord une description des rues de Paris avec un sieur Auguste de Maulincour qui s’éprend de Madame Jules, une demi-mondaine mariée au banquier Jules Desmarets. Ferragus fait ensuite son entrée, comme au théâtre. Un ancien forçat on l’a dit. Il s’appelle en fait Bourignard ou Monsieur de Funcal. Mille noms et mille visages. C’est du Eugène Sue. Maulincour le voit roder près de l’appartement clandestin de Madame Jules et il tombe sur une lettre tombée de sa poche envoyée par elle. Intrigué, il va rendre la lettre mais l’ex-bagnard a des soupçons. Maulincour échappe à deux accidents, à un empoisonnement et doit se battre en duel. Il pense que Ferragus, qu’on dit mort, n’est pas étranger à ses turpitudes. La lutte s’engage.

Monsieur Jules soupçonne son épouse d’infidélité et il lui prête une aventure avec Maulincour, mais il se trompe d’amant. Maulincour affranchit Desmarets sur la vraie nature de l’infidélité. Sur ces entrefaites, c’est Ida, une grisette qui s’introduit chez les Desmarets pour accuser Madame Jules d’essayer de lui voler son Jules, justement, Ferragus. Confusion, c’est du Feydeau cette fois.

Desmarets tend un piège à Ferragus en s’arrangeant avec sa logeuse – la mère d’Ida – pour pouvoir épier une conversation entre lui et son épouse. Elle accepte et on va avoir enfin le fin mot. On s’en doutait un peu ; au fil de la conversation, on apprend que Ferragus est le père de Madame Jules alias Clémence Desmarets. Bourignard est tenu pour mort et le chef des dévorants (la bande de malfrats qu’il régit) est devenu De Funcal avec fausse lettre de mission de l’ambassade du Portugal, comme Vautrin était devenu un évêque espagnol. La pauvre Ida quant à elle laisse une lettre où elle crie ses intentions de suicide. La mère se désole et Desmarets, depuis son trou de serrure, est démasqué.

Desmarets s ‘en veut d’avoir soupçonné sa femme et celle-ci lui raconte sa triste vie avant de s’éteindre, morte de chagrin. Ferragus avait agi dans l’ombre pour garantir la fortune de Desmarets . On passe à l’enterrement dont les modalités sont contrariées par la bureaucratie parisienne et on s’achemine vers l’épilogue. Madame Jules est enterrée au Père-Lachaise mais une urne funéraire sera remise, plus tard, à Desmarets. Le corps de la pauvre Ida sera retrouvé dans la Seine par des pêcheurs et elle sera mise à la fosse commune. Desmarets apercevra encore Ferragus, roi des Dévorants, hâve et décharné, au milieu de joueurs de boules. Maulincour est mort lui aussi, hanté par une aventure trop grande pour lui. Ainsi s’achève le roman.

Autant dire que l’on est loin du meilleur Balzac. Une histoire entre fantastique et mélodrame. Le style est toujours là mais on préfère les pages où Balzac nous décrit son Paris des faubourgs et des ruelles ou son Paris de cimetières , aussi bien en géographe qu’en sociologue.

C’est un peu le même sentiment de déception que l’on a avec La fille aux yeux d’or. Balzac n’est pas très à son aise dans ce genre de roman-feuilleton mâtiné d’épouvante (il cite souvent le Melmoth, de Matthew G. Lewis). C’est ici le dandy De Marçay, lui aussi l’un des Treize, que Balzac met en scène.

Comme pour Ferragus, Balzac commence par consacrer une trentaine de pages à une vue en coupe de Paris, des classes laborieuses à la haute bourgeoisie en passant par les classes moyennes et la bohème artiste. Une vision d’horreur où domine l’impression que la ville est animée d’une vie propre, comme un monstre dévorant celles et ceux qui vivent en son cœur. Une devise commune : or et plaisirs.

Puis on en vient à De Marçay, archétype du dandy, entre le Beau Brummel et Oscar Wilde. Il est orphelin et son père, Lord Dudley, l’a abandonné et a fait des enfants partout, jusqu’à La Havane. Sa mère morte jeune, il a été élevé par un prêtre. Après toutes ses informations, on a envie de crier à Balzac « au fait, au fait ! ».

De Marçay rencontre son ami Pierre de Monerville et lui parle de la fille aux yeux d’or, une fille féline et fascinante que ne quitte pas une vieille dame semblant être sa duègne. De Marçay fait suivre leur fiacre pour connaître leur adresse et l’intrigue amoureuse peut commencer. Enfin, est-on tenté de dire.

La maison de Paquita Valdès (c’est son nom) est une forteresse et elle est gardée par la duègne, en fait sa mère et la marquise de San Real, son amie. De Marçay a soudoyé le facteur pour un rendez-vous qu’elle consent à lui accorder, accompagnée de la vieille dame. Puis, un domestique mulâtre lui permet d’accomplir son dessein, en lui bandant les yeux. De Marçay est décrit comme un prince oriental, avec ses caprices et sa cruauté, rendant les femmes soumises, esclaves.

Ils font l’amour dans un palais de marbre avec perversité et raffinement. Elle est folle de lui et il prend peur. Peu après, Ferragus organise l’intrusion dans la propriété de Paquita. De Marçay tente de la tuer à ce deuxième rendez-vous, comme s’il voulait échapper à son emprise, mais c’est la duchesse qui la poignarde, par jalousie, n’acceptant pas que sa protégée la trompe avec un homme.

On a l’impression que Balzac prend plaisir à passer en revue le catalogue des perversions, du moins pour l’époque : sadisme, saphisme, travestissement, masochisme… Il semble jouer avec le contraste entre la froideur du dandy et la passion brûlante de la fille, jusqu’à marier avec délice le feu et la glace. Un court roman où Balzac taille des croupières à Barbey d’Aurevilly ou de Sade. À contre-emploi mais on sent que les trois romans de cette histoire des Treize (avec La duchesse de Langeais qui est encore le plus réussi) manquent leur but qui était à l’origine la liberté absolue de membres solidaires d’une société secrète. Il n’en est finalement resté que trois histoires d’amour originales et inattendues. Mais que de descriptions, que d’apartés, que de digressions… On croirait qu’il a envie de parler d’autre chose et de se distraire lui-même de ses intrigues. N’empêche, quelle plume ! Quel que soit le sujet finalement. Un historien, un sociologue, un économiste, un philosophe… Un écrivain, quoi.

TREVANIAN – LA SANCTION – Gallmeister

Les lecteurs attentifs de ce blog, ou du moins de ses notes de lecture, connaissent bien Trevanian. C’est l’angelo mysterioso du polar américain, quelqu’un qui ne donnait pas d’interviews et refusait de se laisser photographier. On sait juste qu’il est né à Albany, qu’il est mort en Angleterre et qu’entre temps il s’est engagé dans les marines pour la Corée, a été professeur à l’université d’Austin (Texas) et a vécu longtemps au pays basque. Mais l’important chez lui, c’est l’œuvre. La sanction a été adaptée à l’écran par Clint Eastwood.

Un homme est assassiné à Montréal et Hemlock, officiellement un professeur d’université qui est en fait un tueur à gages, doit se charger de celui qui l’a tué. En fait, la vie de Jonathan Hemlock ressemble au peu qu’on sait de celle de l’auteur : enfance miséreuse à Albany, pris en charge par une bienfaitrice dont il devient l’amant, guerre de Corée, prof d’université… La suite appartient à la fiction : expertise en art et acheteur de tableaux à des prix mirobolants, d’où ses contacts avec la CII, le Dragon et son entreprise de tueurs. Plus une passion pour l’alpinisme et l’air des cimes. Portrait d’un sybarite américain dandy et totalement amoral.

Son contact à Montréal est une certaine Felicity Arce avec qui il fait l’amour et elle lui annonce qu’il doit tuer un dénommé Garcia Kruger. Dont acte. Après une escapade meurtrière en Europe, Hemlock rempile pour le CII qui préempte l’achat d’une vieille église à Long Island, celle justement qu’il veut s’acheter. La CII veut dire en fait 102 en chiffres romains, soit la réunion de 102 services de contre espionnage nés de la seconde guerre mondiale. Le service Recherche Sanction vise à éliminer ceux qui se sont attaqués aux agents.

Hemlock rencontre une jeune femme noire – Gemina – qui se fait passer pour une hôtesse de l’air. En fait, elle est employée par Dragon pour le persuader d’accepter une mission avec Miles Mellough, un collègue qu’il déteste pour avoir tué son meilleur ami, un Basque nommé Henri Bacq. Il refuse toujours la mission, mais sa conquête lui prend l’argent destiné à l’achat d’un tableau et il doit l’accepter, par nécessité. La mission : tuer l’un des trois alpinistes qui vont s’attaquer au massif de l’Eiger cet été et il remplace l’alpiniste américain victime d’un accident. On soupçonne l’un des alpinistes d’être le deuxième assassin de Montréal, un meurtre à propos d’une formule de bouillon de culture bactériologique. L’entraînement peut commencer.

C’est dans l’Arizona qu’ils s’entraînent, lui et Big Ben Bowman, un ami des services ancien alpiniste. Quelques chapitres sans intérêt pour qui ne s’intéresse pas à l’alpinisme, sauf qu’il couche avec une Indienne nommée George et qu’il revoit son ennemi juré, Mellough. Mellough qui, par l’intermédiaire de George, essaie de le tuer mais c’est lui qui le lâche en plein désert après une poursuite en voiture. Puis c’est enfin l’Eiger, l’ogre mangeur d’hommes. Gemina revient, comme par hasard, et les trois compagnons d’ascension – un Autrichien, un Allemand et un Français, sont longuement présentés avant l’escalade. Lequel des trois ?

Il a un flirt avec l’épouse du Français – Anna – et déteste instinctivement l’Allemand qui prend la direction du groupe. Bidet, le Français se sentant cocufié, menace de le tuer et il fait ses adieux à Gemina. Clement Pope, l’envoyé de Dragon, arrive à son tour pour lui apprendre que Mellough est mort et que lui seul connaissait la cible. Ayant été le complice de Mellough dans la mort de Bacq, Hemlock le démolit.

L’ascension peut commencer sous les yeux de Big Ben Bowman et de sa longue vue, avec les clients de l’hôtel scrutant le spectacle. Elle n’est pas sans difficulté, d’autant que le climat se dégrade. Tempête et avalanche et l’équipée se révèle un fiasco. Au final, ses trois compagnons de cordée périssent et seul Jonathan Hemlock, en héros qui se respecte, survit.

Finalement, les trois sont morts sans qu’il le veuille et la mission a été accomplie. Sur son lit d’hôpital, il apprend que c’est en fait Bowman qui était le deuxième tueur et seul Mellough le savait. Une machination.

Il est rare de lire des polars aussi bien écrits et d’un humour aussi spécial, même si le personnage principal finit par irriter – entre le dandy brillant et l’horrible snob. On comprend pourquoi Eastwood a tenu à adapter cette histoire. Mais bon, on ne boude pas son plaisir, Trevanian nous a encore bluffé. Massif, géant !

DELPHINE DE VIGAN – RIEN NE S’OPPOSE À LA NUIT – Jean-Claude Lattès / J’ai Lu

Encore un roman trouvé dans la boîte. De Vigan, et pas Le Vigan comme l’acteur copain de Céline. Connais pas, déjà entendu parler alors pourquoi pas ? Elle écrit dans la postface avoir eu la chanson de Bashung («Osez Joséphine ») en tête et ça tombe bien, moi aussi.

« Écrire sa mère », comme elle l’écrit au premier chapitre. Raconter sa mère retrouvée morte, suicidée, dans la solitude. Et d’évoquer des souvenirs d’enfance où on a l’impression de feuilleter l’album de famille avec le portrait de la mère – Lucile (avec un seul « l ») – qui se dessine au fil des pages mais aussi du père, Georges, journaliste publicitaire sociable et brillant mais dont la face obscure se dévoilera vite.

On craint de vite se confronter au défaut du roman français, son côté nombriliste et auto-centré, mais c’est dieu merci un peu plus complexe. Appelons cela un roman familial.

Familles nombreuses, familles heureuses ? Pas sûr. On suit la fratrie de quatre filles et trois garçons (l’un est mort accidentellement et un autre a été adopté) au fil d’anecdotes moyennement intéressantes, jusqu’à ce que Lucile s’extraie du cocon familial, du charnier natal, et vive sa propre vie. Moins anecdotique, un garçon mongolien naît et devient la mascotte de la famille tandis que le gamin adopté se suicide, la version officielle expliquant qu’il n’a jamais surmonté son passé d’enfant martyr. Lucile se marie avec Gabriel alors que Forrest est amoureux d’elle. La famille se désunit.

On est un peu agacé par la façon dont l’autrice raconte le roman en train de se faire, avec tout les doutes et les difficultés qu’on imagine, notamment par rapport à sa famille. Ça fait un peu « je me regarde écrire » mais soit. Est-ce le style, la dramatisation des situations, un certain portrait de la France des années 1960 – 1970 ? On est pris par l’histoire et on se surprend à poursuivre la lecture.

Mariage puis divorce et changement de conjoints : Tibère, un photographe naturiste qui lui amène son fils Julien puis Nebo, un bellâtre italien qui la quitte rapidement et Robert, un beauf. La famille recomposée, dysfonctionnelle et un peu baba-cool (on fume beaucoup de joints) a déménagé à Yerres (Essonne), là où la narratrice passe son adolescence. Puis c’est Niels, le nouvel amant, qui se suicide comme est retrouvé pendu à un arbre Milo, l’un des frères de Lucile. La malédiction pèse et Lucile se retrouve vite entourée de cadavres.

C’est en fait à une enquête, ou plutôt une contre-enquête à laquelle on a droit, sur la base d’interviews et de témoignages des membres survivants de la famille. Qu’est-ce qui se cache derrière l’image d’une famille moderne, banale et sans histoires ? Qu’est-ce que chacun cache comme douleurs secrètes, failles et fragilités ?

Lucile est dépressive avec des accès d’angoisse. Elle écrit dans une sorte de journal que son père a abusé d’elle. Et si c’était la clé ? Camille, la belle-fille de Lucile, évoque les mêmes séductions ambiguës. Lucile est diagnostiquée bipolaire, maniaco-dépressive, et commencent les internements en psychiatrie. La folie, d’abord subreptice, se fait envahissante.

Puis viennent les rechutes et l’alcoolisme. Les filles sont recueillies dans la famille du père et elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, sous camisole chimique, pathétique et muette dans les réunions de famille où elle est toujours conviée.

Apparaissent les troubles pour l’autrice qui pâtit de la situation. L’anorexie sur quoi elle consacrera un livre (Un jour sans faim). Lucile s’amourache d’un violoniste écossais clochard et alcoolique qui finira assassiné.

Et puis c’est la reconstruction, le retour à la vie. Lucile consulte une professionnelle qui la remet sur les rails. C’est la dernière partie de ce roman, la plus émouvante. Un beau portrait de femme. C’est sa renaissance. Elle suit des études universitaires, passe des examens, obtient des diplômes et entame, à cinquante ans, une carrière d’assistante sociale. L’autrice s’aperçoit aussi qu’elle a laissé des textes, collectionnant les lettres de refus de la part des éditeurs. Puis ce sont d’autres rechutes et d’autres rétablissements avant que de devenir une grand-mère affectueuse et respectée. Enfin l’ultime rechute et le suicide qui vient parachever un chemin de vie tortueux d’une mère courage toujours combative.

Un roman émouvant qui parle autant de la mort que de la famille, de l’identité et de la descendance. C’est d’abord le livre de Lucile, comme au Moyen-âge on écrivait des « livres de… » pour raconter une vie. Cela me touche d’autant plus que c’est ce que j’ai essayé de faire avec mon frère, toutes proportions gardées, toutes choses égales et tout ce que vous voudrez. Chacun ici bas devrait finir par avoir son livre.

Novembre 2024

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