Y s’footent de nous !
Il fut un temps où Canal + détenait la quasi-totalité des droits télé pour le football. C’était il y a longtemps, avant que d’autres opérateurs – comme on dit dans ces milieux-là – ne mettent le pied dans la porte et ne viennent rafler la mise.
C’est d’abord BeIN, la chaîne aux fonds qataris dont le directeur des programmes n’était autre que ce vieux cheval de retour de Charles Biétry, qui a coiffé au poteau ses concurrents (Canal mais aussi RMC Sports, Eurosport et autres L’Équipe TV). C’était la nouvelle donne pour ces dernières années : BeIN bien au centre et les restes consentis aux autres. De beaux restes pour Canal qui gardait ses matches du dimanche soir et pour RMC Sports avec les coupes d’Europe. Le marché était, comme on dit, stabilisé.
Mais voilà qu’un nouvel entrant – là aussi vocabulaire de l’entreprise – se faufile et rafle tout au nez et à la barbe des habitués, comme un cave inoffensif qui plumerait ses roués partenaires de poker. La chance du débutant, ça s’appelle. Téléfoot donc (du nom de la fameuse émission présentée jadis par les Thierry Roland, Michel Denisot et autres Pierre Cangioni) est le nom de ce nouveau venu.
C’est en tout cas le nom qu’il aura en France, comme pour rassurer les téléspectateurs de TF1. En fait, c’est un groupe sino-espagnol du nom de Médiapro qui mène le bal avec sa filiale Téléfoot donc, adossée au bouquet des chaînes de TF1 (comme d’ailleurs RMC). On doit sabler le champagne chez Bouygues et faire des doigts d’honneur aux qataris et à Bolloré. Coût de l’abonnement : 25,90 € par mois, c’est donné !
Quand même, le total des droits télé pour cette année s’élève à 295 millions d’Euros et Médiapro a dû d’abord mettre sur le tapis 172 millions (TTC on précise) pour obtenir les droits de diffusion de 80 % de la Ligue 1 plus la plupart des matchs de Ligue 2 et des coupes d’Europe (Champions League et Europa) co diffusés avec le RMC Sports de Patrick Drahi (DG de Free et du groupe Iliade) (1). C’est 800 millions au total pour la période 2020 – 2024. Quand même. Les clubs vont pouvoir fêter ça aussi, les droits télé étant devenus leur principale source de revenu, avant la billetterie, le sponsoring et l’argent des transferts. Le foot a subi les affres du confinement et il faut bien se refaire, n’est-il pas ?
Ça commence mal pour eux puisque le match qui devait marquer l’arrivée de la nouvelle chaîne dans l’arène est reporté pour cause de cas de coronavirus du côté de l’Olympique de Marseille, sans parler des reports des matchs du Paris SG et de l’Olympique Lyonnais pour cause d’inespérées demi-finales de C1. Les consultants vont devoir patienter une journée ; des épées comme Loïc Perrin, Christophe Jallet ou Fabrizio Ravanelli (entre beaucoup d’autres). N’est pas Omar Da Fonseca qui veut !
Sans revenir aux temps héroïques où l’ORTF programmait des matchs de Division 1 le dimanche après-midi, on pouvait encore voir, dans un passé encore récent, la plupart des matchs importants de coupe d’Europe sur TF1 ou sur M6. Le foot était un droit démocratique et il n’était pas nécessaire de payer des abonnements annuels de plus de 300 € pour voir des matchs la plupart du temps cadenassés et tactiques où on applaudit souvent le premier but marqué juste avant les arrêts de jeu.
Mais là n’est pas seulement le point. On ne va pas redire que le football est un épitomé du capitalisme dans toute sa rudesse, mais on peut quand même gueuler contre cette bande de margoulins qui prive sans vergogne les populations les plus modestes, avec des instances dirigeantes complices faisant monter allégrement les enchères. Déjà, on fait la chasse aux pauvres dans les stades avec des tarifs élevés, on parque les supporters et on les nasse pour n’avoir plus qu’un public familial et petit-bourgeois docile et discipliné comme celui qui peut se payer des abonnements aux chaînes câblées.
Et on n’a pas encore tout vu. À quand les interviews des entraîneurs sur une chaîne, la première mi-temps sur une autre, les arrêts de jeu sur une troisième, avec paiement par cartes ? Ou bientôt un peu de foot sur France Télé qui se sera vu accordé les championnats nationaux de Finlande ou d’Azerbaïdjan. Fiction ? C’est en tout cas la tendance.
On a souvent parlé de l’influence du foot, des mouvements de foule et des chants de supporter dans les soulèvements populaires et les révolutions arabes, par exemple. On a beaucoup glosé sur l’essence tout aussi populaire de ce sport et sur le rôle social qu’il a toujours tenu. Sans parler de la ferveur qu’il nourrit, des espoirs qu’il suscite et du rêve collectif qu’il fait partager.
C’est tout l’inverse ici, avec une caste de technocrates alliée à des marchands de soupe pour tuer la poule aux œufs d’or et marquer le règne définitif d’un sport normalisé en voie d’élitisme qui va finir par se couper totalement de ses bases et, pire, par vendre le peu qu’il lui reste d’âme.
(1) : Téléfoot sera aussi disponible sur les box Free et SFR. Les loups ne se mangent pas…
Ça promet le débat à venir sur le « Foot » avec ton journal (encore) préféré !
Epitomé du néo-libéralistme : « la liquidatiion » de Laurent Cordonner, en particulier le passage sur le foot. (les liens qui libèrent, 2014)..
Il y a eu un avant Canal, non ?