Nick Tosches (prononcer Toschez) est décédé l’année dernière, à 71 ans, lui dont les romans laissaient penser qu’il était immortel. Un journaliste hors pair, un biographe d’exception et, surtout, un romancier inspiré. Sa mort est passée quasi inaperçue et c’est dommage. Ces quelques lignes pour tenter de réparer l’injustice.
Nick Tosches est né en 1949 à Newark (New Jersey), et il a passé toute sa vie à Manhattan. Né de mère irlandaise et de père albanais, un mélange tonnant entre le pays du trèfle et des légendes celtes et celui du pays des aigles et de leurs contes cruels, souvent avec vampires et créatures maléfiques, que les paysans se racontent à la veillée. L’écrivain Tosches est sûrement né de ce choc culturel.
C’est d’abord comme critique rock qu’il se fait connaître, publiant ses premiers articles dans le magazine Fusion, l’une des premières publications rock avec Crawdaddy. Il devient ensuite un collaborateur régulier de Creem, le meilleur journal de rock de tous les temps sis à Detroit, sous la houlette de Dave Marsh et de Greil Marcus (et avec Lester Bangs entre autres).
Mais Tosches quittera vite le monde trop étriqué pour lui de la rock critic et il publiera ses premières biographies réputées bien documentées et très critiques. Jerry Lee Lewis, épinglé dans Hell Fire, portera plainte contre lui après qu’il l’ait accusé du meurtre de son épouse. Après Jerry Lee, ce sera Dean Martin (Living High in the Dirty Bussiness of Dreams) puis Michele Sindona, le banquier du Vatican et Sonny Liston, l’adversaire défait par le jeune Cassius Clay. Il y aura aussi Emmett Miller, l’un des derniers chanteurs des Minstrel Shows, ces spectacles où des blancs grimés en noirs interprétaient des negro-spirituals en les ridiculisant.
Mais Tosches ne va pas en rester là et va vite se frotter à la fiction. souvent uchronique. Ses portraits d’artistes Doo Wap et rhythm’n’blues d’avant le rock’n’roll (Héros oubliés du rock’n’roll) sont déjà de la fiction et contiennent une trentaine de portraits d’artistes méconnus à l’origine de la révolution rock. Des vies minuscules qui ont manqué leur rendez-vous avec la gloire mais dont l’inspiration a engendré le rock’n’roll et ses légendes. On voit bien à ce stade ce qui préoccupe Tosches, les origines, les commencements, la généalogie ; une quête qu’il mène avec une érudition rare et un raffinement précieux.
Tosches va ensuite devenir un auteur de polar avec des romans comme Trinités ou La religion des ratés, paru en Série noire en 1988, ou l’histoire d’un jeune homme délaissé par son épouse et dont le seul espoir de réussite réside en une association avec un oncle mafieux pour escroquer la loterie nationale.
Mais ce n’est qu’un hors-d’œuvre, et les romans à venir, dans les années 2000 – 2010, vont le consacrer comme un romancier original et exceptionnel. La main de Dante, Le roi des juifs, Moi et le diable et Sous Tibère ont les mêmes racines, la même inspiration : la quête de la vérité, le mal, les mythes, le sexe, l’absolu, la poésie, le sacré, la religion et tout spécialement le catholicisme et son imaginaire masochiste.
Dans La main de Dante, on retrouve des mafieux qui veulent mettre la main sur le manuscrit original de La divine comédie que possède le Vatican, et il y est question de l’assassinat du pape. Le roi des juifs est encore une biographie, celle du gangster juif Arnold Rothstein et de ce qu’on a pu appeler la Yiddish connection. Moi et le diable est plus autobiographique semble-t-il. Une autofiction où l’auteur s’imagine en lycanthrope effeuillant la marguerite de toutes les perversions avec le diable à ses côtés. On y croise des personnages réels comme Keith Richards, Peter Wolf ou Hubert Selby. Quant à Sous Tibère, c’est l’histoire d’un manuscrit retrouvé relatant les mémoires d’un aristocrate romain tombé en disgrâce sous l’empereur Tibère et exilé en Judée.
Ce manuscrit raconte l’histoire de cet aristocrate qui rencontre un voyou fornicateur sans foi ni loi appelé à devenir le messie que le peuple attend. C’est lui qui va le mener vers la gloire. Un imposteur, certes, mais cette incarnation du mal deviendra l’incarnation du bien et il sera tel qu’on veut qu’il soit. Une fois de plus, c’est le diable qui gagne.
Ces quelques exemples de romans tous aussi passionnants nous montrent le talent d’écrivain de Tosches, aussi érudit que raffiné et passionné par les rapports de pouvoir, de séduction, de domination. Passionné par l’histoire, les cultes anciens, l’anthropologie et les textes rares, les incunables. Par l’humanité en fait et les rapports que l’homme entretien avec le divin, avec le sacré. Tosches est un mystique et ses romans à succès, que l’on pourrait sans examen considérer comme des best-sellers destinés à séduire un large public, sont autant d’ouvrages passionnants soulevant des questions philosophiques, religieuses et métaphysiques.
Tosches, parallèlement, écrira pour des magazines plus rémunérateurs que les journaux rock de ses débuts, à Esquire ou à Vanity Fair, où le prix de la pige est cent fois plus élevé. Il pourra ainsi vivre pleinement sa vie de dandy raffiné et pervers, à l’abri des vicissitudes d’un monde et de ses habitants qu’il a fini par exécrer.
À l’heure où le monde de la littérature met en avant de fausses valeurs ; à l’heure où la république des lettres est gouvernée par des imposteurs, il est bon de se souvenir d’écrivains hors normes comme Nick Tosches, à la fois poète, esthète, érudit et, surtout, d’une imagination débridée et solaire, très loin de cette littérature nombriliste et autocentrée qui constitue le plus clair de la littérature française.
Sans rapport avec la Beat Generation et ses fils (West, Fante, Bukowski ou Saroyan) ou avec les écrivains de l’Amérique contemporaine, les Roth, Bellow ou Updike, Tosches a plus à voir avec des auteurs de science-fiction comme Philip K. Dick, de polars comme Don Winslow ou encore des marginaux comme Hubert Selby Junior ou Thomas Pynchon. Bref, le meilleur de l’Amérique et de sa littérature.
Tosches, ou la littérature populaire considérée comme l’un des beaux-arts. Un enchanteur.
Tous ses romans ont paru chez Albin Michel.
Les polars chez Gallimard ou Rivages Noir.
Les autres chez Allia.
14 févier 2021
Merci, je ne connaissais pas non plus.