Le site de Didier Delinotte se charge

LES 80 ANS DE DYLAN : FOREVER YOUNG!

Le Dylan qu’on préfère, tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change

Robert Zimmerman, plus connu sous l’alias de Bob Dylan, a eu 80 ans le 24 mai dernier, soit un lundi de Pentecôte (la précision n’est pas anodine pour ce qui le concerne). L’occasion, non de résumer son histoire (un livre de 1000 pages n’y suffirait pas si on voulait être un tant soit peu complet), mais d’égrainer quelques souvenirs personnels de celui qui doit être considéré comme l’un des plus grands artistes du siècle dernier, mêlant les langages du blues, du folk et du rock pour en faire l’axiome universel de la beauté, de la révolte et de la poésie.

Ça a commencé au printemps 1966, j’avais 12 ans et demi et je venais de faire ma communion solennelle. Des gamins du quartier avaient punaisé une photo de Dylan sur un cageot de bois et ils jouaient aux fléchettes sur son effigie. La photographie le représentait en action lors du concert de l’Olympia, avec les cheveux fous et le regard comme perdu dans un monde intérieur inaccessible au commun des mortels. C’est peut-être ce que lui reprochaient ces jeunes détracteurs pour lesquels Dylan n’était qu’un poseur, un tordu qui voulait se donner des allures de poète, un de ces beatniks crasseux mettant en péril la santé mentale de la jeunesse occidentale. Un pédé aussi. Je voyais à peu près à qui j’avais à faire, mais je ne connaissais pas suffisamment le bonhomme pour prendre fait et cause en sa faveur.

J’en savais un peu plus après avoir lu le premier numéro de Rock & Folk où un dénommé Jacques Vassal narrait l’histoire d’un jeune gars du Minnesota monté à New York pour gratter la guitare devant des salles comme le Gaslight où se produisaient les « protest singers », baladins critiques d’une Amérique du conformisme, de la peur du nucléaire et de l’anticommunisme. Puis c’était ce fameux concert du festival de Newport où les folkeux l’avaient voué aux gémonies quand il avait dégainé la guitare électrique. Puis ce concert de l’Olympia en même temps que ce double album appelé mystérieusement Blonde On Blonde (cigarettes, bière, femmes, autre chose?) et dont il se disait le plus grand bien.

Sur ce même concert, la une de France Soir annonçait un article d’un dénommé Philippe Labro où il était question de « l’Amérique aux larges épaules de John Wayne » interpelée par un folksinger, un beatnik histrion se réclamant de Woody Guthrie et de Jack Kerouac. Et d’imaginer un combat singulier entre les deux protagonistes, réplique blanche des joutes pugilistiques entre le volatil et facétieux Cassius Clay et son rival de l’époque, l’ours mal léché Sonny Liston.

J’avais écouté « I Want You » sur Salut Les Copains et c’était quasiment le seul titre que nous passait l’animateur de l’époque, un dénommé Jacques Monty, déjà ex chanteur de variété. J’en avais juste terminé avec ma période yéyé et je découvrais à peine les Beatles, les Stones et les Kinks. De Dylan, je ne connaissais que les reprises de chanteurs français ou francophones comme Hugues Aufray ou Greame Allwright. J’avais des frissons et les larmes aux yeux quand j’entendais les adaptations Aufray – Delanoë, « vous qui philosophez tout le temps… » pour « The Lonesome Death Of Attie Carroll », et celles du néo-zélandais me donnaient encore plus la chair de poule (« qui a tué Davey More ? , qui est responsable et pourquoi est-il mort ? »).

À l’été, je découvrais enfin la pop music après m’être lassé des adaptations françaises et des succédanés. Seul Ronnie Bird, Antoine et Polnareff gardaient ma confiance. Dylan mais aussi les Byrds, les Beach Boys, le Lovin’ Spoonful et tous les groupes anglais. Il m’aurait fallu une dizaine de cerveaux pour tout capter et surtout tout retenir des titres, des noms, des villes, des compagnies de disques et des stations de radio ou de télévision. J’avais fait une première année d’anglais, pas spécialement brillante, et je progressais en accéléré en essayant de traduire des centaines de titres de chansons, avec l’aide de mes frères un peu plus avancés que moi dans l’étude de la langue de Disraëli.

De Dylan, on parlait de moins en moins. J’avais lu dans un numéro de l’Express, hebdomadaire de référence auquel mon frère était abonné, qu’il avait eu un grave accident de moto et qu’on ne le reverrait plus de sitôt. J’en savais un peu plus dans mon Salut Les Copains, où un article expliquait qu’il s’était littéralement cassé le cou mais, qu’on se rassure, il venait de sortir de l’hôpital et enregistrait avec le groupe qui l’avait accompagné lors de sa dernière tournée, à savoir The Band, soit littéralement l’orchestre.

Je mettais cette pause à profit pour m’acheter une compilation. Le Bob Dylan’s Greatest Hits paru chez CBS début 1967. Enfin j’entendais la voix du prophète, non plus celle de ses interprètes, de ses épigones et de ses adaptateurs. Une voix nasillarde et abrasive, solennelle, qui semblait mouillée d’ironie, voire d’acrimonie, avec des accents de sincérité bouleversants. Je connaissais la plupart des titres pour les avoir déjà entendus par Hugues Aufray en VF, mais là, c’était différent. Une révélation. L’évangile accordé aux adolescents perturbés. Une porte ouverte sur les les réalités américaines et un kaléidoscope bigarré de tous les rêves possibles d’une génération pas encore perdue. Les mythes de l’occident chrétien subvertis par un jeune homme surdoué.

À la braderie de Lille, je tombais incidemment sur un livre écrit par lui, Tarantula, traduit et adapté par un certain Dashiell Hedayat qui, pour donner un équivalent d’un grand critique littéraire américain, parlait de Bertrand Poireau et Pêche. Tout était du même tonneau. C’était en tout cas aussi drôle et enlevé que les notes de pochette délirantes de ses albums ; toutes ces « outline epitaphs » que je me faisais traduire par monsieur Delangue, le bien nommé, mon professeur d’anglais. Celui qui était habitué à se rendre aux États-Unis, côtoyant des réactionnaires républicains (pléonasme?) pour qui Dylan était l’homme à abattre, comme ces gamins qui le jouaient aux fléchettes. Une unanimité qui rappelait vaguement le Christ en croix et la passion.

J’apprenais un peu plus tard la mort du mentor de Dylan, Woody Guthrie, et, deux ans plus tard, celle de Jack Kerouac en lisant un numéro de Best qui titrait sur la disparition de Brian Jones. Les deux légendes sur lesquelles s’était construite toute la scène du folk s’effondraient discrètement et Dylan allait devoir renaître encore. Après les compilations, j’étais passé aux albums originaux avec le John Wesley Harding de 1968 et le Nashville Skyline de l’année suivante, recommandé par le Pop Music Revolution, catalogue CBS commenté par Philippe Paringaux. Deux disques un peu décevants comparés à l’aune des précédents, ceux d’avant la chute, mais Dylan revenait comme un Johnny Cash en costume vanille sur la scène de l’île de Wight et le grand festival de Woodstock s’était monté autour de ses terres.

Un article d’Actuel parlait des poubelles de Dylan qui étaient systématiquement passées en revue par un new-yorkais inventeur d’une nouvelle science : la dylanologie. Une nouvelle branche des sciences humaines qui ambitionnait de tout savoir et de tout comprendre sur les univers apparents et cachés de Bob Dylan. Et de passer en revue ses textes en y pointant la moindre allusion aux saintes écritures ou à des cultes ésotériques. Une vraie activité de paranoïaque qui dessinait les contours d’une nouvelle religion, avec un dieu terrestre à portée de fans.

Une deuxième éclipse eut lieu en 1972, après des albums de plus en plus dispensables. J’en étais presque à leur préférer les adaptations françaises de Serge Kerval. « George Jackson » avait repris fièrement le flambeau, une chanson sur un prisonnier membre des Black panthers mort en détention. On croyait au grand retour du Dylan politique circa 1963 – 1964. Mais on allait vite déchanter. Il revenait l’année suivante avec une flopée d’albums à moitié convaincants mais, surtout, il apparaissait dans le Pat Garrett et Billy The Kid, un film de Peckinpah ou, sous le nom d’Alias, on le voyait trier des boîtes de conserve. La musique était de lui, et ce sublime « Knockin’ On Heaven’s Door » qui prouvait au monde entier que la voix ne s’était pas tue. Que tout pouvait recommencer.

Et de fait, cet excellent Blood on the tracks qui signifiait que dieu n’était pas mort, tout simplement. Puis Desire, même si plus conforme aux canons du rock-business. Un film fleuve, Renaldo et Clara et une folle tournée, la Rolling Thunder Review avec des compagnons de route allant de Roger Mc Guinn à Mick Ronson en passant par Emmylou Harris. Bref, un tourbillon où Dylan se perdait en même temps qu’il nous perdait, comme pour masquer un manque devenu chronique d’inspiration.

Dylan sur scène. Je garde le souvenir d’un concert décevant Porte de Pantin en 1978, puis d’un autre exceptionnel d’intensité au festival de Torhout en 1989, puis à Reims, à nouveau Paris et le théâtre de la Monnaie à Bruxelles où il apparaissait en desperado barbichu massacrant méthodiquement tous ses hymnes, comme pris d’une crise soudaine pulsion suintant la haine de soi, ou la jubilation masochiste.

Entre temps, on avait eu droit au Dylan évangéliste de Slow train coming, avec Hervé Muller qui écrivait dans Rock & Folk qu’il fallait se mettre à la place d’un gars qui dispose d’autant de temps. Pourquoi pas se tourner vers la religion ? D’autant que de « The Times They Are A Changin’ » à « All Along The Watchtower », ce n’était pas la première fois qu’il faisait des clins d’œil appuyés à la sainte bible et aux témoins de Jéhovah.

Muller qui, avec Jacques Vassal, François Ducray et Philippe Manoeuvre, avait sorti un livre sur lui dans la collection Rock & Folk Albin Michel. Mais c’est plutôt du côté des américains que je lisais la vie et l’œuvre de l’ex génie : les évangiles selon Anthony Scaduto, Greil Marcus ou Robert Shelton ; hors concours les longs papiers de Philippe Garnier, celui dont les rapports ambivalents avec Dylan étaient les plus proches des nôtres.

Et puis plus rien ou un album passable de temps en temps, un film de Scorcese, un prix Nobel de littérature et un bouquin où notre homme prouve aussi qu’il sait écrire. Il faut dire qu’il sait tout faire. Le problème est qu’on attend plus grand-chose de lui et qu’on s’en souvient encore tous les 24 mai, pour calculer vite fait l’âge qu’il a. Toujours jeune, qu’il chantait… Tu parles !

31 mai 2021

Comments:

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Catégories

Tags

Share it on your social network:

Or you can just copy and share this url
Posts en lien