Des morts reconnaissants du rock, cet été, on aurait pu parler bien sûr de Charlie Watts, tartiner des pages et des pages sur les Rolling Stones et leur batteur métronome, finalement le plus sympathique du lot. Sauf que les Stones se prolongent de façon indécente depuis plus de 40 années sans rien de vraiment consistant côté disques. Des concerts relevés de compteur, du cirque qui ne font que déprécier leur image. Parlons plutôt des Everly Brothers dont l’aîné, Don, vient de mourir à Nashville, à 84 ans. Le duo magique du College rock a enchanté nos vies et écrit la bande sonore de notre enfance au paradis du rock’n’roll, par eux-mêmes ou par reprises yéyé interposées. Qu’ils en soient ici à jamais remerciés. Bye bye Don, bye bye.
Pour situer, le College rock, appellation oubliée mais gardée en mémoire par quelques nostalgiques, est cette période de la fin des années 1950 et du début des années 1960, entre le déclin des idoles du rock’n’roll et l’émergence des Beach Boys et de la British pop, Beatles en tête. Disons pour aller vite entre 1959 et 1962.
En Angleterre, des rockers comme Gene Vincent et Eddie Cochran essaient de renaître outre-Atlantique (ce sera plutôt la mort pour Cochran), alors que les rockers anglais (Marty Wilde, Billy Fury et Tommy Steele) rivalisent avec les groupes instrumentaux comme les Shadows pour conquérir les premières places des hit-parades. Période assez sinistre, il faut bien le dire.
Aux États-Unis, dans l’olympe des teenagers américains, le soleil brille même la nuit et le ciel est uniformément bleu. Oubliée la malédiction des rockers, Chuck Berry en prison, Little Richard viré gospel, Buddy Holly mort, Jerry Lee Lewis en exil allemand et Presley à l’armée. Les crooners crantés qui font craquer les adolescentes ont pour noms Ricky Nelson, Fabian, Frankie Avallon, Del Shannon, Paul Anka, Neil Sedaka ou les Everly Brothers. Surtout les Everly Brothers. Eux et les Four Seasons qui, prouesses vocales à part, empruntent au même style.
Ils sont deux frères, Don, né à Brownie (Kentucky), le 1° février 1937 et Phil, né à Chicago le 19 janvier 1939. Voilà pour l’identité. Issus d’une famille de musiciens, les deux frères se distinguent dès le plus jeune âge dans une émission de radio diffusée dans l’Iowa, le Everly Family Show. Là, parfois accompagnés de membres de leurs familles, ils proposent leurs propres versions de standards country’n’western tout en commençant à placer timidement leurs propres compositions.
C’est ce qui plaît au guitariste country Chet Atkins, qui les découvre en écoutant la radio et les fait signer, en 1956, un premier contrat chez Columbia. Après un 45 tours passé inaperçu, CBS les boude, faisant preuve d’une grande perspicacité, et les deux adolescents vont commencer à pondre leurs premiers hits chez Cadence Records, un petit label ambitieux.
Trois singles d’abord, une trilogie magique qui les porteront en tête des hit-parades : « Bye Bye Love » (1957), suivi de « Wake Up Little Susie », la même année, et de « All I’ve Got To Do Is Dream » en 1958. Trois hits suprêmes qui les porteront au pinacle du paradis teenage, sur un nuage. Le public adolescent comme les professionnels ont remarqué chez le duo une facilité d’écriture déconcertante, une aisance pour fabriquer des petites merveilles de 2’30 entre le Folk et la chansonnette, sans que ce terme ne soit nécessairement péjoratif. Les Everly parlent en plus de ce qui intéresse une jeunesse naïve et insouciante : les peines de cœur, les flirts avortés, les émois adolescents et les rêveries de toute une génération dans l’Amérique consumériste et martiale de Ike Eisenhower.
La trilogie magique est suivie par trois singles qui ne se classent « que » n°2 : « Claudette » et « Problems », toujours en 1958, et surtout le langoureux « Take A Message To Mary » l’année suivante. Les Everly sont sur le toit du monde avec les toutes premières places du Cashbox et 15 millions de disques vendus durant leurs trois années (1957 à 1959) chez Cadence. Une dizaine de singles et trois albums (The Everly Brothers – Songs our daddy taught et It’s Everly time). Du jamais vu chez les professionnels, Elvis mis à part. Les Beatles en sont encore à faire les boîtes de strip-tease en Allemagne.
En 1960, les frères Everly signent chez Warner Bros et font encore plus fort avec ce qui resteront des classiques du College rock : d’abord « Cathy’s Clown », n°1 à la fois en Angleterre et aux U.S.A. Peut-être leur plus grande chanson avec « So Sad » la même année. Il y avait eu aussi « Poor Jenny », « Till I Kissed You » et « When Will I Be Loved », les premiers titres qui se classent à des rangs inférieurs, preuve pour certains que leur étoile décline. Ce qui est sûr, c’est que l’album A date with the Everly Brothers, sorti en 1961, est un florilège de la période Warner avec « Made To Love » et « Cathy’s Clown ». Le duo s’adjoint les talents des compositeurs maison Felice et Boudleaux Bryant, tout en s’autorisant quelques reprises. S’il ne fallait qu’un album des Everly dans sa discothèque, ce serait sans nul doute celui-là. Mais autant se procurer des compilations.
Sur scène, les Everly chantent et grattent leurs guitares acoustiques devant des parterres de jeunes filles alanguies. « Certains soirs, leurs lèvres se touchaient », écrit Yves Adrien dans Rock & Folk en souvenir du duo princier, aristocrates du College rock et précurseurs de la chanson pop dont ils façonnent le format définitif. Les Beatles et Simon & Garfunkel, comme les Beach Boys ou les premiers Bee Gees s’en souviendront. On aura pu les voir à l’Olympia, en 1963.
En France, les yéyés sautent sur le songbook des Everly : Claude François avec « Made To Love » devenu « Belles Belles Belles » ; Sheila avec « All I’ve Got To Do Is Dream », devenu « Pendant Les Vacances » ; « Crying In The Rain » devenu « J’Irai Pleurer Sous La Pluie » par Richard Anthony, même Hallyday avec « Cathy’s Clown », devenu « Le Petit Clown De Ton Cœur ». Sans oublier Ronnie Bird et sa magistrale reprise de « So Sad » (« Cette Maudite Solitude »), et il est le seul à n’avoir pas trahi l’esprit tout en mélancolie délicate des frères. Mais c’est justement la période où Surf-rock et Folk-rock aux États-Unis comme Mersey Beat et British Beat en Grande-Bretagne vont détrôner les roitelets du College.
Comme à court d’inspiration, leurs propres compositions se font de plus en plus rares et, surtout, de moins en moins inspirées. L’excellent « Cryin’ In The Rain » fait encore un hit en 1961, mais ils entament leur traversée du désert en même temps que les compilations pleuvent dans les bacs des disquaires. Déjà statufiés de leur vivant.
« I’m Here To Get My Baby », en 1962, ne prend qu’une modeste 76° position au Billboard. Si ce n’est pas la fin, c’est en tout cas un déclin inexorable pour les petits gars qui ont tutoyé le ciel, au temps pas si lointain de leur splendeur. La roche tarpéienne est proche du capitole (Records?) et les roucouleurs innocents qu’on écoutait en permanence sur toutes les radios du pays – Wolfman Jack et Alan Freed n’étant pas les derniers à faire l’article – sont priés de se retirer sur la pointe des pieds et de ne plus jouer que pour les salles de plus en plus clairsemées de l’Amérique profonde. Bye bye brothers !
Tout au long des années 1960, les hits se raréfient et les Everly sont passés du grenier à la cave. Il faudra attendre le rock revival de la fin des années 60 et du début des années 70 pour qu’on parle à nouveau des Everly Brothers, avec des accents de nostalgie douloureuse. Mais surtout qu’on en parle au passé, et les Everly ne seront même pas du raout rock’n’rollien de Wembley, à l’été 1973, où tous les survivants sont réunis pour un dernier tour de piste.
Car les Everly Brothers se sont séparés – une première fois – cette année-là, justement l’année où tout aurait pu recommencer pour eux, quand les beautés kitsch du rock décadent redécouvrent les accents rageurs du rock’n’roll et quand les David Bowie, les New York Dolls ou Roxy Music se souviennent des teenage idols de leur adolescence et de leurs mélodies suaves. Mais les Everly Brothers s’éclipsent pour leur première séparation et des carrières solo qui les verront s’enfoncer dans l’anonymat. Ils n’ont plus qu’à vivre en retraités du rock business, assis sur de confortables royalties que leur versent les grandes sociétés d’édition musicale du pays, ASCAP ou BMI. Avec leur meilleur souvenir.
Ils se retrouvent une première fois en 1983 pour un concert au Royal Albert Hall de Londres et il s’ensuit un double album qui ravit les nostalgiques. Puis c’est 1986 et un nouveau disque et notamment un morceau composé par Sir Paul Mc Cartney, « On The Wings Of A Nightingale ». Mc Cartney qui sait ce qu’il doit aux Everly Brothers, ses premières compositions, comme d’ailleurs celles des Kinks ou des Hollies, étant redevables au style des frères ennemis désormais réconciliés du rock’n’roll.
Beaucoup de compilations et quelques albums country, comme à leurs débuts, dans les dernières années, avec l’enregistrement du concert parisien de 1963 (The Everly Brothers live in Paris) qui sort en 1997. Phil Everly est le premier à tirer sa révérence, en 2007. Il meurt à Burbank (Californie), le berceau des disques Warner. Don, on l’a vu, nous quitte le 21 août dernier. Enchanteurs coryphées du dérisoire et tendres rossignols chantant les tourments adolescents, ils sont tous les deux au paradis bleu des teenage idols, dans cette terre des 1000 danses où le soleil ne se couche jamais.
Thank you, brothers !
10 septembre 2021
Merci Didier pour ce résumé remarquable, touchant, et si juste.
J’ai toujours eu une affection particulière pour les Everly et je tenais à leur rendre hommage.
Amitiés
Merci pour cette belle contribution!
Sept ans après je revis la même émotion
N’oublions jamais Don et Phil Everly. Forever !